Envie de prendre le large au-delà des frontières ? Cet été, la BULAC vous propose une excursion dans les sciences-fictions d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Voici le premier épisode d’une série de dix en compagnie des contributeurs de l’exposition Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction, présentée à la BULAC du 17 février au 14 mars 2020.
Trip to the Heavens (Voyage dans le ciel, ou vers les cieux), couverture d’un roman de science-fiction arabe, Le Caire, 1953.
L’anticipation utopique
Deux termes arabes peuvent être utilisés pour traduire le mot « utopie » : al-yūtūbiyā (اليوتوبيا) et al-tūbawiyyā (الطوباوية), récent néologisme créé à partir du mot tūbā (طوبى, nom d’un arbre au paradis musulman). Il existe cependant un concept proche d’utopie : « al-Madīna al-Fādila » (La Cité Vertueuse) imaginée par Al-Fārābī au Xe siècle dans son essai philosophique Kitāb ’arā’ Ahl al-madīna al-Fādila (Idées des habitants de la cité vertueuse).
Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que des textes utopiques sont édités, à commencer par La Forêt de la vérité (غابة الحق, vers 1865) du Syrien Francis Al-Marash qui décrit une construction imaginaire d’un royaume modernisé où la devise du roi est la Liberté, la devise de la reine est la Sagesse. Apparaît ensuite le texte de l’auteur égyptien Adīb Izāk intitulé La Nouvelle Ère (العهد الجديد), récit utopique qui met en relief les travers oppressifs du pouvoir ottoman. Dans les Douces discussions à propos des habitants de Vénus et de la lune (لطائف السمر في سكان الزهرة و القمر), pour fonder sa cité utopique sur Vénus où l’homme parvient à vaincre son imperfection et à vivre dans la tolérance religieuse, Michel Al-Şaqāl voyage très loin dans l’espace et dans le temps. C’est dans cet esprit que Mūssa Salāma écrira une remarquable utopie-rêve, Introduction à une utopie égyptienne (مقدمة لطوبا مصرية), pour nous faire découvrir une Égypte évoluée et communiste. Les progrès de la science ont mis fin à la famine. Tawfiq Al Hakim, dans L’An million (العام المليون) et Le Monde inconnu (العالم المجهول), développe toute une réflexion sur l’utopie et son revers, la dystopie. C’est à partir de cette époque que plusieurs textes utopiques ont vu le jour dont ceux de Nihād Sharīf, Taleb Umran, Hedi Thabet et Abdelaziz Belkhūdja.
La collection égyptienne de textes bon marché Dossiers du futur (ملف المستقبل) peut être qualifiée « d’utopie militaire ». Anti-expansionniste, elle conte l’histoire d’une lutte perpétuelle pour préserver la cité utopique (l’Égypte) des menaces de l’extérieur.
Les textes utopiques véhiculent des rêves et des espoirs mais aussi du dégoût et du désenchantement. Écrire et imaginer un monde meilleur, c’est résister contre le dogmatisme et contre l’obscurantisme qui constituent la pierre angulaire de l’enfer terrestre.
La littérature de science-fiction est considérée comme un genre occidental qui a ses origines et ses précurseurs, ses pionniers et ses fondateurs. Constat controversé par l’existence d’une science-fiction arabe qui a émergé en Égypte dans les années 1950, très peu connue en Occident.
De 1950 à 1960, aucun terme ne désigne clairement ces écrits. On parle alors d’un nouveau genre littéraire. De 1960 à 1978 apparaît la notion de roman scientifique (الرواية العلمية). Après 1978, le terme de khayāl ‘ilmī (خيال علمي) a été définitivement adopté par les auteurs et les éditeurs pour désigner la SF. Mais cette littérature aurait-elle été influencée par la culture arabe ou été calquée sur le modèle occidental ? La science-fiction arabe a bel et bien ses pionniers et ses origines et on peut déceler des textes de proto-science-fiction en remontant le cours du temps.
Par exemple, le récit de voyage d’Al-Mass‘ūdī, Prairies d’or et mines de joyaux (Xe siècle), livre des descriptions d’inventions intéressantes. Les Mille et Une Nuits, dont les origines restent mystérieuses, présente un éventail de personnages étranges surgis de royaumes invisibles, de villes enfouies au fond des océans, d’objets volants, etc. Dans Le Porteur et les Filles (الحمال و البنات), on voit surgir une créature en cuivre qui a, sur le torse, une plaque en plomb sur laquelle sont inscrits des noms et des formules magiques. Cette créature en cuivre fonctionne par magie, ce qui lui donnerait l’allure d’un pseudo-robot.
Citer ce billet : kawtharayed, "Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction arabe," dans Le Carreau de la BULAC, 1 juillet 2020, https://bulac.hypotheses.org/30027. Consulté le 2 juillet 2020
Envie de prendre le large au-delà des frontières ? Cet été, la BULAC vous propose une excursion dans les sciences-fictions d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Voici le deuxième épisode d’une série de dix en compagnie des contributeurs de l’exposition Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction, présentée à la BULAC du 17 février au 14 mars 2020.
La conquête spatiale, au cœur de la science-fiction russe
Née comme partout en Europe à la fin du XIXe siècle, la science-fiction russe puis soviétique a été florissante jusque dans les années 1920, avant de quasiment disparaître sous Staline. Mais à partir des années 1950, elle revient progressivement sur le devant de la scène, portée par l’enthousiasme entourant les prémices de la conquête spatiale.
Couverture de la brochure Le Satellite artificiel de la Terre, de Félix Zigel (1956).
Illustration d’I. Lossossonov, pour le recueil annuel Science-fiction (1976).
Divers livres et brochures de vulgarisation sont alors édités, et tous ou presque sont ornés d’illustrations futuristes, montrant ce que pourrait être l’espace une fois rendu accessible, évidemment grâce aux cosmonautes soviétiques. On voit ainsi apparaître des images qui deviendront fameuses, telles ces stations orbitales en forme de tore, que l’on retrouvera dans nombre d’ouvrages, et dont le concept sera même repris en 1975 par la Nasa.
Illustration d’Alexandre Pobedinski pour le premier épisode de La Nébuleuse d’Andromède, d’Ivan Efremov, en couverture de la revue de vulgarisation scientifique La Technique pour les jeunes.
Ce sont cependant les cosmonautes qui vont rapidement attirer l’attention, notamment à partir de 1961 et du premier vol dans l’espace effectué par Youri Gagarine. Très vite ces personnages sont cités à titre d’exemple, et deviennent des héros de première importance dans une science-fiction qui se teinte alors de lyrisme.
Cependant, au-delà même de cette science-fiction collant à l’actualité, la parution en 1957 du roman Туманность Андромеды (La Nébuleuse d’Andromède), d’Ivan Efremov, aura été le véritable déclencheur de l’âge d’or de la science-fiction soviétique, en balayant toute limite et en offrant aux lecteurs un univers aux horizons particulièrement éloignés, tant dans le temps que dans l’espace. Véritable phénomène de société, La Nébuleuse d’Andromède s’est vendu à des millions d’exemplaires en très peu de temps.
Les explorateurs de l’espace ne rencontrent bien entendu pas que des mondes morts ou désertiques.
Le Jour du premier contact, œuvre u peintre biélorusse Nikolaï Nedbaïlo (1973).
Civilisations et cultures étrangères s’offrent alors aux lecteurs. Les premiers récits publiés dans les années 1950-1960 sont encore souvent assez naïfs et nous montrent d’autres humanités, des « frères de raison », sur Mars ou sur Vénus, tout comme dans la science-fiction du début du XXe siècle.
Très vite, cependant, l’imagination des auteurs se débride. Très souvent, les extraterrestres qu’ils créent sont encore anthropomorphes, et peu différents de nous sur le plan intellectuel. Idéologiquement pacifiste, la science-fiction soviétique en fait alors des peuples le plus souvent amicaux, lorsqu’ils sont technologiquement supérieurs à nous, ou bien amenés à devenir de parfaits communistes, avec l’aide des Terriens, lorsque leur science est encore en retard.
Illustration de Youri Makarov pour le court roman Lilith de Lidia Oboukhova (1966).
Petit à petit, cependant, sous l’influence de romans de l’écrivain polonais Stanisław Lem, tels que Solaris ou L’Invincible, les auteurs soviétiques vont imaginer des créatures qui défient la compréhension. Déjà, en 1917, Lénine ouvrait la voie en déclarant : « On peut parfaitement admettre l’existence, sur des planètes du système solaire et en d’autres endroits de l’Univers, de la vie et d’êtres doués de raison. Il est possible que, en fonction de la force de gravitation d’une planète donnée, de son atmosphère et d’autres conditions spécifiques, ces êtres doués de raison perçoivent le monde extérieur par des sens différents considérablement des nôtres. »
Ainsi verra-t-on régulièrement apparaître des êtres gigantesques, ou au contraire minuscules, capables parfois de communications mais souvent intellectuellement incompréhensibles. Des êtres totalement non-humains et fascinants.
Patrice Lajoye est ingénieur d’études au CNRS, traducteur et éditeur, spécialiste de littérature fantastique et de la science-fiction russe. [Découvrir son portrait]
Citer ce billet : Patrice Lajoye, "Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction soviétique," dans Le Carreau de la BULAC, 8 juillet 2020, https://bulac.hypotheses.org/30101. Consulté le 9 juillet 2020
Une nouvelle revue, intitulée Sources. Matériaux & Terrains en études africaines portée par le laboratoire Les Afriques dans le monde et le réseau des UMIFRE d’Afrique, vient de paraître en libre accès. Revue semestrielle à comité de relecture, elle s’éloigne des réflexions théoriques et épistémologiques pour centrer ses réflexions sur les matériaux de terrain de diverses natures. Le but poursuivi est de rendre accessibles des textes mais aussi des médias comme des images, des sons, des entretiens ou encore des notes de terrain. Cette volonté de mettre à disposition librement et au plus grand nombre les données de la recherche revêt une véritable dimension politique, en lien avec l’accès au savoir et les enjeux de conservation. Pour cela, les contributions sont déposées sur des plateformes numériques adaptées, qui assurent un archivage pérenne répondant aux principes du FAIR data.
Ce premier volume regroupe des publications diverses et pluridisciplinaires (ethnologie, archéologie, sociologie, sciences politiques, histoire et littérature) qui couvrent un large spectre chronologique, de l’Antiquité à nos jours. Un entretien avec Vincent Hiribarren clôture ce premier volume, riche par sa diversité. Pour en découvrir davantage, il suffit de cliquer ici !
Le laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM) est un pôle de recherche et d’enseignement pluridisciplinaire mixte, rattaché à la fois au CNRS et à Sciences Po Bordeaux. Ses champs de recherche sont multiples (sciences politiques, anthropologie, géographie, histoire et littérature) et concernent le continent africain, la Caraïbe ainsi que les sociétés issues des diasporas noires.
Le réseau des UMIFRE en Afrique est étendu et possède des antennes au Maroc, en Tunisie, en Égypte mais aussi au Soudan, au Nigéria, en Éthiopie, au Kenya et en Afrique du Sud.
Envie de prendre le large au-delà des frontières ? Cet été, la BULAC vous propose une excursion dans les sciences-fictions d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Voici le troisième épisode d’une série de dix en compagnie des contributeurs de l’exposition Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction, présentée à la BULAC du 17 février au 14 mars 2020.
Les voyageurs de l’espace de Satyajit Ray
La chute d’une météorite crée un cratère gigantesque. En son centre se trouve un cahier rouge, dans lequel est relaté un extraordinaire voyage dans l’espace… Ainsi débute l’histoire du personnage le plus connu de la science-fiction indienne : le professeur Shonku.
Satyajit Ray, Punasca Profesora Śanku, Ḍhākā : N̄auroja Kitābistān, 1993, collections de la BULAC, cote BIULO INDBE.III.1548.
Satyajit Ray, Prophesara Śaṅkura kāṇḍakārakhānā, Ḍhākā : Naoroja Kitābistāna, 1993, collections de la BULAC, cote BIULO INDBE.III.2416.
Imaginé par Satyajit Ray (1921-1992), célèbre dans le monde entier pour ses films (Le Salon de musique en 1958 et Le Monde d’Apu en 1959), ce héros culte de la littérature bengalie apparaît dans la revue Sandesh en 1961, puis dans une série de livres de science-fiction publiée à partir de 1965. Fils du Dr Tripureshwar Shonku, son nom complet est Trilokeshwar Shonku et il est inventeur de profession.
Inspiré du professeur Challenger d’Arthur Conan Doyle et d’un autre personnage créé par le père de Ray, Sukumar Ray, nommé Hesoram Hushiar – Hesoram l’ingénieux -, le professeur Shonku est représenté comme un génie scientifique excentrique et polyglotte (il maîtrise 69 langues). Dans la veine de la science-fiction classique du tournant du XXe siècle, celle de Jules Verne et H.G. Wells, Satyajit Ray fait vivre à son personnage des aventures extraordinaires pleines de mystère.
Dans une de ses aventures, Le Journal d’un voyageur de l’espace (ব্যোমযাত্রীর ডায়রি, 1961), le professeur Shonku s’envole dans l’espace à bord d’une fusée depuis son arrière-cour à Giridih (Inde, État du Jharkhand), accompagné de son fidèle mais pas très intelligent serviteur appelé Prahlad, de son chat Newton, âgé de 24 ans, et de son robot Bidhushekhar. Au-delà de son inspiration issue des premiers temps de la science-fiction, cette équipe n’est pas sans faire penser à Star Wars avec Obi-Wan Kenobi (Shonku), Jar Jar Binks (Prahlad), R2-D2 (Bidhushekar) et Chewbacca (Newton).
La science-fiction est souvent accusée de ne pas être « scientifiquement rigoureuse » ou fondée sur la science réelle, de dépeindre des lieux et des situations auxquels les gens ne peuvent pas se rapporter car ils ne sont pas ancrés dans un monde qui nous est familier, d’être complexe et alambiquée et de ne pas suffisamment anticiper l’avenir. Aucune de ces accusations ne peut être portée contre les romans de Jayant Narlikar.
Né en 1938, astrophysicien de renommée mondiale et reconnu pour ses thèses alternatives au Big Bang, Jayant Narlikar a notamment développé avec l’astronome anglais Sir Fred Hoyle une théorie de la gravité dans la continuité des travaux d’Einstein. Vulgarisateur infatigable de la science – à travers des livres, des articles et des programmes de radio et de télévision, dont le populaire Brahmand sur la chaîne nationale indienne – il est aussi, comme son mentor, Fred Hoyle, un écrivain de science-fiction.
Selon Jayant Narlikar, une définition très vague du genre a conduit à qualifier des histoires d’horreur de « science-fiction ». Sa préférence va à la science-fiction de Jules Verne et H.G. Wells qui, ancrés dans la science de leur époque, proposaient leur vision d’un avenir. Vu sous cet angle, le terme le plus applicable au travail de Jayant Narlikar, principalement écrit en marathi, mais aussi en anglais et en hindi, est alors « scientifiction », inventé par Hugo Gernsback (1884-1957), le fondateur de la revue américaine Amazing Stories. Ses romans les plus connus en marathi sont Vaman n’est pas revenu (वामन परत न आला, 1986), Virus (व्हायरस, 1996), Sanctuaire (अभयारण्य, 2002), et parmi les ouvrages en anglais, The return of Vaman (1988).
La fusion des mythologies et des sciences chez Samit Basu
Romancier et cinéaste né en 1979, Samit Basu écrit des romans fantastiques et de super-héros, des livres pour enfants, des romans graphiques et des nouvelles. Auteur de The Simoqin Prophecies, The Manticore’s Secret et The Unwaba Revelations, les trois parties de The GameWorld Trilogy (2004-2007) mais aussi de Turbulence (2012) et Resistance (2013), Samit Basu s’inscrit dans le contexte de la récente floraison de littérature indienne écrite en anglais. Les références culturelles sont nombreuses et diverses dans ses écrits, des Beatles à Star Wars en passant par les jeux traditionnels des enfants du Bengale.
Son intention est de créer des super-héros « authentiques » indiens. Il s’inspire de la mythologie indienne traditionnelle. Son univers englobe également des éléments d’autres civilisations. Alors que la science-fiction indienne du XXe siècle ne se basait que sur la science, son œuvre pioche à la fois dans la science et les mythologies, dans un croisement entre science-fiction et fantasy. Ses thématiques de prédilection sont la distinction entre le bien et le mal, la subjectivité de l’histoire et l’animosité entre les races, pour n’en citer que quelques-unes.
Citer ce billet : Hemlata Giri-Loussier, "Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction indienne," dans Le Carreau de la BULAC, 15 juillet 2020, https://bulac.hypotheses.org/30135. Consulté le 15 juillet 2020
Envie de prendre le large au-delà des frontières ? Cet été, la BULAC vous propose une excursion dans les sciences-fictions d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Voici le quatrième épisode d’une série de dix en compagnie des contributeurs de l’exposition Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction, présentée à la BULAC du 17 février au 14 mars 2020.
Les extraterrestres comme expression des mutations de la Turquie contemporaine
Le récit de SF, qualifié de « roman scientifique » (en turc, fenni roman), est inspiré des romans de Jules Verne, très lus dans l’Empire ottoman finissant. il est apparu à partir de la révolution jeune turque de 1908 comme un des genres liés à l’explosion du roman populaire.
Dès les débuts de la République turque (1923), les textes d’anticipation et les dystopies se multiplient, en écho au programme de modernisation du régime. Il faut pourtant attendre les années 1970 pour qu’un véritable courant, lié à la science-fiction anglo-américaine, émerge, dominé par trois tendances : la description de mondes lointains, la critique des comportements sociaux et la satire ; trois perspectives que l’on retrouve dans le traitement particulier du thème des extraterrestres.
3e album du caricaturiste Selçuk Erdem, Boyner Yayınları, Istanbul, 2012 (4e édition). – L’extraterrestre : « Bonjour Terrien, nous venons d’une civilisation très avancée. Tu peux nous poser la question de ton choix ! » – Le terrien turc : « Pour le sexe, vous faites comment ? »
L’apparition du thème des soucoupes volantes dans la presse turque date de 1948, quelques mois donc après l’affaire de Roswell (juillet 1947) qui a lancé le thème des extraterrestres aux États-Unis. L’entrée de la Turquie dans l’OTAN n’intervient qu’en 1952, mais, en réalité, depuis 1947, le pays s’est aligné militairement sur les États-Unis et reçoit leur aide économique. Pourtant, les apparitions d’ovnis ne semblent pas renvoyer à la peur d’un expansionnisme soviétique sur le territoire turc, une peur exprimée dès 1945. À partir des années 1950, les petits hommes verts se métamorphosent en… des femmes fantasmées, belles, libérées et dominantes.
3e album du caricaturiste Selçuk Erdem, Boyner Yayınları, Istanbul, 2012 (4e édition). « J’espère que l’akbil [le Navigo turc] marche ! »
C’est dans la littérature qu’éclot, en 1954, la première de ces créatures : la nouvelle éponyme du recueil de Tahsin Yücel, Uçan daireler (Les Soucoupes volantes), évoquant la profusion des articles sur les ovnis, les associent à une beauté aux yeux verts que le narrateur, divaguant, croit ensuite apercevoir dans l’autobus où il a pris place. Ce livre reste pourtant une exception : c’est le cinéma comme art, et la comédie comme genre, qui relayent le thème, érotisé, des extraterrestres.
Uçan Daireler Istanbul’da (Les Soucoupes volantes à Istanbul, 1955) d’Orhan Erçin, Turist Ömer uzay yolunda (Ömer le touriste dans l’espace, 1973) d’Hulki Saner, et G.O.R.A. (2004) d’Ömer Faruk Sorak sont les plus emblématiques de ces comédies, entre nanar et parodie turque de la SF américaine. Les années 1950 sont, en Turquie, le point de départ d’un mouvement d’exode rural et d’urbanisation massive qui va continuer jusqu’à nos jours. La grande ville est donc l’espace où des mondes sociaux traditionnels et modernes, turcs et occidentalisés, se rencontrent. Le motif principal de ces comédies est le récit d’enlèvements d’hommes ordinaires, mais roués, pour des voyages vers d’autres mondes et d’autres temps : une manière de signifier les défis d’une société modernisée et de ces rencontres improbables… avec des femmes si différentes.
Uzaylılar : Genel Bilgiler (Les Extraterrestres : informations générales), Bilim Araştırma Merkezi, Istanbul, 1978.
Les fanzines satiriques hebdomadaires de l’underground turc (Gırgır, Penguen, Leman, etc.), qui fleurissent à partir des années 1970, à Istanbul et Ankara, brodent à leur tour sur les Martiens, mais en délaissant la veine creusée par le cinéma : les petits hommes verts sont les porteurs d’un regard radicalement étranger. Il permet de fustiger, sur un mode comique, les travers, les excès et les incohérences d’une société urbaine, dont l’emballement est synonyme de dérèglement moral. Il dénonce également un nationalisme turc exacerbé, et obsédé par la négation des différences. C’est cette obsession qui pousse les personnages types de ces bandes dessinées à turquifier les extraterrestres qu’ils rencontrent, à l’instar de certains islamistes turcs, qui voient dans les hommes verts, les thuriféraires de l’islam. Un thème brocardé dans la comédie Kolonya Cumhuriyeti (La République de l’eau de Cologne, 2017) de Murat Kepez, où un extraterrestre, égaré dans un village de la côte égéenne, est promu imam et prend la tête d’une croisade anti-américaine.
Uzaylılar ve Uçan Daireler (Extraterrestres et soucoupes volantes), Istanbul, Milliyet Yay, 1975.
Le comique n’est cependant pas le seul registre cultivé à propos des ovnis. Un spiritisme turc, se réclamant de l’école française d’Allan Kardec, se développe à partir du milieu des années 1940. Il s’intéresse par définition, par le truchement du medium, à la pluralité des mondes habités. Il faut pourtant attendre les années 1960 pour qu’il s’empare de l’ufologie, avec pour arrière-plan la compétition soviéto-américaine pour la conquête de l’espace. Le public des spirites est néanmoins limité, et sa langue, souvent jargonneuse et absconse. Dans les années 1970, des éditeurs généralistes turcs popularisent par des traductions (celles des ouvrages de Peter Kolosimo, Erich von Däniken, etc.) ou des ouvrages originaux (notamment ceux du « Levantin » Giovanni Scognamillo, fin connaisseur du cinéma turc dans ses genres mineurs, de la SF et du fantastique à l’épouvante) la « théorie des anciens astronautes ». Cette théorie pseudo-scientifique postule que les grandes civilisations antiques et leurs ouvrages ont été « informés » par des visiteurs technologiquement et spirituellement beaucoup plus avancés. Le succès de ces livres aidant, cette thèse se diffuse ensuite dans l’industrie du tourisme national et contribue à réenchanter l’Anatolie, son patrimoine archéologique et ses richesses naturelles. Certaines régions, comme la Cappadoce et ses cheminées de fée, voient même apparaître, de manière plus ou moins éphémère, de musées des extraterrestres dans les années 2000.
Citer ce billet : Timour Muhidine et Alexandre Toumarkine, "Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction turque," dans Le Carreau de la BULAC, 22 juillet 2020, https://bulac.hypotheses.org/30140. Consulté le 22 juillet 2020
Voici un mode d’emploi pour vous guider dans le dépôt de votre thèse ! Déposer son manuscrit est une étape obligatoire pour pouvoir soutenir un doctorat au sein d’un établissement universitaire français. Il ne s’agit pas seulement d’une démarche administrative, mais surtout d’un enjeu à la fois pour le docteur et son établissement.
AVANT la soutenance
Étape 1
L’École doctorale envoie un mail pour confirmer que le doctorant peut déposer sa thèse à la BULAC.
Étape 2
Le doctorant envoie à l’adresse these@bulac.fr les fichiers électroniques suivants :
La version complète de la thèse en format PDF (intitulé du fichier : NOM_prenom_va)
La version de la thèse destinée à la diffusion au format PDF, c’est-à-dire le fichier sans les passages qui sont soumis à des droits de reproduction comme des illustrations, etc. Si tous les droits ont été acquis, il s’agira du même fichier que le point précédent (intitulé du fichier : NOM_prenom_vd).
Si des documents ont été ôtés, il faudra une liste des documents retirés au format PDF (NOM_prenom_documents_retires).
Un résumé en français de la thèse sous format texte (700 caractères maximum, espace inclus). (NOM_prenom_resume_fr.txt).
Un résumé en anglais de la thèse sous format texte (700 caractères maximum, espace inclus). (NOM_prenom_resume_eng.txt).
Les mots-clés de la thèse en français, limité à dix (NOM_prenom_mots_cles_fr.txt).
Les mots-clés de la thèse en anglais, limité à dix (NOM_prenom_mots_cles_eng.txt).
Il est indispensable, pour les fichiers de la thèse (version complète et version de diffusion) de vérifier que le PDF répond aux normes d’archivage (pour le vérifier, il suffit de se connecter ici, de charger les fichiers et de cliquer sur Validation).
Étape 3
L’équipe d’Appui à l’Enseignement et à la Recherche vérifie la validité de vos fichiers et vous fait parvenir une attestation de dépôt à votre nom. Il s’agit d’une étape indispensable à la soutenance.
APRÈS la soutenance
Vous avez soutenu votre thèse, félicitations ! Mais plusieurs étapes restent à franchir, essentielles pour que votre thèse soit correctement référencée, et donc accessible à la communauté universitaire.
Étape 4
Vous devez rendre à l’École Doctorale un dossier comprenant :
La charte de dépôt et de diffusion de la thèse préalablement signée par vous, votre ou vos directeur(s) de thèse, et la présidence de l’Inalco,
Le formulaire « Enregistrement de la thèse soutenue » signée par l’auteur et l’ED,
Le formulaire « Dépôt après soutenance » signé par l’auteur et le directeur de thèse (inclut l’autorisation de diffusion).
Étape 4 bis
Si(et seulement si !) le jury a demandé des corrections, le docteur doit transmettre une version corrigée de la thèse au format électronique, toujours à l’adresse theses@bulac.fr.
Si (et seulement si !), vous êtes dans l’un des cas suivants :
vous avez choisi de ne PAS diffuser votre thèse en ligne,
vous avez choisi de mettre en place une période d’embargo,
vous devez diffuser une version incomplète de la thèse.
Vous devez alors obligatoirement rendre à l’École doctorale un exemplaire imprimé de la thèse (dans le cas d’une thèse en plusieurs volumes, il faut un exemplaire de chaque volume). L’École Doctorale nous le fera parvenir.
Pour suivre au mieux cette procédure et pour tout comprendre sur la diffusion de votre thèse en libre accès, la BULAC vous propose une formation entre 14h30 et 16h00 le 29 septembre 2020, en salle de formation RJ 24, qui se situe au rez-de-jardin de la bibliothèque. Pour vous inscrire, vous devez remplir ce formulaire (le nombre de place est limité en raison de la situation sanitaire actuelle).
Vous avez une question ? vous n’arrivez pas à nous inscrire à la formation ? Contactez-nous à hal@bulac.fr.
Vous voulez en savoir plus ?
Vous pouvez consulter les ressources mises en place par l’INALCO.
Vous pouvez regarder cette vidéo de l’Université Paris Saclay, qui explique les choix qui sont offerts aux doctorants.
Envie de prendre le large au-delà des frontières ? Cet été, la BULAC vous propose une excursion dans les sciences-fictions d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Voici le cinquième épisode d’une série de dix en compagnie des contributeurs de l’exposition Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction, présentée à la BULAC du 17 février au 14 mars 2020.
Dès son essor dans les années 1970, décennie marquée par la parution des premiers livres de Leena Krohn (en particulier La Révolution verte), la science-fiction finlandaise s’est intéressée aux thèmes environnementaux, avec notamment des questionnements sur les rapports entre l’humanité et la nature.
Le genre a été popularisé dans les années 1990-2000, surtout depuis l’obtention du prix Finlandia par Johanna Sinisalo en 2000, pour son roman Jamais avant le coucher du soleil. Cet événement a marqué la reconnaissance à l’échelle nationale du genre de la science-fiction, auparavant largement perçu comme manquant d’ambition littéraire. Ce roman s’interroge sur la coexistence de la civilisation et de la nature sauvage, à travers la rencontre mouvementée entre un jeune homme et un troll.
Plusieurs romans et nouvelles parus ces vingt dernières années traitent la thématique écologique, comme Les Sables de Sarasvati, de Risto Isomäki, qui évoque entre autres la fonte du pergélisol et le risque consécutif d’émissions massives de gaz à effet de serre, Le Sang des fleurs, de Johanna Sinisalo, sur le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles, et Fille de l’eau, dans lequel Emmi Itäranta imagine une Finlande future où la distribution d’eau est contrôlée par un État totalitaire.
Citer ce billet : Martin Carayol, "Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction finlandaise," dans Le Carreau de la BULAC, 29 juillet 2020, https://bulac.hypotheses.org/30160. Consulté le 3 août 2020
Retrouvez la désormais traditionnelle sélection des bibliothécaires de la BULAC d’articles publiés sur des carnets de recherche Hypothèses.org. Pour ce mois de juillet, nous vous avons sélectionné des billets « évasion » ! Partez à la découverte des échanges épistolaires d’égyptologues du siècle dernier, écoutez des chansons enfantines japonaises, découvrez des affiches de pin-up mexicaines, faites un détour par le Harem avant de vous évader sur des sites archéologiques … et pourquoi pas finir par (re)lire Homère !
Si vous les avez manqués, voici également ceux du mois de mars, d’avril, de mai et de juin !
Envie de prendre le large au-delà des frontières ? Cet été, la BULAC vous propose une excursion dans les sciences-fictions d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Voici le sixième épisode d’une série de dix en compagnie des contributeurs de l’exposition Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction, présentée à la BULAC du 17 février au 14 mars 2020.
Steampunk et vaisseaux spatiaux : l’héritage japonais de Jules Verne
Considéré comme l’un des auteurs ayant initié la SF, Jules Verne a un double héritage au Japon.
Affiche du film de science-fiction japonais Atragon, réalisé par Ishirō Honda, sorti en 1963.
D’une part, il est l’un des premiers auteurs français traduits. Ces œuvres en versions japonaises ont été ensuite retraduites en chinois et ont largement contribué à l’émergence de la SF en Asie.
Verne a eu beaucoup d’impact sur les auteurs de la littérature de jeunesse comme Shunrō Oshikawa (押川 春浪) qui met en scène un formidable sous-marin influencé par Vingt mille lieues sous les mers et Face au drapeau dans son roman Le cuirassé du fond de la mer (海島冒険奇譚 海底軍艦).
Celui-ci a donné lieu à une série de romans populaires qui ont été adaptés en plusieurs longs métrages et séries dont Atragon (海底軍艦, 1963) et Super Atragon (新海底軍艦, 1995-1996). L’un des illustrateurs de cette veine est Shigeru Komatsuzaki. Il a participé à l’adaptation cinématographique du Cuirassé du fond de la mer, mais il est surtout connu en Occident pour son travail sur Thunderbirds.
Image de la série Fushigi no Umi no Nadia (Nadia, le secret de l’eau bleue), 1990-1991.
Par ailleurs, cette filiation des sous-marins et autres engins de guerre a inspiré le design des vaisseaux spatiaux de Leiji Matsumoto (松本零士), connu en France par l’adaptation de son manga Albator (宇宙海賊キャプテンハーロック, 1977-1979). Matsumoto a une influence majeure sur le genre du space opera avec Le cuirassé de l’espace Yamato (宇宙戦艦ヤマト, 1974-1975).
Outre son influence sur les récits mettant en scène les engins militaires, Jules Verne a également inspiré le courant du steampunk japonais. Ce courant de la science-fiction repose sur une forme d’uchronie où les machines à vapeur remplacent les turbines à énergie nucléaire, l’acier et les boulons apparents supplantent les matières plastiques.
Verne est directement évoqué dans les vidéos complémentaires de la série Nadia, le secret de l’eau bleue (ふしぎの海のナディア, 1990-1991), dont l’intrigue débute à Paris durant une exposition universelle. Une autre exposition universelle, cette fois-ci à Londres, est l’un des éléments clefs du film d’animation Steamboy (スチームボーイ, 2004) réalisé par Katsuhiro Ōtomo (大友 克洋).
La science-fiction japonaise repose sur une forme d’admiration pour les sciences et la technologie occidentales, mais ses manifestations graphiques y mêlent de nombreux thèmes traditionnels, repris dans une perspective inédite.
Scène de parade dans le film d’animation Paprika, réalisé par Satoshi Kon, sorti en 2006.
Les artistes puisent notamment dans le riche héritage visuel des parades de monstres (百鬼夜行). Ces processions figurent dans les contes rédigés au XIIIe siècle (Contes d’Uji 宇治拾遺物語,) comme dans les rouleaux de peinture japonaise (Hyakki Yagyō Zu 百鬼夜行図) dès le XVIe siècle.
Dans Paprika (パプリカ, 2006), film d’animation adapté du roman éponyme de Yasutaka Tsutsui (筒井 康隆), la parade de monstres rassemble à la fois tanuki, daruma et torī, robots, jouets et statue de la liberté dans un défilé hallucinatoire. En un sens, les produits contemporains sont devenus des tsukumogami (付喪神), des objets devenus vivants.
Cette parade de yokai modernes fait écho à Robot Carnival, anthologie de courts métrages dont la séquence titre met en scène une forme de caravane de cirque où des automates remplacent les humains.
Dans le film Ghost in the Shell 2 (イノセンス, 2004), une autre parade mélange représentations religieuses asiatiques traditionnelles et robots dans un environnement futuriste et désenchanté. Le même long métrage crée une filiation entre les automates japonais (karakuri ningyō 絡繰り人形), les poupées de Hans Bellmer et les cyborgs.
Ce type d’hybridation entre les références occidentales et asiatiques se retrouve dans de nombreuses œuvres comme l’introduction de Short Peace (ショート・ピース, 2013) où une Alice au pays des merveilles moderne passe sous un torī pour suivre un lapin blanc disparaissant dans un écran virtuel.
Jaquette du film d’animation Innocence: Ghost in the Shell 2, réalisé par Mamoru Oshii, sorti en 2004. Illustration d’Hiroyuki Okiura.
Scène de parade dans le film d’animation Innocence: Ghost in the Shell 2, réalisé par Mamoru Oshii, sorti en 2004.
D’autres personnages iconiques comme le roi des singes (孫悟空) sont réinterprétés dans des contextes de SF. Dans Paprika, l’avatar de l’héroïne revêt l’apparence traditionnelle du personnage tandis que dans Midnight eye Goku (Midnight Eye ゴクウ, 1987-1989), Buichi Terasawa (寺沢 武一) reprend certains éléments dans un monde cyberpunk.
Citer ce billet : Bounthavy Suvilay, "Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction japonaise 1/2," dans Le Carreau de la BULAC, 5 août 2020, https://bulac.hypotheses.org/30166. Consulté le 5 août 2020
Envie de prendre le large au-delà des frontières ? Cet été, la BULAC vous propose une excursion dans les sciences-fictions d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Voici le septième épisode d’une série de dix en compagnie des contributeurs de l’exposition Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction, présentée à la BULAC du 17 février au 14 mars 2020.
À l’aube du XXIe siècle, malgré le succès international des anime et des mangas, l’intérêt pour la science-fiction littéraire diminue, obligeant les éditeurs à trouver des parades.
Satoshi Hase, My Humanity, Tokyo : Hayakawa shobō, 2015.
Apparaissent alors les lights novels, des romans de science-fiction et de fantasy destinés à un public de jeunes adultes, dont le modèle économique repose sur celui des mangas. Agrémentés d’illustrations, ils sont d’abord sérialisés avant de paraître en livres de format poche. Souvent, ils adaptent ou sont des adaptations d’anime, de mangas, ou encore de jeux vidéo. Le media mix – le fait qu’une œuvre ou une licence navigue entre plusieurs media – prend une part de plus en plus importante dans le paysage de la SF.
De 2003 à 2008, Shiozawa Yoshihiro, rédacteur en chef de SF Magjin (la principale revue dédiée au genre), lance une nouvelle collection de science-fiction japonaise dans le but de promouvoir de jeunes talents. Leurs œuvres, qualifiées de real fiction, connaissent un rapide succès. Sous des airs de simulations virtuelles reflétant l’influence grandissante des jeux vidéo, elles explorent des fragments du réel postmoderne sur un ton souvent pessimiste.
L’une des premières figures à émerger, Ubukata Tō (冲方 丁), à la fois écrivain et scénariste, est emblématique de la nouvelle génération. Ses œuvres, qui sondent avec violence et cruauté la psyché humaine – il suffit de songer à Mardock Scramble, lauréat du Grand prix de SF japonais en 2003 –, ont fait l’objet de nombreuses adaptations.
Enjoe Toh, エピローグ (Épilogue), Tokyo : Hayakawa shobō, 2015.
Itō Keikaku 伊藤 計劃 (Project Itoh) et Miyauchi Yūsuke (宮内 悠介) interrogent l’ordre mondial au XXIe siècle en abordant la problématique des libertés individuelles et du contrôle de l’information, notamment à travers le thème de la guerre. Ils explorent aussi, avec Tobi Hirotaka (飛 浩隆) et Hase Satoshi (長谷敏司), de nouvelles façons d’envisager l’humain à l’heure où les bio-nanotechnologies laissent entrevoir une hybridation toujours plus subtile entre le vivant et la technique. Hayashi Jōji (林讓治) et Nojiri Hōsuke (野尻 抱介) revisitent le space opera, tandis qu’Enjoe Toh (円城 塔) joue avec les concepts physiques, mathématiques et littéraires dans un style expérimental. Mais les questions de la conscience et du pouvoir du langage sont au centre de leurs récits où l’intelligence artificielle apparaît de manière récurrente.
Denis Taillandier est maître de conférences à l’université Ritsumeikan (Japon), spécialiste de l’imaginaire scientifique et technologique et de la culture japonaise. [Découvrir son portrait]
Citer ce billet : Denis Taillandier, "Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction japonaise 2/2," dans Le Carreau de la BULAC, 11 août 2020, https://bulac.hypotheses.org/30172. Consulté le 13 août 2020
Envie de prendre le large au-delà des frontières ? Cet été, la BULAC vous propose une excursion dans les sciences-fictions d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Voici le huitième épisode d’une série de dix en compagnie des contributeurs de l’exposition Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction, présentée à la BULAC du 17 février au 14 mars 2020.
Han Song : la soft science-fiction comme commentaire social
La soft science-fiction peut désigner deux types de science-fiction. La première est principalement axée sur le progrès ou l’extrapolation des sciences humaines, comprenant les sciences sociales mais pas les sciences naturelles. Dans la seconde, la science n’occupe pas une part importante dans le récit.
Illustration présente sur la couverture du roman de Han Song Ditie (Métro), paru en 2010.
Han Song (1965-) est journaliste à l’agence de presse officielle Xinhua le jour et écrivain la nuit ; il est l’un des représentants de la nouvelle vague d’auteurs chinois de science-fiction.
Han Song, Yiyuan (L’Hôpital), 2016.
Dans ses œuvres, il apporte des réflexions sur la technologie et la modernité. Il affiche une inquiétude vis-à-vis des développements scientifiques et technologiques, ainsi que de leur impact sur l’humanité, et en particulier sur le peuple chinois. Il a plusieurs thèmes de prédilection, donc cinq principaux qui se retrouvent fréquemment dans ses écrits, à savoir : la rivalité hégémonique entre la Chine et les États-Unis, le développement à tombeau ouvert de la Chine, la noirceur de l’histoire humaine, l’essor et le déclin des civilisations, le sentiment d’échec et d’impuissance de l’Homme ordinaire confronté à des puissances humaines ou mystérieuses qui le dépassent.
Han Song semble préférer les écrits engagés qui lui permettent d’énoncer pleinement ses préoccupations. Pour lui, la SF est une littérature qui a pour tâche la critique sociale et l’élaboration de visions du monde. Ses écrits dépeignent une réalité autre qui éclaire notre propre réalité. Ainsi, la SF est, sous sa plume, comme un miroir, tantôt inversé tantôt grossissant, du passé, du présent et d’un éventuel futur. Il donne plus de place, dans ses écrits, à la critique historique et sociale, ainsi qu’à la philosophie, qu’aux descriptions techniques et scientifiques. Ses ouvrages expriment ses réflexions sur cette société en pleine mutation, avec ses problèmes et ses inquiétudes.
Liu Cixin : une hard science-fiction vertigineuse comme sonde de notre monde
La hard science-fiction est une forme de science-fiction « qui a pour épine dorsale la science établie ou son extrapolation prudente ».
Liu Cixin (1963-) est l’auteur de SF le plus célèbre en Chine, notamment pour sa trilogie 三体 (Le Problème à Trois Corps), dont la traduction anglaise du premier volume a obtenu le prix Hugo 2015 du meilleur roman. Il fut ingénieur informaticien dans une centrale hydroélectrique de la province du Shaanxi, mais vit désormais de sa plume.
Illustration présente dans la version originale du premier volume de la trilogie des Trois Corps.
Nous retrouvons parmi ses thèmes fétiches les catastrophes naturelles et écologiques mettant en péril la survie de l’humanité, ou encore le développement scientifique dans lequel il se permet de longues descriptions techniques.
En effet, Liu Cixin pourrait être qualifié d’auteur de hard-SF, puisqu’il utilise des concepts scientifiques et techniques poussés dans lesquels il distille ses réflexions sur la Chine, le monde, la morale, et l’être humain en général. Ainsi, s’il s’attache à décrire de manière très détaillée et à extrapoler de façon mirobolante les théories scientifiques les plus avancées, c’est aussi et surtout pour mieux imaginer et décrire l’évolution des sociétés. Il ne fait pas preuve d’un positivisme et d’un scientisme béats comme certains de ses homologues, mais pousse à leur paroxysme des concepts déjà connus de SF pour mieux sonder les limites de l’idéologie et de l’éthique dans un univers qui semble amoral. À la lecture de ses œuvres, on découvre donc une science-fiction à la fois intimiste et « réaliste », ponctuée de passages grandiloquents, proches du space opera, et vertigineux.
Loïc Aloisio est doctorant en langue et littérature chinoises à Aix-Marseille Université, spécialiste de la nouvelle génération d’auteurs de science-fiction chinoise. [Découvrir son portrait]
Citer ce billet : Loïc Aloisio, "Futurs d’ailleurs : voyage en sience-fiction chinoise," dans Le Carreau de la BULAC, 19 août 2020, https://bulac.hypotheses.org/30176. Consulté le 19 août 2020
Envie de prendre le large au-delà des frontières ? Cet été, la BULAC vous propose une excursion dans les sciences-fictions d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Voici le neuvième épisode d’une série de dix en compagnie des contributeurs de l’exposition Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction, présentée à la BULAC du 17 février au 14 mars 2020.
Nigéria – Les grands nombres et la surpopulation
Pays de records, le Nigéria occupe depuis 2009 la place de 2e puissance cinématographique du monde. Avec 2 000 films produits par an, Nollywood talonne ainsi Bollywood (Inde) et surpasse Hollywood (États-Unis).
À côté de cela, le Nigéria est le pays le plus peuplé d’Afrique avec 203 millions d’habitants en 2018. D’après les prévisions les plus récentes, il en comptera 410 millions en 2050, devenant ainsi le 3e pays le plus peuplé du monde après la Chine et l’Inde.
La réduction des naissances reste un débat difficile dans ce pays, car les enfants représentent, pour beaucoup, une richesse et un espoir plutôt qu’une possible catastrophe. « L’idée que plus on a d’enfants, mieux ils prendront en charge leurs parents » reste très ancrée dans les mentalités.
On retrouve cette vision de la fertilité comme une bénédiction à la fois privée et publique dans le texte de Lesley Nneka Arimah publié dans le numéro spécial de la revue Galaxies consacré à la science-fiction africaine et sélectionné pour le Grand Prix de l’Imaginaire 2017.
Le lecteur se plongera également avec intérêt dans les œuvres de Buchi Emecheta (The Rape of Shavi), Nnedi Okorafor (Qui a peur de la mort / Who fears Death,Lagoon), Ben Okri (La route de la faim), Wole Talabi (Incomplete solutions), Tade Thompson (Rosewater) et Amos Tutuola (L’ivrogne dans la brousse).
Le Sénégal du poète Léopold Sédar Senghor et du chanteur Youssou Ndour est situé à l’ouest du continent africain, entre l’océan Atlantique, le Mali, la Mauritanie et la Guinée.
Les Sénégalais doivent, comme la plupart des habitants des pays d’Afrique Noire, faire avec ce qu’on appelle « l’héritage colonial ».
Dans une production culturelle marquée par l’ambiguïté du lien historique, on retrouve ces questionnements sur le rapport à l’empire colonial. Qu’en faire ? S’en réclamer ? S’en détacher ? Rester sur place ? Y aller ?
La science-fiction des pays francophones peut servir de véhicule pour exprimer de telles interrogations. Ainsi, « Le Migrant volant » de Mame Bougouma Diene présente un personnage qui, dans un futur proche, s’est fabriqué une machine volante extraordinaire et ne jure que par l’Europe.
Pour le Mauritanien Moussa Ould Ebnou, comme il le montre dans son « Dregdreg » (Galaxies SF NS, n°46), c’est la question des cultures concurrentes qui est saillante. Que se passe-t-il quand les valeurs traditionnelles locales cohabitent avec les industries de « là-bas » ?
La politique-fiction Aux États-Unis d’Afrique d’Abdourahman A. Waberi illustre l’injustice ordinaire à l’échelle du monde. La question coloniale et la thématique du choc des cultures est également abordée par Buchi Emecheta (The Rape of Shavi), Nisi Shawl (Everfair) et Sofia Samatar (Un étranger en Olondre).
La rencontre peut prendre des formes extrêmes, comme dans le film District 9, de Neill Blomkamp (2009) qui met en scène des extraterrestres nombreux et affamés parqués dans un camp de réfugiés.
D’autres fois, ce sont des caractéristiques plus insolites qui différencient les uns des autres. Lauren Beukes en donne un exemple avec son Zoo City, dans lequel les criminels sont repérables aux animaux symbiotiques dont ils sont affublés.
L’étrangeté, en science-fiction, s’incarne aussi, plus subtilement, dans une façon d’observer ses semblables et ce qui devait paraître familier, avec un décalage, un petit pas de côté.
C’est ainsi que se construit l’ambiance onirique du texte de Diane Awerbuck, Leatherman, qui imprime à son récit, dès le départ et jusqu’au bout, une forme d’irréalité, un effet science-fiction.
Le thème de l’altérité et la rencontre traverse également les œuvres de Nnedi Okorafor (Lagoon), Buchi Emecheta (The Rape of Shavi) et Tade Thompson (Rosewater).
Citer ce billet : Ketty Steward, "Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction africaine," dans Le Carreau de la BULAC, 26 août 2020, https://bulac.hypotheses.org/30192. Consulté le 27 août 2020
Les bibliothécaires de la BULAC vous proposent depuis plusieurs mois de découvrir des articles publiés sur des carnets de recherche Hypothèses.org. Pour la rentrée, nous avons sélectionné des billets en lien avec l’actualité du mois d’août et l’histoire des femmes, avec des détours par l’histoire antique mais aussi coloniale. Bonne lecture à tous !
Si vous les avez manqués, voici également ceux du mois de mars, d’avril, de mai, de juin et de juillet !
D’autres envies de lecture ? Vous avez peut-être manqué la série d’été « Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction », qui vous invite à mieux connaître les collections patrimoniales de la bibliothèque de la BULAC en s’intéressant aux sciences-fictions d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Pour tous les lire : cliquez ici !
La bibliographie de l’agrégation d’arabe comporte plusieurs ouvrages disponibles en ligne et de nombreux articles de revues, disponibles au format papier ou électronique. Les textes au programme et la bibliographie indicative détaillée des livres conseillés pour l’agrégation d’arabe 2021 sont par ailleurs disponibles parmi les bibliographies de cours proposées sur le catalogue pour retrouver plus facilement les ouvrages disponibles à la BULAC.
Pour faciliter la recherche des articles et des ressources en ligne au programme, nous vous proposons cette bibliographie qui facilitera l’identification des revues et propose une sélection de ressources en ligne achetées par la bibliothèques ou disponibles en accès libre.
Question 1. Linguistique – al-luġa l-fuṣḥā wa-muḫtalaf luġāt al-ʿarab : la formation de la ʿarabiyya en question
Textes d’explication
Suyūṭī, ʿAbd al-Raḥmān b. ʾAbī Bakr b. Muḥammad b. Sābiq al-Dīn Ǧalāl al-Dīn al-Ḫuḍayrī al-Šāfiʿī, al-Muzhir fī ʿulūm al-luġa wa-ʾanwāʿi-hā. éds. Muḥammad ʾAḥmad Ǧār al-Mawlā et al, Beyrouth, al-Maktaba al-ʿarabiyya, chap. 9 à 17, vol. 1, p. 184-265, de al-nawʿ al-tāsiʿ : maʿrifat al-faṣīḥ à al-naw‘ al-sābiʿ ʿašar : maʿrifat tadāḫul al-luġāt [Disponible en ligne en accès libre].
———, al-ʾItqān fī ʿulūm al-Qurʾān, éd. Muḥammad ʾAbū al-Faḍl ʾIbrāhīm, Le Caire, al-Hayʾa al-miṣriyya al-ʿāmma li-l-kitāb, 1e éd., 4 vol., 1974, chap. 37, vol. 2, p. 106-124 fīmā waqa‘a fīhi bi-ġayr luġat al-ḥiǧāz [ou tout autre édition, dont Šu‘ayb al-Arna’ūṭ, p. 282-287, [Disponible en ligne en accès libre].
Bibliographie indicative
AL-JALLAD, Ahmad. 2017. « The Arabic of the Islamic conquests: notes on phonology and morphology based on the Greek transcriptions from the first Islamic century” ». Bulletin of SOAS, 80/3, p. 419–39.[Disponible en salle de lecture, au Rez-de-Jardin. Cote : 0 BSOAS]
AL-SHARKAWI, Muhammad. 2015. “Case-Marking in Pre-Islamic Arabic: The Evolutionary Status”. Zeitschrift für arabische Linguistik, 62 p.38–67. [Disponible en salle de lecture, au Rez-de-Jardin. Cote : 23 XA ZAL] [Disponible en ligne avec authentification]
BLAU, Joshua. 1963. “The Role of the Bedouins as Arbiters in Linguistic Questions ans the masʾala az-zunburiyya”. Journal of Semitic Studies 8/1, p. 42–51. [Repr., Studies in Middle Arabic and its Judaeo-Arabic variety. Jerusalem: Magnes Press, 1988]. [Consultable en version imprimée] [Disponible en ligne avec authentification]
BLAU, Joshua. 1977. “The Beginning of the Arabic Diglossia: A Study of the Origin of Neo-Arabic”. Afroasiatic Linguistics, 4, p. 2–28. [Disponible en ligne en accès libre]
BOHAS, Georges et al. 2014-2015. “Une nouvelle dimension du domaine de la kashkasha”. Al-Abhath, 62-63, p. 5-31. [Disponible en salle de lecture, au Rez-de-Jardin. Cote : 23XA ABH]
KOULOUGHLI, Djamel Eddine. 2002. “L’influence muʿtazilite sur la naissance et le développement de la rhétorique arabe”. Arabic Sciences and Philosophy, 12/2, p. 217–39 [Disponible en ligne avec authentification]
LARCHER, Pierre. 2001. “Le parler des Arabes de Cyrénaïque vu par un voyageur marocain du XIIIe siècle”. Arabica, 48/3, 368–82. [Disponible en ligne avec authentification]
LARCHER, Pierre. 2008b. “Qu’est-ce que l’arabe du Coran ? Réflexions d’un linguiste”. Linguistique arabe, Cahiers de linguistique de l’INALCO, 5, p. 27–47. [Consultable en version imprimée]
RABIN, Chaïm. 1951. Ancient West-Arabian: A study of the dialects of the western highlands of Arabia in the sixth and seventh centuries A.D. London: Taylor’s Foreign Press. [Disponible en ligne en accès libre]
VERSTEEGH, Kees. 1990. “Grammar and Exegesis. The origins of Kufan Grammar and the Tafsīr Muqātil”. Der Islam, 4, p. 206–42. [Disponible en ligne sur authentification]
Question n°2 – Littérature médiévale. La question du plagiat (sariqa) et la notion de maʿnā dans la tradition poétique arabe au Moyen-Âge : le cas d’al-Mutanabbī [nouvelle question]
Textes d’explication
Al-Ǧurǧānī, al-qāḍī ‘Alī b. ‘Abd al-‘Azīz, Al-Wasāṭa bayna l-Mutanabbī wa-ḫuṣūmihi, éd. Muḥammad Abū l-Faḍl Ibrāhīm & ‘Alī Muḥammad al-Biǧāwī, Beyrouth, Dār al-Qalam, 1966, de la page 216 (sariqāt al-Mutanabbī) à la page 264 ; de la page 415 (difā‘ al-mu’allif ‘an Abī l-Ṭayyib) à la page 479 (fin de l’ouvrage) [Disponible en ligne en accès libre].
Bibliographie indicative. Études sur la rencontre entre al-Mutanabbī et al-Ḥātimī
BONEBAKER, S. A. Ḥātimī and His Encounter wiṭh Mutanabbī : A Biographical Sketch, Amsterdam: North-holland Publishing Company, 1984. [Disponible en ligne en accès libre]
SANNI, Amidu, « The Historic Encounter between al-Mutanabbī and al-Ḥatimī : Its Contribution to the Discourse on Ghuluww (Hyberbole) in Arabic Literary Theory », Journal of Arabic Literature, XXXV, 2, Leiden, Brill, 2004. [Consultable en version imprimée] [Disponible en ligne sur authentification]
Bibliographie indicative. Ouvrages médiévaux comprenant de nombreuses pages sur la question du plagiat :
المنصف للسارق والمسروق منه ، في إظهار سرقات أبي الطيب المتنبي أبي محمد الحسن بن علي بن وكيع ( 393 ه
Question n°3. Littérature moderne et contemporaine. Un romancier de l’Irak contemporain, Sinān Anṭūn
Bibliographie indicative
AHMAD ‘Adnān Ḥusayn, article sur Waḥdahā šaǧarat al-rummān, Al-Ḥiwār al-mutamaddin, 23 novembre 2010. [Disponible en ligne en accès libre]
ELIMELEKH Geula, “Disintegration and Hope for Revival in the Land of the Two Rivers as Reflected in the Novels of Sinan Antoon”, Oriente Moderno. 2017, 97(2), p. 229-255. [Disponible en salle de lecture, au Rez-de-Jardin. Cote : 2 OMO].
YEBRA José M., “Iraq Wars from the other Side: Transmodern Reconciliation in Sinan Antoon’s The Corpse Washer”. Societies, 2018, 8(3), 79. [Disponible en ligne en accès libre]
ZILIO-GRANDI Ida, « La VIerge Marie dans le Coran », Revue d’histoire des religions, 1997, 214-1, p. 57-103. [Disponible en ligne en accès libre]
Question n°4 – Culture et civilisation médiévales : La construction historique de l’arabité au III e /IX e siècle
Texte d’explication
Al-Ya‘qūbī, Ta’rīkh, éd. M. Th. Houtsma, Ibn-Wādhih qui divitur al-Ja‘qubī Historiae, Leyde, Brill, 1883, vol. 1, p. 220-314 (chapitres sur les rois du Yémen, les rois yéménites de Syrie, les rois yéménites d’al-Ḥīra, la guerre de Kinda, les descendants d’Ismā‘īl b. Ibrāhīm, les religions des Arabes, les devins des Arabes, les poètes des Arabes et les marchés des Arabes). [Disponible en ligne en libre accès]
Bibliographie indicative
GORDON Matthew S., ROBINSON Chase F., ROWSON Everett K., FISHBEIN Michael (ed.), The Works of Ibn Wāḍiḥ al-Ya‘qūbī, Leyde, Brill, 2018, vol. 2. [Accessible en ligne sur authentification]
ROBIN Christian Julien, « Ḥimyar, des inscriptions aux traditions », Jerusalem Studies on Arabic and Islam, 30 (2005), p.1-5. [Consultable en version imprimée]
ROBIN Christian Julien Le judaïsme de l’Arabie antique. Actes du colloque de Jérusalem, février 2006, Brepols, 2015.1 [Disponible en version imprimée]. L’article e « Quel judaĩsme en Arabie? », p15-295 est [disponible en ligne].
BOWEN SAVANT Sarah, “Naming Shu‘ubis”, in Essays in Islamic Philology, History and Philosophy, Berlin, De Gruyter, 2016, p. 166-184. [Disponible en ligne]
Question n°5 – Culture et civilisation modernes et contemporaines. Le pèlerinage en islam (ḥaǧǧ, ziyāra, mawsim/mawlid), un phénomène polymorphe : géographie sacrée, pratiques religieuses et enjeux politiques à l’époque moderne et contemporaine.
Textes d’explication
L’ensemble des textes d’explication de cette question sont placés au téléchargement sur le site interuniversitaire des concours d’arabe : https://aracapag.hypotheses.org/2086
Alors que l’accès aux fonds d’archives sur le terrain au Moyen-Orient est de plus en plus complexe, de nombreux fonds documentaires sont disponibles en Île-de-France. Toutefois, compte tenu de la diversité des lieux de conservation et l’existence de nombreux fonds encore mal ou peu décrits, il reste très complexe d’avoir un aperçu des ressources disponibles.
Pour accompagner les étudiants qui entament un master ou un doctorat portant sur le Moyen-Orient, la BULAC et le groupement d’intérêt scientifique Moyen-Orient et mondes musulmans (GIS MOMM), organisent une table ronde le jeudi 15 octobre prochain de 15h à 17h30. Celle ci permettra de présenter les ressources proposées par quatre quatre établissements, la BnF, la BULAC, le Campus Condorcet et le Musée du Louvre, afin de partager des informations pratiques sur l’accès à ses fonds ainsi qu’un vademecum méthodologique pour explorer ces sources et leurs catalogues.
La rencontre se tiendra dans l’Auditorium du Pôle des langues et civilisations. Afin de respecter la jauge d’accueil de la salle, il est indispensable de s’inscrire pour y assister. Les échanges seront également diffusés sur la chaîne vidéo de la BULAC.
Atelier d’études des bibliothèques universitaires chinoises 2020
du 14 au 23 avril 2020 (22 heures en ligne)
Depuis longtemps je souhaitais connaître la situation concrète et le développement des bibliothèques universitaires en Chine. À cause de la pandémie du Covid 19, la formation « Atelier d’études des bibliothèques universitaires chinoises », coordonnée par les bibliothèques de l’Université de Wuhan et de l’Université Tsinghua ainsi que par le fournisseur CNKI, a été organisée, pour la première fois, en ligne et ouverte à tous les bibliothécaires. J’ai ainsi eu l’opportunité, sans me déplacer en Chine, de suivre cette formation pendant dix jours, avec 16000 collègues chinois. Les formateurs, vingt-deux directeurs de bibliothèques universitaires, sont intervenus à propos de problématiques diverses dont l’adaptation urgente des bibliothèques face au Covid 19, l’avenir des bibliothèques, les nouveaux services liés aux nouvelles technologies, la gestion de la nouvelle génération de bibliothèques…
Ce rapport synthétise mes notes et mes réflexions à propos de cette riche formation.
Les bibliothèques universitaires face au Covid 19 : expérience chinoise
L’irruption de la pandémie a interrompu soudainement les activités des universités et des bibliothèques. Avant cette crise sanitaire inédite, personne n’avait jamais réfléchi à comment une bibliothèque fonctionne lorsqu’elle est fermée longtemps à cause d’un impact extérieur. Les bibliothèques universitaires chinoises lancent très tôt leur programme pour maintenir un maximum de services. Par exemple, la bibliothèque de l’Université de Xiamen ouvre en premier un guichet prêt-retour. En scannant les codes QR liés à leurs comptes, les étudiants peuvent récupérer sans contact physique les livres commandés qui sont mis dans un sac plastique. De plus, tous ces livres prêt-retour sont systématiquement désinfectés dans une machine prévue à cet effet. Puis la bibliothèque lance un service de numérisation à la demande.
Pour rester en communication avec les étudiants, de nombreuses bibliothèques transfèrent leurs services en ligne. La bibliothèque de l’Université d’économie et de finances de Tianjin réorganise ses agents et établit une équipe consacrée spécialement à gérer le réseau social Wechat, pour répondre à tous les demandes des étudiants en 24 heures et en diffusant de nombreuses notifications quotidiennes sur les collections monographiques et sur les ressources électroniques. Il faut souligner que l’achat des ressources électroniques dans la majorité des bibliothèques dépasse largement celui des monographies imprimées : 70% du budget consacré aux sciences dures et 55% aux sciences humaines et sociales correspondent à des achats de ressources électroniques. Certaines universités étaient mieux préparées à proposer des services en ligne. Par exemple, la bibliothèque de l’Université Tsinghua a créé depuis 2010 une plateforme pédagogique qui réunit toutes les sources numériques (manuels, livres de bibliographie du cours, articles ou rapport d’études recommandés par enseignants, etc.) et même certains cours enregistrés en vidéo auparavant. Les étudiants ont ainsi pu continuer à suivre leurs études presque normalement sur la plateforme de la bibliothèque. Selon une statistique datée du 3 avril, pendant le confinement, 1454 universités ont lancé des enseignements en ligne, 950 000 enseignants ont effectués 942 000 cours à distance pour plus de 7.3 millions d’étudiants, soit sur les plateformes numériques des universités, soit par Moocs. La pandémie a ainsi accéléré le passage à un enseignement en distance et de nombreuses universités envisagent de construire leurs propres plateformes pédagogiques qui seront gérées principalement par les bibliothèques.
L’avenir des bibliothèques
Face aux avancées des nouvelles techniques numériques et, selon un rapport de la Fédération Internationale des Associations et Institutions des Bibliothèques (IFLA) de 2017, une tendance, qui remet en cause le rôle traditionnel des bibliothèques, est apparue ces dernières années. Les bibliothèques sont ainsi mises au défi, dans un climat d’incertitude, de défendre leur raison d’être et d’évoluer. Selon M. Cheng Huanwen, professeur de bibliothéconomie à l’Université Sun Yat-sen et membre du conseil d’administration de l’IFLA, le plus urgent actuellement est de renforcer le soft power des bibliothèques dans la mondialisation, et de valoriser les fonctions indispensables des bibliothèques dans la transmission des valeurs d’égalité et de liberté. Simultanément, les bibliothèques doivent dépasser leur logique traditionnelle de fonctionnement pour s’insérer plus dans la société, créer des liens plus forts avec la société afin de participer plus activement au développement de celle-ci. Quoique le manque de financement budgétaire pour les bibliothèques existe dans tous les pays, ces dernières doivent être pro-actives auprès de leurs publics et des instances gouvernementales pour obtenir leur soutien. Ou, d’une autre manière, les bibliothèques peuvent développer des ressources propres pour obtenir de nouvelles sources de financement. Par exemple, en Chine, certaines bibliothèques ont investi dans des activités extérieures à leurs missions pour s’auto-financer tels que des investissements immobiliers, ou en ouvrant des annexes dans des centres de commerce, des aéroports et des résidences immobilières.
Bibliothèque Binhai à Tianjin
Un autre axe est développé par la vice-directrice de la bibliothèque de l’Université Cornell, Mme Li Xin. Depuis longtemps, les meilleures universités américaines ne pensent qu’à former les élites et sont en concurrence les unes avec les autres. Cependant la pandémie actuelle dévoile l’immense inégalité qui traverse les sociétés, entre les personnes dans un même pays et entre les pays. Les universités doivent changer leurs perspectives, entrer en coopération plutôt qu’en concurrence, former plus de citoyens internationaux et moins viser les élites. Les bibliothèques doivent également changer leurs modes de fonctionnement : rechercher à partager plus leurs collections auprès de publics plus nombreux, plutôt que de développer prioritairement la meilleure collection. Ce partage des savoirs doit être encouragé avec les pays en voie de développement afin d’étendre le droit de lire et de penser. Concrètement, cela peut être l’achat d’un plus grand nombre de livres en langue vernaculaire, ou envoyer des bibliothécaires dans les pays africains pour aider à construire des bibliothèques… Enfin, les bibliothèques du futur doivent prendre leur part de responsabilité pour diminuer l’inégalité d’accès aux savoirs et aux informations.
Les nouvelles missions des bibliothécaires des bibliothèques universitaires en Chine
Avec la rapide progression d’achat des eBooks et des ressources électroniques, les bibliothèques universitaires chinoises ont vu leur rôle changer par rapport à celui des bibliothèques traditionnelles. Dans certaines universités, comme la bibliothèque de l’Université de Chongqing, même si l’acquisition de monographies imprimées par les bibliothécaires est maintenue, les acquisitions sont de plus en plus effectuées directement par les étudiants et enseignants. Selon leurs besoins, ils peuvent acheter, à partir de leur compte de lecteurs, sur un site en ligne partenaire de la bibliothèque, puis les livres sont livrés directement chez eux. Après la lecture de ces livres, ils remettent les livres à la bibliothèque pour qu’ils soient catalogués. Cela permet de décharger en partie les bibliothécaires d’une de leurs premières missions traditionnelles, la veille documentaire. Cela a également un deuxième impact sur le travail : dans la majorité des bibliothèques universitaires ou publiques, le catalogage, considéré comme une tâche technique et peu qualifiée, est transféré à des entreprises extérieures. Sans oublier que les bibliothécaires font peu de service public en salle de lecture, celui-ci est assuré soit par des étudiants contractuels, soit par des agents d’entreprises sous-traitantes. Les missions des bibliothécaires ainsi déchargés d’un certain nombre de tâches sont réorientées vers des services de recherche, de création et de gestion de bases de données ou de plateformes pédagogiques ou spécialisées, de formations informatiques pour les étudiants et d’organisation d’activités sur place ou via les nouveaux média (réseaux sociaux qui sont très importants en Chine et indispensables dans la vie quotidienne).
Depuis longtemps la Chine souhaite être présente dans les premières places du classement mondial des universités. De ce classement dépendent non seulement la notoriété de l’université, mais également le financement qui lui est alloué. Les bibliothèques universitaires jouent à cet égard un rôle important au service de l’université et forment des équipes importantes pour élaborer les outils et les rapports statistiques d’activités et de publications des chercheurs. Ainsi les bibliothécaires doivent suivre et chiffrer en permanence toutes les publications de chaque enseignant. Parallèlement, ils comptabilisent les publications dans les mêmes disciplines des autres universités, considérées comme des concurrentes potentielles. Ces statistiques sont d’un côté envoyées aux enseignants pour le suivi des recherches mais aussi pour accroître la pression sur eux afin qu’ils publient plus. D’un autre côté, ces rapports statistiques sont systématiquement envoyés aux directions des ressources humaines pour contrôler le travail des enseignants. Les bibliothèques, débordant de leur rôle de soutien à la recherche, maîtrisent ainsi le parcours professionnel des enseignants. Certaines bibliothèques poussent cette logique encore plus loin en préparant les rapports sur le classement mondial des universités pour les présidents d’université, et par ricochet, en participant aux choix des champs de recherche prometteurs pour l’université. Pour obtenir des financements extérieurs, elles peuvent aussi offrir ce service à diverses sociétés. Par exemple, les bibliothèques de l’Université Fudan et de l’Université de Nankin, grâce à leurs riches bases de données et leurs compétences développées dans la recherche et le renseignement, ont des équipes dédiées pour fournir des rapports à des sociétés d’audit, des entreprises ou le gouvernement.
Une autre mission des bibliothécaires est de créer leurs propres bases de données ou plateformes. Bien que les bibliothèques achètent de nombreuses ressources électroniques, elles préfèrent posséder leurs propres bases de données liées à la spécialité de leurs collections. Ces bases de données sont souvent en libre accès pour les chercheurs. La demande forte d’enseignements en ligne pendant la pandémie a précipité la création par les bibliothèques universitaires de plateformes pédagogiques pour leurs universités. Par exemple, la bibliothèque de l’Institut de technologie de Pékin est en train de réaliser une bibliothèque complètement numérique qui réunit toutes les ressources numériques et les ressources pédagogiques de chaque département. Mais ces nouveaux outils permettent également une individualisation des programmes pédagogiques (ainsi qu’un contrôle des étudiants et des chercheurs). Avec les techniques de Big data et de l’intelligence artificielle, la plateforme est capable de saisir tous les informations sur l’activité des étudiants à l’intérieur de l’université, que ce soit dans la vie quotidienne comme l’achat dans une boutique du campus ou du nombre de photocopies réalisés, ou dans le cadre des études comme le nombre d’heures de cours suivis, etc. L’analyse de ces informations permet de personnaliser le suivi de chaque étudiant.
Comme le dit M. Zhang Dandong, directeur de la bibliothèque de l’Université du peuple de Chine, les frontières des bibliothèques universitaires sont en train de se transformer en lieu de rencontre ou de croisement. Les bibliothécaires doivent « sortir » et « inviter à rentrer ». En premier, « sortir » : les bibliothécaires doivent répondre aux demandes des enseignants comme des chargés de clientèle. Il doivent s’intégrer activement dans les projets de recherche et passer de l’idée de « soutenir la recherche » à « servir la recherche ». Puis ils doivent aussi s’insérer dans l’offre d’enseignement en offrant des formations informatiques aux étudiants, ou même en devenant assistant des professeurs pour préparer des cours liés aux ressources des bibliothèques. La bibliothèque de l’Université d’économie et de finances de Shanghai demande même aux bibliothécaires de passer l’examen pour l’obtention du certificat de professeur. En second, « inviter à rentrer » : les bibliothécaires doivent organiser des ateliers de lecture avec les étudiants. Il doivent là aussi changer de démarche et passer de « chercher des livres pour les lecteurs » à « chercher des lecteurs pour les livres » en offrant un service plus ciblé. Des compétences de gestion des nouveaux médias, surtout les réseaux sociaux, leur sont fortement demandés, par exemple pendant le confinement, beaucoup de services passent par l’intermédiaire de Wechat ou d’autres réseaux sociaux comme TikTok. Certaines bibliothèques envisagent même de créer des services payants, comme vendre des livres audio avec des commentaires enregistrés par les bibliothécaires.
La nouvelle gestion des ressources humaines des bibliothèques universitaires
Comme la majorité des bibliothèques universitaires chinoises sont en voie de transition vers des bibliothèques numériques, le nombre d’agents affectés au service public dans la salle de lecture va fortement diminué. L’application des nouvelles techniques menacera fortement l’emploi. Même la maintenance des collections matérielles sera probablement touchée : par exemple, la bibliothèque de l’Université normale de Chine du centre est en train de tester un robot capable de classer les livres en libre accès.
Face à ces avancées techniques, les bibliothèques demandent aux bibliothécaires d’acquérir un niveau de compétences plus élevé. Par exemple, la capacité de créer et gérer des bases de données et de plateformes, la capacité d’analyser les informations de Big Data, la capacité de fabriquer des contenus multimédia pour les différents réseaux sociaux pour créer une communication continue avec les nouvelles générations, etc. Les bibliothèques de l’Université de Chongqing et de l’Université d’économie et de finances de Shanghai ont ainsi mis en œuvre une réserve des mémoires numériques, en collectant et en classant les rapports multi-média d’enquêtes (entretiens visuels ou vocaux, mini-vidéos, photos, filme documentaire) réalisées par des étudiants, pendant les vacances d’été, dans différentes régions rurales en Chine. D’autre part, il est demandé aux bibliothécaires spécialisés dans des disciplines ou des domaines précis de participer aux projets de recherche, non seulement en dépassant l’offre des services bibliographiques, mais en menant les recherches des sources et en les analysant avec les chercheurs.
Bibliothèque de l’Université de Chongqing
L’engagement dans l’enseignement est également indispensable. Pour mettre en valeur les collections aux étudiants, les bibliothécaires doivent préparer la bibliographie ou même le contenu de certains cours avec les enseignants. Si l’orientation du travail ne change pas, c’est-à-dire continuer à « chercher des livres pour les lecteurs » au lieu de « chercher des lecteurs pour les livres », les collections, tant imprimées que électroniques, s’endormirent définitivement dans les bibliothèques. De plus, l’engagement dans l’enseignement permet de connaître les comportements de la jeune génération et d’ajuster et de créer des nouveaux services à leurs besoins.
Enfin, les bibliothécaires doivent être capable dans l’avenir de réaliser ces nouvelles tâches comme des « médecins généralistes » en ne se concentrant pas sur une unique mission. En bref, cela demande plus de capacités d’apprentissage et d’autoformation qu’auparavant, et surtout un esprit ouvert et une adaptabilité aux changements liés à la nouvelle génération de bibliothèques. Ces réformes de gestion du personnel sont toutefois difficiles à effectuer. De nombreux directeurs des bibliothèques soulignent à ce propos l’importance de donner plus de chances aux jeunes. Par exemple, la bibliothèque de l’Université d’économie et de finances de Shanghai envoie systématiquement chaque année pour des stages de trois mois des jeunes bibliothécaires dans les meilleures bibliothèques universitaires des États-Unis. Comme le soulignait M. Cheng Huanwen, « sans bons bibliothécaires, il n’y aura pas de bonnes bibliothèques ».
Réflexions
« La Chine, toujours la Chine ! » La pandémie a accéléré la nécessité d’ouvrir une réflexion sur l’avenir des bibliothèques universitaires. Elle remet en cause le statut des bibliothèques traditionnelles en privilégiant le développement des techniques numériques, jusqu’à faire des réseaux sociaux (WeChat, TikTok) des supports possibles des bibliothèques futures. Mais elle demande aussi de faire évoluer les missions des bibliothécaires, ainsi que les rapports avec les chercheurs et les étudiants. Ces évolutions placeront les bibliothèques universitaires chinoises au centre de la vie des universités en étendant leur rôle bien au-delà de leur fonction actuelle. Mais il faut garder à l’esprit que ces évolutions, et principalement celles dues aux avancées technologiques, transformeront les bibliothèques universitaires chinoises en centre de contrôle de l’enseignement, de la recherche, de la diffusion des savoirs aussi bien que de la vie personnelle des enseignants-chercheurs que des étudiants. Ce qui est déjà le cas dans les bibliothèques numériques avec l’usage de l’intelligence artificielle, qui permet d’analyser les données privées des étudiants dans le but de personnaliser leur programme d’études.
La transformation des bibliothèques vers le numérique est une ambition partagée par tous les conférenciers de cette formation. Pour la réaliser, ces spécialistes de bibliothéconomie conservent des échanges très fréquents avec les bibliothèques les plus avancées des États-Unis, et surtout avec des chercheurs en informatique qui travaillent pour les GAFA… pour suivre au plus près les développements techniques, et plus particulièrement ceux de l’intelligence artificielle. Comme le dit de Pr. Zhang Jilong, vice-directeur de la bibliothèque de l’Université Fudan, « les Chinois ne sont pas bêtes du tout, ils ne leur manquent que la technique ». Les échanges avec les États-Unis restent donc privilégiés pour pouvoir « importer » en Chine ces nouvelles techniques qui y seront expérimentées comme des outils d’accès aux savoirs, mais aussi comme des outils politiques. Il serait intéressant et nécessaire dans l’avenir d’observer attentivement ces évolutions vers les bibliothèques de « nouvelle génération » pour envisager les choix futurs que devront faire également nos bibliothèques, françaises et européennes.
Le passage vers la bibliothèque numérique entraîne également des modifications importantes des missions des bibliothécaires. Toutes les tâches mentionnées par les intervenants pendant cette formation dépassent le cadre du métier traditionnel des bibliothécaires ; on peut même dire que c’est une « appropriation » des tâches d’autres professions, telles qu’ analyste des données Big Data, expert – consultant pour des projets des entreprises ou gouvernement, créateur de contenus multimédia payant, opérateur des réseaux sociaux, enseignant ou chercheur etc. D’un côté, toutes ces nouvelles tâches redéfinissent ou revalorisent le métier de bibliothécaire en élargissant les missions, mais elles ont aussi pour but de trouver de nouvelles sources de financement. Et on peut se demander si cela ne signifie pas à plus ou moins long terme la « mort » du métier traditionnel de bibliothécaire ? D’un autre côté, comme le remarquait un intervenant, ces nouvelles missions redéfinissent l’organisation du travail, qui se fera plus de manière horizontale en collaboration, mettant fin aux structures pyramidales de direction. Cette nouvelle organisation « anti-hiérarchique » donnera plus de responsabilités et d’autonomie à chacun, tout en demandant un apprentissage de nouvelles compétences. La Chine nous donnera-t-elle l’exemple de ce nouveau modèle ?
Récemment, un débat a été lancé sur les nouvelles sciences humaines et sociales chinoises. Comme habitude, cette « nouveauté » trouve son origine dans l’idéologie et les directives du Parti à propos des « quatre confiances », soit la confiance dans le chemin socialiste, la confiance dans la théorie socialiste, la confiance dans le système socialiste et la confiance dans la culture socialiste. Autrement dit, la confiance dans le socialisme chinois. Depuis le début du XXème siècle, les sciences humaines chinoises ont été largement influencées par les méthodes et les concepts occidentaux. Mais au XXIème siècle, pour assurer sa place dans le monde et diffuser ses valeurs, la Chine doit promouvoir son « soft power ». À ce titre, la « confiance dans la théorie » doit être le squelette de la pensée dans les sciences humaines et sociales. La conclusion évidente de ce débat est donc que les nouvelles sciences humaines et sociales chinoises doivent se construire sur les expériences chinoises, à partir des sources chinoises et des archives chinoises, même si un intervenant M. Wang Xincai, directeur de la bibliothèque de l’Université de Wuhan, a osé signaler le risque de cette fermeture aux sources extérieures. Au même moment, l’Association des archivistes de Chine lance un grand chantier de numérisation des archives d’État. Mais dans le cadre de ce chantier, sont clairement fixés les critères politiques définissant les périodes et les types d’archives qui devront être numérisés. Les recherches en sciences humaines et sociales hériteront ainsi de la « couleur idéologique » de ces sources « réécrites ». D’un côté, les bibliothèques universitaires veulent passer à l’étape de la bibliothèque numérique en ouvrant l’accès à plus d’informations et de savoirs aux lecteurs. D’un autre côté, le choix politique de ce qui peut-être mis à la disposition des chercheurs aussi bien que du public, réduit l’accès aux sources et provoque un doute sur leur qualité. La Chine est toujours empêtrée dans des visées contradictoires !
Pour les bibliothèques occidentales, l’enjeu de montrer un paysage réel de la Chine demande une vigilance accrue dans l’acquisition des ouvrages et des ressources électroniques, afin de dépasser la barrière idéologique. « La Chine, encore la Chine ! »
Envie de prendre le large au-delà des frontières ? Cet été, la BULAC vous propose une excursion dans les sciences-fictions d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Voici le cinquième épisode d’une série de dix en compagnie des contributeurs de l’exposition Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction, présentée à la BULAC du 17 février au 14 mars 2020.
Dès son essor dans les années 1970, décennie marquée par la parution des premiers livres de Leena Krohn (en particulier La Révolution verte), la science-fiction finlandaise s’est intéressée aux thèmes environnementaux, avec notamment des questionnements sur les rapports entre l’humanité et la nature.
Le genre a été popularisé dans les années 1990-2000, surtout depuis l’obtention du prix Finlandia par Johanna Sinisalo en 2000, pour son roman Jamais avant le coucher du soleil. Cet événement a marqué la reconnaissance à l’échelle nationale du genre de la science-fiction, auparavant largement perçu comme manquant d’ambition littéraire. Ce roman s’interroge sur la coexistence de la civilisation et de la nature sauvage, à travers la rencontre mouvementée entre un jeune homme et un troll.
Plusieurs romans et nouvelles parus ces vingt dernières années traitent la thématique écologique, comme Les Sables de Sarasvati, de Risto Isomäki, qui évoque entre autres la fonte du pergélisol et le risque consécutif d’émissions massives de gaz à effet de serre, Le Sang des fleurs, de Johanna Sinisalo, sur le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles, et Fille de l’eau, dans lequel Emmi Itäranta imagine une Finlande future où la distribution d’eau est contrôlée par un État totalitaire.
Citer ce billet : Martin Carayol, "Futurs d’ailleurs : voyage en science-fiction finlandaise," dans Le Carreau de la BULAC, 29 juillet 2020, https://bulac.hypotheses.org/30160. Consulté le 18 septembre 2020
Ce billet prolonge l’exposition présentée au rez-de-jardin de la BULAC du 8 septembre au 16 octobre 2020, à l’occasion des 250 ans de la naissance de Méhémet Ali. L’exposition présente un choix de documents en arabe, en turc ottoman et en français invitant à redécouvrir cet acteur clé de l’histoire de l’Égypte du XIXe siècle. Cette programmation coordonnée par Nicolas Pitsos et Juliette Pinçon a été conçue avec la collaboration de Fatna Ziani et Mohammed Tawaf pour le domaine arabe, et de Meriç Tanik et Mariéva Chalvin pour le domaine turc.
Photos : Maxime Ruscio / BULAC
« Les seuls livres que j’ai jamais lus sont les visages des gens et je me suis rarement trompé dans leur lecture. » Analphabète jusqu’à une période tardive de sa vie, Méhémet Ali connaît une ascension fulgurante. Admirateur d’Alexandre le Grand et de Napoléon, comparé à Pierre Ier ou aux Médicis, qualifié de pharaon de l’ère moderne, ce commerçant de tabac se transforme en peu de temps en diplomate avisé et gouverneur improvisé. Arrivé en Égypte de sa ville natale de Kavala1, il se met au service du sultan ottoman pour rétablir l’ordre dans cette province de l’Empire suite au retrait des troupes napoléoniennes. Très vite, ses ambitions personnelles l’amènent à écarter ses concurrents, notamment les mamelouks, et à exercer le pouvoir de manière autoritaire. Indépendamment des perceptions contrastées de sa personnalité et des jugements variés concernant sa manière de gouverner, sa politique a durablement marqué la société égyptienne.
L’exposition s’ouvre sur un extrait de L’Égypte au XIXe siècle d’Édouard Gouin, qui relate un des tournants de la vie de Méhémet Ali. Né à Kavala en 1769, la « Mecque du tabac » dans les Balkans, il est envoyé en Égypte au temps de l’expédition militaire conduite par Napoléon Bonaparte (1798), pour contribuer au rétablissement de l’ordre impéral ottoman. Abandonnant sa vie de négociant de tabac, il se transforme en commandant militaire. Ambitieux, il cherche par la suite à saisir le pouvoir par tous les moyens, sans hésiter à recourir aux intrigues. Canalisant le mécontentement populaire contre Khursit Ahmet pacha, le wāli ottoman, il le remplace en 1805 avec l’aide desmamelouks. Quelques années plus tard, en 1811, il écarte aussi les beys mamelouks et se met à exercer le pouvoir de manière solitaire et autoritaire.
Un second ouvrage, كتاب منحة أهل العصر بمنتقى تاريخ احياء مصر, qui traite de l’histoire politique de l’Égypte à l’époque de Méhémet Ali, relate la vie de Méhémet Ali, depuis sa naissance jusqu’à son entrée dans l’armée. Son caractère et son parcours y sont décrits avec précision. Travailleur depuis sa jeunesse, il s’élève dans la hiérarchie militaire. Son caractère guerrier et ambitieux apparaît lors de son entrée dans l’armée. Il est ensuite envoyé en Égypte après le retrait de la France dans le but de la réintégrer dans le giron de l’Empire ottoman. L’auteur, ‘Abd Allâh ibn ʿAbd Allâh Abou al-Souʿoud est le premier journaliste politique de l’histoire de l’Égypte moderne. Né à Dahchour (près de Gizeh, en Égypte), il parle arabe, français et italien. Il fonde le journal Wadi El-Nil en 1284 h. [1867].
Nommé wāli (gouverneur) de l’Égypte par le sultan ottoman, Méhémet Ali cherche tout de suite à dé-féodaliser le pays en éliminant l’emprise des potentats locaux sur l’organisation sociopolitique. Désireux d’instaurer un État centralisateur, il impose une réforme territoriale et fiscale radicale.
Dans cette optique, il redistribue les propriétés des beys mamelouks à des paysans, supprimant les exemptions fiscales sur les terres qui en bénéficiaient. D’un autre côté, il confisque les waqf (régime de transformation des terres agricoles en biens inaliénables dont les revenus sont affectés à une fondation pieuse ou à l’entretien des descendants du donataire). En 1812, il abolit l’affermage fiscal et fait percevoir l’impôt directement par ses agents. Afin d’imposer l’ensemble des terres et d’être en mesure d’établir un impôt foncier relativement juste, il est aussi à l’origine de l’élaboration d’un cadastre à partir de 1813.
Politique militaire
Dans le domaine militaire, Méhémet Ali prend la décision d’enrôler des fellahs égyptiens afin de constituer en quelque sorte une « armée nationale ». Pour l’encadrement de cette armée, il fait appel aux services d’officiers italiens ou français. C’est dans ce contexte que la mission Boyer part pour l’Égypte sous Charles X, en vue de former les soldats égyptiens. Elle est aussi chargée de la réorganisation de l’arsenal et du développement des manufactures d’armes.
Joseph Seve est nommé en 1820 instructeur en chef de l’armée égyptienne. Converti à l’islam et connu désormais sous le nom de Soliman pacha, il est considéré comme le principal réorganisateur de l’armée égyptienne, conduite sur le modèle des armées européennes, et plus particulièrement l’armée napoléonienne. Le système de la conscription permet de créer une armée fort importante, alors qu’en même temps le sultan Mahmud II décide de suivre l’exemple de Méhémet Ali, éliminant le corps des janissaires et optant lui aussi pour la création d’une armée régulière. Mais les modalités de conscription sont très mal vécues par les paysans qui résistent à l’enrôlement par tous les moyens, la fuite, l’insurrection ou encore l’automutilation.
La politique extérieure de l’Égypte sous Méhémet Ali se déroule dans le cadre de la question d’Orient. Méhémet Ali manifeste sa volonté de mener à bien ses projets expansionnistes et de réaliser ses velléités indépendantistes. Juste avant de défier directement le pouvoir ottoman, à l’instar de son contemporain Ali Pacha de Janina (Yanina), il se met au service du sultan afin de l’aider à réprimer les révoltes des Wahhabites sur la péninsule arabique (1811-1818) ou encore les insurrections de ses sujets chrétiens en Crète ou en Morée (1823-1827). Déplorant la perte de sa flotte lors de la bataille de Navarin, qui couronne de victoire la coalition franco-russo-britannique, il revisite sa politique face à la Sublime Porte. Après avoir entamé la conquête du Soudan en 1820, il renoue avec ses projets d’expansion territoriale, s’orientant cette fois-ci vers la Syrie et la Palestine ottomane. Il sort victorieux de la première guerre ottomano-égyptienne (1831-1833), le traité de Kütahya faisant passer ces régions dans son giron.
La deuxième guerre l’opposant au sultan ottoman (1839-1841) prend les allures d’un conflit par acteurs interposés. D’un côté, la diplomatie britannique soutient l’intégrité territoriale de l’Empire ottoman, le considérant comme le seul rempart valable face aux projets d’avancée russe vers la Méditerranée, mettant en danger son contrôle de la route maritime vers l’Inde. De l’autre côté, la diplomatie française se range dans un premier temps derrière Méhémet Ali. Le changement ministériel à Paris, avec le remplacement d’Adolphe Thiers par François Guizot, un anglophile convaincu, aboutit à la signature du traité de Londres, par lequel Méhémet Ali se voit confier à titre héréditaire, le pachalik d’Égypte, mais il est obligé de retirer ses troupes de la Syrie et de la Palestine ottomane.
Ces événements sont relatés par le journaliste, chercheur et historien libanais Souleymane Abou Izzeddine (1871-1933) dans un ouvrage paru en 1939 qui est présenté dans l’exposition. Né au sein d’une famille druze, l’auteur émigre en Égypte et se distingue par son patriotisme et son aide au service des migrants druzes. Il s’intéresse à l’histoire, en particulier à ce qui se rapporte à la communauté druze et à ses familles au Levant. Il écrit plusieurs livres sur l’histoire égyptienne, notamment sur Ibrahim Pacha (1789-1848), généralissime et homme d’État égyptien, fils aîné du wāli d’Égypte. Méhémet Ali, dont il est le principal bras armé. Ibrahim a gouverné l’Égypte du 2 mars au 10 novembre 1848. Avec l’aide du français Joseph Anthelme Sève, il introduit la discipline européenne dans l’armée égyptienne. Dans le passage exposé, l’auteur, après avoir relaté dans un premier temps la répression de la révolte dans la Morée en 1826 par Ibrahim Pacha, décrit la conquête de la Syrie et de l’Anatolie.
La politique extérieure de Méhémet Ali se manifeste aussi par des alliances diplomatiques. Le Voyage du Luxor en Égypte illustre la pratique de la « diplomatie de cadeaux » à l’égard des souverains étrangers, à travers le récit du transfert de l’obélisque du temple de Louxor vers Paris. Démonté et transporté sur le navire Louxor spécialement construit à cette fin, l’obélisque est érigé en 1836 au centre de la place de la Concorde à Paris. Alors que la société française connaît un véritable engouement pour la civilisation égyptienne antique, dans le sillage de la campagne d’Égypte et du déchiffrage des hiéroglyphes gravés sur la pierre de Rosette, le commandant du Louxor, Raymond de Verninac Saint-Maur, reproduit la notice de Champollion-Figeac, sur le texte des inscriptions de l’obélisque.
Quelques années auparavant, la première girafe en France, offerte à Charles X, avait été accueillie par un public parisien en liesse avant de trouver sa place dans la ménagerie du Jardin des plantes. Ce fait divers, démonstration d’une politique francophile décidée par Méhémet Ali, avait suscité une véritable « girafomanie ». Des pamphlétaires de l’époque s’en servirent dans leurs diatribes contre la censure appliquée par le régime de Louis-Philippe, à l’instar d’une Lettre de la Girafe au pacha d’Égypteen 1827.
Politique agricole et urbanistique, industrielle et commerciale
Soucieux d’asseoir son pouvoir sur des bases d’une organisation étatique solide, Méhémet Ali s’active à moderniser les infrastructures économiques et le tissu productif de l’Égypte.
L’un des buts principaux de Méhémet Ali est de redresser les finances publiques de son « État ». Il fait augmenter les recettes du trésor public, par l’autarcie agricole, une imposition fiscale généralisée et une politique mercantiliste. Il entreprend ainsi de multiplier les surfaces cultivables et d’intensifier leur rendement, d’acclimater de nouvelles espèces afin de subvenir aux besoins de la population et de réduire les importations tout en favorisant les exportations. Pour y parvenir, il lance des travaux publics d’irrigation, fait dresser un cadastre et pratique le monopole d’État pour la commercialisation des produits.
Les expéditions militaires conçues et voulues par Méhémet Ali avaient déjà donné une première impulsion au secteur industriel avec la création d’industries locales pour la fabrication à la fois de textiles pour les uniformes des soldats et de produits alimentaires pour leur rationnement. Pendant les guerres napoléoniennes, les Anglais deviennent les premiers acquéreurs du blé égyptien pour assurer la subsistance de leurs troupes engagées contre Napoléon. À partir de cette époque, Méhémet Ali entre dans une logique spéculative. Il établit des monopoles, d’abord sur les grains en 1812, puis sur tous les produits destinés à l’exportation (riz, fèves, lentilles, oignons, etc.). C’est l’âge d’or des négociants européens établis à Alexandrie. Ceux-ci achètent au pacha les marchandises à un prix fort avantageux pour lui-même, mais bien inférieur à leur valeur sur les marchés anglais, français ou autrichien. Ce système spéculatif, générant une certaine prospérité pour le pays, est remis en question suite à la signature d’un traité entre les grandes puissances coloniales européennes et l’État ottoman en 1838. Ce traité instaure des droits de douane qui font perdre aux produits égyptiens leurs avantages compétitifs auprès des marchés européens.
En 1822, Méhémet Ali introduit la culture du cotonqui devient une des ressources principales de l’Égypte moderne et un des piliers de son économie, représentant la moitié de ses exportations en 1836. La création de la fabrique des draps dans le quartier de la Boulâq, sur le bord du Nil, participe de la volonté de Méhémet Ali d’approvisionner son armée en vêtements résistants et de bonne qualité. L’Histoire de l’Egypte sous le gouvernement de Mohammed-Aly porte le témoignage de cet élan de modernisation du tissu productif du pays. Félix Mengin, arrivé en Égypte avec l’expédition napoléonienne, souligne une dimension supplémentaire d’une telle activité industrielle. Il s’agit des transferts technologiques depuis l’étranger ou par l’intermédiaire d’étudiants envoyés en Europe afin d’être formés aux arts et métiers nécessaires au développement économique et scientifique du pays et contribuant ainsi à la constitution d’élites locales.
Son commerce confié quasi exclusivement à des négociants grecs comme la famille de Benakis, il se tourne vers les ingénieurs français pour la mise en place de travaux publics censés favoriser le développement de l’économie agricole. Dans les campagnes, il s’agit surtout de mener de travaux d’irrigation en vue d’étendre les surfaces cultivables. Le maillage actuel de canaux et de bassins dans la vallée du Nil date de la cette période. Suite à cette politique de travaux hydrauliques, la surface cultivable est augmentée d’environ un million de feddans (acres) soit 20 % par rapport à la période précédente. Parmi les travaux « pharaoniques », la création du canal Mahmûdiyya se distingue par son importance et son ampleur. Ce chantier colossal qui emploie 400 000 hommes est aussi terriblement meurtrier, causant la perte de 7 000 ouvriers à cause des effets ravageurs d’une épidémie de peste et d’un hiver rigoureux en 1818-1819. Lancé pour relier Alexandrie au reste du pays, il doit en outre assurer son approvisionnement en eau potable. Mais la principale raison ayant dicté la décision de sa construction est la volonté d’accroître la superficie cultivable le long de la voie d’eau navigable.
La création de ce canal ainsi que l’inauguration de l’arsenal de marine transforment la physionomie d’Alexandrie. Une fièvre bâtisseuse s’empare de la ville. Autour de la place des Consuls, les ressortissants des pays européens commencent à élever le quartier d’Al-Machiyya, doté de rues larges et d’habitations élégantes. Sur la presque île de Pharos, Méhémet Ali fait construire le palais de Ras al-Tin, dans un style éclectique, brassant les références au style néo-renaissance, néo-baroque et néo-mauresque.
Au Caire, c’est surtout à la Citadelle que se manifeste sa volonté d’inscrire son nouvel ordre dans l’espace. Sur cette forteresse remontant à l’époque de Saladin, siège du pouvoir depuis les sultans mamelouks, il fait table rase des bâtiments incarnant l’ancien régime en marquant la topographie cairote, d’un sceau indélébile avec la construction de la Grande Mosquée. Ses plans, confiés à Yusuf Buchnaq, un architecte grec d’origine bosniaque, assisté par un ingénieur égyptien du nom de Ali Hussayn, sont calqués sur ceux des grandes mosquées impériales stambouliotes. Quant au choix de son implantation sur un site dominant l’ensemble de la cité, il semble avoir été motivé par des considérations politiques et conçu comme un symbole de la volonté d’affranchissement à l’égard de l’autorité du sultan.
Collections de la BULAC, cote BIULO UU.V.87. Sur ce plan du Caire datant de 1845, on peut voir l’emplacement du quartier de la Boulâq, où a été implantée la première imprimerie égyptienne sous Méhémet Ali.Collections de la BULAC, cote BULAC RES MON Fol 1529.
Politique de santé publique
Recruté pour entrer au service de Méhémet Ali en 1825, le médecin français Antoine-Barthélémy Clot (1793-1868) est chargé de l’organisation du système de santé publique et de la formation médicale sur place. Il devient le maître d’œuvre de la modernisation de la santé publique égyptienne.
À son arrivée en Égypte en 1825, le Dr Antoine-Barthélémy Clot (1793-1868) soigne Méhémet Ali et devient son médecin attitré et ami. En 1831, une terrible épidémie de choléra fait 35 000 morts au Caire. Le Dr Clot se dévoue sans compter et obtient le titre de bey, qu’il ajoutera à son nom. Il contribue aussi activement à l’enrayement de la propagation de l’épidémie de peste en 1835. En 1832, Clot-Bey obtient du wāli l’autorisation de se rendre en France avec douze des meilleurs élèves de l’école d’Abou-Zabel, pour leur permettre de perfectionner leurs connaissances et constituer, à leur retour, le noyau dur sur lequel reposera, par la suite, la formation des futurs médecins égyptiens. Impliqué dans la création d’un complexe hospitalier militaire à Abou Zabel, à proximité de la ville du Caire, le Dr Clot y fonde également une école de médecine. Les premiers enseignants ne maîtrisant pas la langue arabe, il adjoint à chacun d’entre eux un traducteur. En 1832, il crée également une école de sages-femmes. Les principes modernes de santé publique, tels que les campagnes de vaccination ou encore les dispositifs de quarantaine pour endiguer les effets ravageurs liés aux épidémies, sont ainsi introduits dans la société égyptienne. Rentré provisoirement à Marseille, il y rédige en 1840 son Aperçu général sur l’Égypte.
Levisiteur peut découvrir une traduction arabe d’une réglementation de la pharmacopée rédigée par le Dr Clot-Bey, imprimée à l’imprimerie de la Bulaq. L’ouvrage explique les bonnes pratiques médicales (remèdes, bandages, traitements…) pour former les praticiens égyptiens. Il contient des tableaux recensant les herbes médicinales et les remèdes utilisés à l’époque de Méhémet Ali.
L’exposition présente également un livre de médecine populaire écrit par Clot-Bey, كتاب كنوز الصحة [Les trésors de la santé], à l’usage des droguistes et des barbiers, qui sont les derniers maillons de la chaîne, fut traduit en arabe, imprimé à dix mille exemplaires et distribué gratuitement dans les provinces égyptiennes. Dans ce passage, il défend la nécessité de faire traduire des livres de médecine du français vers l’arabe pour pallier au manque de connaissances médicales en Égypte. Par exemple, Mohammed Efendi, l’un des médecins les plus connus d’Égypte, a aussi traduit des ouvrages du Dr Clot-Bey. Muḥammad Bīk al-Rāfiʿī al-Shāfiʿī est l’un des nombreux traducteurs de livres de médecine du français vers l’arabe.
Malgré son attachement aux traditions sunnites, Méhémet Ali mène une politique de tolérance religieuse perçue comme élément essentiel de la cohésion sociale et de la création d’une identité nationale inclusive. À côté de son soutien à des établissements prestigieux comme l’université Al-Azhar, dispensant un enseignement théologique réputé dans le monde musulman, Méhémet Ali encourage aussi l’enseignement laïc. Dans une telle perspective, il favorise la fondation d’écoles polytechniques par des saints-simoniens ou des écoles de médecine sous la direction d’Antoine Clot.
Ces initiatives étant dirigées quasi exclusivement par des officiers et technocrates étrangers, Méhémet Ali opte en parallèle pour la formation d’élites scientifiques locales. Motivé par cette volonté, il envoie des étudiants en Italie ou en France afin de les initier aux sciences humaines et techniques développées dans ces pays. De retour en Égypte, ils sont censés agir en tant que vecteurs de ces connaissances et médiateurs culturels.
Rifâ’a al-Tahtâwî est un des représentants les plus emblématiques de ces missions. Fasciné par la civilisation européenne, son souci premier est de tirer de son séjour à Paris les éléments d’une modernisation compatible avec les préceptes de la religion musulmane. Fondateur d’une école de traduction au Caire, il est aussi nommé par Méhémet Ali directeur en chef de la rédaction de la gazette officielle, Al-Waqai al-Misriya, premier journal publié en arabe et en turc ottoman en Égypte.
L’essor de l’imprimerie et la naissance de la presse arabophone en Égypte
Exposition Méhémet Ali, fondateur de l’Égypte moderne
L’exposition met en avant le plus ancien livre imprimé à l’imprimeriede la Bulaq que la bibliothèque possède, قانون الصباغة في صناعة صباغة الحرير. La Matba’at al-Amiriyyat (en arabe, cela signifie « imprimerie du roi ») est située dans le quartier de Bulaq au Caire. C’est la première véritable imprimerie et maison d’édition égyptienne, créée par Méhémet Ali en 1820. Entre 1822 et 1845, plus de quatre cent ouvrages sortent de cette imprimerie, faisant de cet établissement un lieu emblématique de la politique culturelle du fondateur de l’Égypte moderne. Cet ouvrage est publié en 1823, un an après l’ouverture de la Bulaq. Il s’agit de la traduction en arabe d’un livre sur la teinture sur soie, d’après le traité de Pierre-Joseph Macquer (1718-1784), un médecin et chimiste français. Il étudia, avec son ami Baumé, l’art du teinturier en soie pour le compte de la manufacture des Gobelins. Son ouvrage Art de la teinture en soie date de 1763. Rafael Zahour Rahib est l’auteur de l’avant-propos et le traducteur.
Méhémet Ali s’intéresse à l’actualité étrangère et souhaite que l’Égypte ait son propre journal d’information. L’exposition présente le fac-similé de la Une du premier numéro du premier journal publié en arabe et en turc ottoman en Égypte, créé en 1828 sur l’ordre de Méhémet Ali. À l’origine, il est appelé Veḳāyiʿ-i Mıṣriye (en turc ottoman : وقایع مصریه). Il est écrit en turc ottoman dans la colonne de droite, avec une traduction arabe dans la colonne de gauche. Il est ensuite imprimé uniquement en arabe. Ce journal est imprimé sur les presses de l’imprimerie de la Bulaq. L’ouvrage présentant le fac-similé a été écrit par Ibrahim Abduh, un enseignant à l’Université du Caire et spécialiste de l’histoire de la presse.
Plusieurs voyageurs et observateurs extérieurs se rendent en Égypte au temps de Méhémet Ali et nous livrent leurs impressions sur sa personnalité ainsi que son œuvre en tant que dirigeant politique.
Pour les saints-simoniens, comme Émile Barrault, le « pacha réformateur » réalisait leur rêve d’une société moderne fondée sur le travail et l’industrie. Censurés et interdits en France sous la Monarchie de Juillet, certains d’entre eux, à l’instar de leur chef de file, Prosper Enfantin, partent s’installer en Égypte pour y offrir leurs services à Méhémet Ali. Transformé dans leur imaginaire en Bonaparte industriel, il est perçu comme celui qui allait réaliser le fantasme d’une fécondation de l’Égypte par la France, illustration de l’union entre l’Orient et l’Occident que prônent les Saints-simoniens depuis les années 1830. Partis avec l’ambition de creuser l’isthme de Suez, puis de construire un barrage sur le Nil, ils doivent finalement renoncer à la suite d’une épidémie de peste. La plupart d’entre eux rentrent en France entre 1835 et 1836. Dans l’Occident et Orient, Émile Barrault perçoit la politique extérieure de Méhémet Ali comme apte à « pacifier l’Orient et en préparer l’union avec l’Occident ».
Dans ses Souvenirs d’Égypte, la baronne de Minutoli, qui accompagne son mari, l’archéologue prussien Heinrich Menu von Minutoli, lors de ses missions de fouilles en Égypte, salue « l’heureuse influence qu’exerce en cette contrée la puissance de Mahomet Ali » dont « le gouvernement libéral et éclairé procure maintenant aux voyageurs européens les moyens de parcourir ce pays avec la plus entière sécurité ».
Face aux portraits idéalisés d’un pacha réformateur, brossés par des observateurs extérieurs soupçonnés d’être instrumentalisés par Méhémet Ali lui-même, des voyageurs se livrent à une démythification du personnage. Sensibles au coût humain des réformes, engendré par les réformes économiques ou les travaux publics, ils stigmatisent l’exploitation des paysans, dénoncent des phénomènes d’injustice sociale et déplorent les conditions de vie exécrables dans lesquelles la main-d’œuvre est condamnée à vivre.
Lucien Bousquet-Deschamps, journaliste pour Le Phare égyptien, fait partie de ces voix accusatrices. Dans l’ouvrage Deux mots sur l’Égypte, sa politique et ses finances, il exprime une critique sociale à l’égard de l’œuvre réformatrice marquée par un autoritarisme excessif. Il se montre également sévère vis-à-vis d’une administration arbitraire, dénonçant derrière les initiatives modernisatrices en médecine ou dans le domaine de l’industrie, des motivations militaristes. L’ouvrage est accompagné de neuf notices biographiques. Parmi les personnages présentés se trouve Boghos Youssouf, membre de la famille arménienne Nubarian, originaire de Smyrne, installée en Égypte au début du XIXe siècle. Connu également sous les noms de Khodja Boghos ou Maître Boghos, il entre au service de Méhémet Ali en tant que drogman. Sa connaissance de plusieurs langues, dont le français, l’italien et le turc ottoman, le confortent dans sa fonction d’interprète officiel du vali égyptien. Son parcours illustre la présence d’une communauté arménienne dont l’histoire est indissociable de l’histoire de l’Égypte du XIXe siècle2.
L’exposition présente aussi un regard turc-ottoman, celui de Mehmed Hayret Efendi. Né à Darende en Anatolie orientale, il fut poète et secrétaire de plusieurs hommes d’État dont Méhémet Ali. Il est l’auteur de İnşā-yı Ḥayret Efendi, recueil de correspondances et requêtes officielles imprimé à Būlāḳ. Également connu sous le nom de Riyāż ül-kütebā ve ḥıyāż ül-üdebā (رياض الكتبا و حياض الادبا), son livre انشاى حيرت افندى réunit des lettres officielles comme celle qui est adressée au gouverneur d’Égypte – Mıṣır Valīsi – par Şākir Pāşā.
Exposition Méhémet Ali, fondateur de l’Égypte moderne
Méhémet Ali vu par les historiographes arabes et ottomans
Exposition Méhémet Ali, fondateur de l’Égypte moderne
Abd al-Rahman al-Jabarti (1756-1825) est un chroniqueur, historien et ouléma somalien né en Égypte. Il est connu pour sa chronique عجائب الآثار في التراجم و الأخبار (Les merveilleuses compositions des biographies et des événements). Cette chronique est devenue un texte historique de renommée mondiale grâce à ses témoignages oculaires de l’invasion de Napoléon Bonaparte et de la prise de pouvoir par Méhémet Ali. Il est l’un des premiers musulmans à réaliser l’importance de la vague de modernité qui accompagna l’occupation française. Le fossé qui existait entre les savoirs occidentaux et islamiques le marqua profondément. Cet ouvrage englobant l’histoire de l’Égypte de 1688 à 1821 a été interdit en Égypte en 1870 en raison de son approche critique des réformes de Méhémet Ali Pacha. L’auteur reçut des menaces, son fils fut assassiné. Vers la fin des années 1870, l’interdiction de son livre fut levée et il fut imprimé en partie en 1878 par la presse du journal alexandrin Misr, puis en totalité en 1879-1880 par l’imprimerie Bulaq. Le passage ci-dessous décrit la démission du wāli Khurshid Ahmed Pacha en juillet 1805. Il dut céder sa forteresse à Méhémet Ali et quitter le territoire. Méhémet Ali affermira par la suite son pouvoir pour devenir gouverneur d’Égypte en 1811.
Dans le troisième volume de son livre d’histoire تاريخ سياسى دولت عليه عثمانيه, Kamil Paşa, grand vizir (sadrazam) du sultan Abdülhamid II (1876-1909), retrace le règne de Mahmud II (1808-1839). L’auteur évoque les réactions suscitées par la politique expansionniste de Méhémet Ali, qui bouleverse la configuration géopolitique de la région. L’expansion territoriale de l’Égypte vers la péninsule arabique provoque un vif mécontentement dans la capitale ottomane, comme chez les Britanniques qui craignent la progression des forces égyptiennes jusqu’au golfe Persique et aux colonies indiennes (ʿAcem körfezine yaʿnī Hind müstemlikātınıñ ḳapusuna ḳadar) et, par conséquent, le blocage du libre passage des soldats britanniques de la Méditerranée vers la mer Rouge (Aḳdeñizden Baḥr-ı Āhmere ʿasker imrārı). Il est donc naturel, selon Kamil Paşa, que l’Angleterre manifeste une animosité envers lui : « İngiltereniñ Meḥmed ʿAlī Paşa ḥaḳḳında kīn baġlamış olması ṭabīʿī idi ». Ce passage historique témoigne ainsi de la convergence des intérêts ottomans et britanniques contre Méhémet Ali.
Pour aller plus loin:
Le 15 octobre 2020, assistez à la table ronde associée à l’exposition, en compagnie d’Anne-Claire de Gayffier-Bonneville (Inalco, CERMOM), Sarga Moussa (CNRS, université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle, ENS) et Nicolas Pitsos (BULAC).
Prolongez votre visite de l’exposition avec la sélection bibliographique « Vers l’Égypte moderne » : un choix d’ouvrages disponibles au prêt, autour de deux personnages charismatiques de l’histoire de l’Égypte, Méhémet Ali, à l’occasion des 250 ans de sa naissance, et Gamal Abdel Nasser, dont on commémore en 2020 les 50 ans de la disparition.
Découvrez également la centaine de titres en lien avec Méhémet Ali dans le catalogue de la BULAC.
Sélection bibliographique « Vers l’Égypte moderne ».
Visionnez le reportage d’Africanews sur le chantier de restauration du palais de Méhémet Ali au Caire.
Citer ce billet : Nicolas Pitsos, "Méhémet Ali, fondateur de l’Égypte moderne," dans Le Carreau de la BULAC, 23 septembre 2020, https://bulac.hypotheses.org/30746. Consulté le 26 septembre 2020
L’héritage de Méhémet Ali est bien présent à Kavala de nos jours : sa maison natale, transformée en musée, et l’Imaret, ancienne institution de bienfaisance restaurée et convertie en hôtel à l’initiative d’Anna Missirian, font partie intégrante du patrimoine de la ville. Kavala héberge aussi le Centre de recherche Mohammed Ali (MOHA Research Center).
Sur ce sujet, voir l’article d’Anne Le Gall-Kazazian, « Deux familles arméniennes dans l’Égypte du XIXe siècle : les Tcherakian et les Nubarian », Cahiers de la Méditerranée, 82 | 2011, [En ligne, disponible sur http://journals.openedition.org/cdlm/5750.]
Loïc Min Yu est chargé de collections pour le domaine chinois à la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (BULAC). Loïc a suivi, entre le 14 et le 23 avril 2020, une formation intitulée « Atelier d’études des bibliothèques universitaires chinoises », coordonnée par les bibliothèques de l’Université de Wuhan et de l’Université Tsingua, ainsi que par le fournisseur CNKI. En raison de la situation sanitaire, cette formation a eu lieu en ligne et était ouverte à tous les bibliothécaires. Durant dix jours, celle-ci a réuni 16 000 bibliothécaires et 22 directeurs de bibliothèques universitaires, qui sont intervenus sur des problématiques diverses, dont l’adaptation urgente des bibliothèques face au Covid-19, l’avenir des bibliothèques, les services innovants liés aux nouvelles technologies ou encore la gestion de la nouvelle génération de bibliothèques. Il revient ici sur cette riche formation, en nous livrant ses réflexions.
Les bibliothèques universitaires face au Covid-19 : l’expérience chinoise
L’irruption de la pandémie a interrompu soudainement les activités des universités et des bibliothèques. Avant cette crise sanitaire inédite, personne n’avait jamais réfléchi à la façon dont une bibliothèque fonctionne lorsqu’elle est fermée sur le long terme du fait d’une cause extérieure. Les bibliothèques universitaires chinoises ont très tôt mis en place un programme pour maintenir un maximum de services. Par exemple, la bibliothèque de l’Université de Xiamen a commencé par ouvrir un guichet de prêt-retour. En scannant les QR codes liés à leurs comptes, les étudiants pouvaient récupérer sans contact physique les livres commandés, qui étaient placés dans un sac plastique. De plus, tous les livres étaient systématiquement désinfectés dans une machine prévue à cet effet. Ensuite, la bibliothèque a lancé un service de numérisation à la demande.
Pour rester en communication avec les étudiants, de nombreuses bibliothèques ont transféré leurs services en ligne. La bibliothèque de l’Université d’économie et de finances de Tianjin a opéré une réorganisation interne des missions de ses agents et a créé une équipe dédiée pour gérer le réseau social Wechat, répondre à toutes les demandes des étudiants en 24 heures, et diffuser de nombreuses notifications quotidiennes sur les collections de monographies et sur les ressources électroniques. Il faut souligner que l’achat des ressources électroniques dans la majorité des bibliothèques dépasse largement celui des monographies imprimées : 70 % du budget consacré aux sciences dures et 55 % aux sciences humaines et sociales correspondent à des achats de ressources électroniques.
Certaines universités étaient mieux préparées à proposer des services en ligne. Par exemple, la bibliothèque de l’Université Tsinghua possédait, depuis 2010, une plate-forme pédagogique réunissant toutes les sources numériques (manuels, livres de bibliographie du cours, articles ou rapports d’études recommandés par les enseignants, etc.) et même certains cours enregistrés au préalable. Les étudiants ont ainsi pu continuer à suivre leurs études presque normalement sur la plate-forme de la bibliothèque. Selon une statistique datée du 3 avril, pendant le confinement, 1454 universités ont lancé des enseignements en ligne, 950 000 enseignants ont effectués 942 000 cours à distance pour plus de 7,3 millions d’étudiants, soit sur les plates-formes numériques des universités, soit par le biais de Moocs (Massiv Open Online Course, cours d’enseignement diffusé sur Internet). La pandémie a ainsi accéléré le passage à un enseignement à distance et de nombreuses universités envisagent de construire leurs propres plates-formes pédagogiques, qui seront principalement gérées par les bibliothèques.
L’avenir des bibliothèques
Face aux avancées des nouvelles techniques numériques, et selon un rapport de la Fédération internationale des associations et institutions des bibliothèques (IFLA) de 2017, une tendance apparue ces dernières années remet en cause le rôle traditionnel des bibliothèques. Elles sont ainsi mises au défi, dans un climat d’incertitude, de défendre leur raison d’être et d’évoluer. Selon M. Cheng Huanwen, professeur de bibliothéconomie à l’Université Sun Yat-sen et membre du conseil d’administration de l’IFLA, le plus urgent est de renforcer le soft power des bibliothèques dans la mondialisation, et de valoriser les fonctions indispensables des bibliothèques dans la transmission des valeurs d’égalité et de liberté. Les bibliothèques doivent dépasser leur logique traditionnelle de fonctionnement pour s’insérer davantage dans la société, en créant des liens forts avec la société afin de participer plus activement à son développement. Quoique le manque de financement budgétaire pour les bibliothèques soit une réalité dans tous les pays, ces dernières doivent être actives auprès de leurs publics et des instances gouvernementales pour obtenir leur soutien. Elles peuvent également développer des ressources propres, afin d’obtenir de nouvelles sources de financement. En Chine par exemple, certaines bibliothèques se sont investies dans des activités extérieures à leurs missions pour s’auto-financer tels que des investissements immobiliers ou en ouvrant des annexes dans des centres de commerce, des aéroports et des résidences immobilières.
Un autre axe est développé par la vice-directrice de la bibliothèque de l’Université Cornell, Mme Li Xin. Depuis longtemps, les meilleures universités américaines ne pensent qu’à former les élites et sont en concurrence les unes avec les autres. Cependant, la pandémie actuelle dévoile l’immense inégalité qui traverse les sociétés, que ce soit entre les personnes dans un même pays et entre les pays. Les universités doivent changer leurs perspectives, entrer en coopération plutôt qu’en concurrence, former davantage de citoyens internationaux et moins viser les élites. Les bibliothèques doivent également changer leurs modes de fonctionnement : partager leurs collections auprès de publics plus nombreux plutôt que de développer des collections d’excellence. Ce partage des savoirs doit être encouragé avec les pays en voie de développement afin d’étendre le droit de lire et de penser. Concrètement, cela peut se traduire par l’achat d’un plus grand nombre de livres en langue vernaculaire, ou par l’envoi de bibliothécaires dans des pays en voie de développement pour aider à la construction de bibliothèques. Enfin, les bibliothèques du futur doivent prendre leur part de responsabilité pour diminuer l’inégalité d’accès aux savoirs et aux informations.
Les nouvelles missions des bibliothèques universitaires en Chine
Avec la rapide progression d’achat d’ebooks et de ressources électroniques, les bibliothèques universitaires chinoises ont vu leur rôle changer par rapport à celui des bibliothèques traditionnelles. Dans certaines universités, comme celle de Chongqing, même si l’acquisition de monographies imprimées par les bibliothécaires est maintenue, les acquisitions sont de plus en plus effectuées directement par les étudiants et enseignants. Selon leurs besoins, ils peuvent acheter des ouvrages, à partir de leur compte de lecteurs, sur un site en ligne partenaire de la bibliothèque, puis les livres sont livrés directement chez eux. Ils remettent ensuite les livres à la bibliothèque pour qu’ils soient catalogués. Cela permet de décharger en partie les bibliothécaires d’une de leurs premières missions traditionnelles, la veille documentaire. Cela a également un deuxième impact sur le travail : dans la majorité des bibliothèques universitaires ou publiques, le catalogage, considéré comme une tâche technique et peu qualifiée, est transféré à des entreprises extérieures. Sans oublier que les bibliothécaires font peu de service public en salle de lecture ; celui-ci est assuré soit par des étudiants contractuels, soit par des agents d’entreprises sous-traitantes. Les missions des bibliothécaires ainsi déchargés d’un certain nombre de tâches sont réorientées vers des services de recherche, de création et de gestion de bases de données ou de plates-formes pédagogiques ou spécialisées, de formations informatiques pour les étudiants et d’organisation d’activités sur place ou via les nouveaux médias (réseaux sociaux qui sont très importants en Chine et indispensables dans la vie quotidienne).
Depuis longtemps, la Chine souhaite être en tête du classement mondial des universités. De ce classement dépendent non seulement la notoriété de l’université, mais également le financement qui lui est alloué. Les bibliothèques universitaires jouent à cet égard un rôle important et forment des équipes importantes pour élaborer les outils et les rapports statistiques d’activité et de publications des chercheurs. Ainsi, les bibliothécaires doivent suivre et chiffrer en permanence toutes les publications de chaque enseignant. Parallèlement, ils comptabilisent les publications dans les mêmes disciplines des autres universités, considérées comme des concurrentes potentielles. D’un côté ces statistiques sont envoyées aux enseignants pour le suivi des recherches, et les incitent à publier davantage. De l’autre, ces rapports sont systématiquement envoyés aux directions des ressources humaines pour contrôler le travail des enseignants. Les bibliothèques, débordant de leur rôle de soutien à la recherche, maîtrisent ainsi le parcours professionnel des enseignants. Certaines bibliothèques poussent cette logique encore plus loin, en préparant les rapports sur le classement mondial des universités pour les présidents d’université, et par ricochet, en participant aux choix des champs de recherche prometteurs pour l’université. Pour obtenir des financements extérieurs, elles peuvent aussi offrir ce service à diverses sociétés. Par exemple, les bibliothèques de l’Université Fudan et de l’Université de Nankin, grâce à leurs riches bases de données et leurs compétences développées dans la recherche et le renseignement, ont des équipes dédiées pour fournir des rapports à des sociétés d’audit, des entreprises ou le gouvernement.
Une autre mission des bibliothécaires est de créer leurs propres bases de données ou plates-formes. Bien que les bibliothèques achètent de nombreuses ressources électroniques, elles préfèrent posséder leurs propres bases de données liées à la spécialité de leurs collections. Ces bases de données sont souvent en libre accès pour les chercheurs. La demande forte d’enseignements en ligne pendant la pandémie a précipité la création, par les bibliothèques universitaires, de plates-formes pédagogiques pour leurs universités. Par exemple, la bibliothèque de l’Institut de technologie de Pékin est en train de réaliser une bibliothèque entièrement numérique qui réunit toutes les ressources numériques et pédagogiques de chaque département. Ces nouveaux outils permettent également une individualisation des programmes pédagogiques, ainsi qu’un contrôle des étudiants et des chercheurs. Avec le big data et l’intelligence artificielle, la plate-forme est capable de saisir toutes les informations sur l’activité des étudiants à l’intérieur de l’université, que ce soit dans la vie quotidienne (comme l’achat dans une boutique sur le campus ou le nombre de photocopies réalisées), ou dans le cadre des études (comme le nombre d’heures de cours suivis, etc.). L’analyse de ces informations permet de personnaliser le suivi de chaque étudiant.
Comme le dit M. Zhang Dandong, directeur de la bibliothèque de l’Université du peuple de Chine, les frontières des bibliothèques universitaires sont en train de se transformer en lieu de rencontres ou de croisements. Les bibliothécaires doivent « sortir » et « inviter à rentrer ».
En premier, « sortir » : les bibliothécaires doivent répondre aux demandes des enseignants comme des chargés de clientèle. Il doivent s’intégrer activement dans les projets de recherche et passer de l’idée de « soutenir la recherche » à « servir la recherche ». Ils doivent également s’insérer dans l’offre d’enseignement en proposant des formations informatiques aux étudiants, ou même en devenant assistant des professeurs pour préparer des cours liés aux ressources des bibliothèques. La bibliothèque de l’Université d’économie et de finances de Shanghai demande même aux bibliothécaires de passer l’examen pour l’obtention du certificat de professeur.
En second, « inviter à rentrer » : les bibliothécaires doivent organiser des ateliers de lecture avec les étudiants. Il doivent là aussi changer de démarche et passer de « chercher des livres pour les lecteurs » à « chercher des lecteurs pour les livres », en offrant un service plus ciblé. Des compétences de gestion des nouveaux médias, surtout les réseaux sociaux, leur sont fortement demandées. Pendant le confinement par exemple, beaucoup de services passaient par l’intermédiaire de Wechat ou d’autres réseaux sociaux comme TikTok. Certaines bibliothèques envisagent même de créer des services payants, comme vendre des livres audio avec des commentaires enregistrés par les bibliothécaires.
La nouvelle gestion des ressources humaines des bibliothèques universitaires
Comme la majorité des bibliothèques universitaires chinoises sont en voie de transition vers des bibliothèques numériques, le nombre d’agents affectés au service public dans la salle de lecture va fortement diminuer. L’application des nouvelles techniques menacera fortement l’emploi. Même la maintenance des collections matérielles sera probablement touchée : par exemple, la bibliothèque de l’Université normale de Chine du centre est en train de tester un robot capable de classer les livres en libre-accès.
Face à ces avancées techniques, les bibliothèques demandent aux bibliothécaires d’acquérir un niveau de compétences plus élevé. Par exemple, la capacité à créer et gérer des bases de données et de plates-formes, la capacité à analyser les informations du big data, la capacité à fabriquer des contenus multimédia pour les différents réseaux sociaux pour créer une communication continue avec les nouvelles générations, etc. Les bibliothèques de l’Université de Chongqing et de l’Université d’économie et de finances de Shanghai ont ainsi mis en œuvre une réserve des mémoires numériques, en collectant et en classant les rapports multimédias d’enquêtes (entretiens visuels ou vocaux, mini-vidéos, photos, films documentaires) réalisées par des étudiants pendant leurs vacances d’été, dans différentes régions rurales en Chine. D’autre part, il est demandé aux bibliothécaires spécialisés dans des disciplines ou des domaines précis de participer aux projets de recherche, non seulement en dépassant l’offre des services bibliographiques, mais en menant les recherches des sources et en les analysant avec les chercheurs.
L’engagement dans l’enseignement est également indispensable. Pour mettre en valeur les collections à destination des étudiants, les bibliothécaires doivent préparer la bibliographie ou même le contenu de certains cours avec les enseignants. Si l’orientation du travail ne change pas, c’est-à-dire continuer à « chercher des livres pour les lecteurs » au lieu de « chercher des lecteurs pour les livres », les collections, tant imprimées qu’électroniques, vont s’endormir définitivement dans les bibliothèques. De plus, l’engagement dans l’enseignement permet de connaître les comportements de la jeune génération, d’ajuster et de créer des nouveaux services à leurs besoins.
Enfin, les bibliothécaires doivent être capables dans l’avenir de réaliser ces nouvelles tâches comme des « médecins généralistes » en ne se concentrant pas sur une unique mission. En bref, cela demande davantage de capacités d’apprentissage et d’autoformation qu’auparavant, un esprit ouvert et une forte adaptabilité aux changements, liés à la nouvelle génération de bibliothèques. Ces réformes de gestion du personnel sont toutefois difficiles à effectuer. De nombreux directeurs des bibliothèques soulignent à ce propos l’importance de donner plus de chances aux jeunes. Par exemple, la bibliothèque de l’Université d’économie et de finances de Shanghai envoie systématiquement chaque année pour des stages de trois mois des jeunes bibliothécaires dans les meilleures bibliothèques universitaires des États-Unis. Comme le soulignait M. Cheng Huanwen, « sans bons bibliothécaires, il n’y aura pas de bonnes bibliothèques ».
Réflexions autour de l’avenir des bibliothèques universitaires
« La Chine, toujours la Chine ! » La pandémie a accéléré la nécessité d’ouvrir une réflexion sur l’avenir des bibliothèques universitaires. Elle remet en cause le statut des bibliothèques traditionnelles, en privilégiant le développement des techniques numériques, jusqu’à faire des réseaux sociaux (WeChat, TikTok) des supports possibles des futures bibliothèques. Mais elle demande également de faire évoluer les missions des bibliothécaires, ainsi que les rapports avec les chercheurs et les étudiants. Ces évolutions placeront les bibliothèques universitaires chinoises au centre de la vie des universités, en étendant leur rôle bien au-delà de leur fonction actuelle. Il faut garder à l’esprit que ces évolutions, et principalement celles dues aux avancées technologiques, transformeront les bibliothèques universitaires chinoises en centres de contrôle de l’enseignement, de la recherche, de la diffusion des savoirs aussi bien que de la vie personnelle des enseignants-chercheurs que des étudiants. Ce qui est déjà le cas dans les bibliothèques numériques avec l’usage de l’intelligence artificielle, qui permet d’analyser les données privées des étudiants dans le but de personnaliser leur programme d’études.
La transformation des bibliothèques vers le numérique est une ambition partagée par tous les conférenciers de cette formation. Pour la réaliser, ces spécialistes de bibliothéconomie conservent des échanges très fréquents avec les bibliothèques les plus avancées des États-Unis, et surtout avec des chercheurs en informatique qui travaillent pour les GAFA… pour suivre au plus près les développements techniques, et plus particulièrement ceux de l’intelligence artificielle. Comme le dit de Pr. Zhang Jilong, vice-directeur de la bibliothèque de l’Université Fudan, « les Chinois ne sont pas bêtes du tout, ils ne leur manquent que la technique ». Les échanges avec les États-Unis restent donc privilégiés pour pouvoir « importer » en Chine ces nouvelles techniques qui y seront expérimentées comme des outils d’accès aux savoirs, mais aussi comme des outils politiques. Dans l’avenir, il serait intéressant et nécessaire d’observer attentivement ces évolutions vers les bibliothèques de « nouvelle génération » pour envisager les choix futurs que devront faire également nos bibliothèques, françaises et européennes.
Le passage vers la bibliothèque numérique entraîne également des modifications importantes des missions des bibliothécaires. Toutes les tâches mentionnées par les intervenants pendant cette formation dépassent le cadre du métier traditionnel des bibliothécaires ; on peut même dire que c’est une « appropriation » des tâches d’autres professions, telles qu’analyste des données, expert – consultant pour des projets des entreprises ou du gouvernement, créateur de contenus multimédia payant, opérateur des réseaux sociaux, enseignant ou chercheur, etc. D’un côté, toutes ces nouvelles tâches redéfinissent ou revalorisent le métier de bibliothécaire en élargissant les missions, mais elles ont aussi pour but de trouver de nouvelles sources de financement. Et on peut se demander si cela ne signifie pas, à plus ou moins long terme, la « mort » du métier traditionnel de bibliothécaire. D’un autre côté, comme le remarquait un intervenant, ces nouvelles missions redéfinissent l’organisation du travail, qui se fera plus de manière horizontale en collaboration, mettant fin aux structures pyramidales de direction. Cette nouvelle organisation « anti-hiérarchique » donnera plus de responsabilités et d’autonomie à chacun, tout en demandant un apprentissage de nouvelles compétences. La Chine nous donnera-t-elle l’exemple de ce nouveau modèle ?
Récemment, un débat a été lancé sur les nouvelles sciences humaines et sociales chinoises. Cette « nouveauté » trouve son origine dans l’idéologie et les directives du Parti à propos des « quatre confiances » : la confiance dans le chemin socialiste ; la confiance dans la théorie socialiste ; la confiance dans le système socialiste et la confiance dans la culture socialiste… autrement dit la confiance dans le socialisme chinois. Depuis le début du XXe siècle, les sciences humaines chinoises ont été largement influencées par les méthodes et les concepts occidentaux. Mais au XXIe siècle, pour assurer sa place dans le monde et diffuser ses valeurs, la Chine doit promouvoir son soft power. À ce titre, la « confiance dans la théorie » doit être le squelette de la pensée dans les sciences humaines et sociales.
La conclusion évidente de ce débat est donc que les nouvelles sciences humaines et sociales chinoises doivent se construire sur les expériences chinoises, à partir des sources chinoises et des archives chinoises, même si un intervenant M. Wang Xincai, directeur de la bibliothèque de l’Université de Wuhan, a osé signaler le risque de cette fermeture aux sources extérieures. Au même moment, l’Association des archivistes de Chine lance un grand chantier de numérisation des archives d’État. Mais, dans le cadre de ce chantier, sont clairement fixés les critères politiques définissant les périodes et les types d’archives qui devront être numérisés. Les recherches en sciences humaines et sociales hériteront ainsi de la « couleur idéologique » de ces sources « réécrites ». D’un côté, les bibliothèques universitaires veulent passer à l’étape de la bibliothèque numérique en ouvrant l’accès à plus d’informations et de savoirs aux lecteurs. D’un autre côté, le choix politique de ce qui peut être mis à la disposition des chercheurs aussi bien que du public réduit l’accès aux sources et provoque un doute sur leur qualité. La Chine est toujours empêtrée dans des visées contradictoires !
Pour les bibliothèques occidentales, l’enjeu de montrer un paysage réel de la Chine demande une vigilance accrue dans l’acquisition des ouvrages et des ressources électroniques, afin de dépasser la barrière idéologique. « La Chine, encore la Chine ! ».
C’est la rentrée ! La BULAC a rouvert ses portes au public depuis le 8 septembre et vous accueille à nouveau en ses murs, dans les meilleures conditions possibles. Pour continuer à se former, partager et découvrir, les bibliothécaires vous proposent une sélection d’articles publiés sur des carnets de recherche aréalistes Hypothèses.org.
La sélection d’une poignée de billets, déjà mis en valeur sur notre carnet de veille La Croisée de la BULAC, devient difficile, tant les publications de qualité sont nombreuses … !