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“Vues sur la pandémie” : la crise du COVID-19 éclairée par les SHS et les études aréales

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Le carnet de veille la Croisée de la BULAC vous propose tout au long de l’année une sélection de billets publiés sur les carnets de recherche de la plate-forme hypotheses.org. Une nouvelle catégorie, « Vues sur la pandémie » vient désormais s’y ajouter pour mettre en lumière la crise sanitaire du COVID-19 à travers la lecture historique, linguistique ou sociologique des chercheurs en études aréales.

Un bon moyen de découvrir la gestion de l’épidémie à une échelle mondiale ou locale, avec des plongées au Japon, au Viet Nâm, en Inde ou encore au Pérou. Retrouvez également une série d’articles à portée historique sur les épidémies, de la Mésopotamie aux Amériques au XIVe siècle, jusqu’à l’époque contemporaine. Certaines études ont une visée davantage sociologique ou confrontent la gestion de l’épidémie à de nouvelles perspectives de recherche, comme les gender studies.

Gravure sur bois de Daniel Vierge (1851-1904) : “Espagne, précautions prises contre la fièvre jaune”, Collection Jaquet. Source : Gallica, BNF

Alors que de nombreux scientifiques de la sphère médicale prennent la parole, les sciences humaines et sociales offrent un autre regard sur la pandémie : à l’Institut de recherche sur le développement (IRD), les anthropologues de la santé sont mobilisés.

D’autres initiatives en sciences humaines et sociales méritent d’être signalées : 

  • l’École des hautes études en sciences sociales a ouvert sur son site, le carnet Perspectives sur le Coronavirus ;
  • The Conversation, média collaboratif animé par des enseignants-chercheurs couvre la crise sanitaire ;
  • le site de veille et de débats La Vie des idées consacre un dossier aux « visages de la pandémie » ;
  • la bibliothèque de l’École Normale Supérieure a pris l’initiative d’une bibliographie collaborative pour recenser les publications analysant la pandémie actuelle.

N’oubliez pas que la BULAC vous accompagne aussi en mettant en place des services à distance.

De quoi changer de regard sur cette crise mondiale !


Portrait de chercheur : Hélène Kessous

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Hélène Kessous par Maxime Ruscio/BULAC

Questions à… Hélène Kessous, docteur en anthropologie sociale et ethnologie, aussi chargée des fonds hindi et népali à la BULAC

Jeune docteur en anthropologie sociale et ethnologie, Hélène Kessous a soutenu sa thèse il y a un an à l’EHESS. Elle est membre du Centre d’étude de l’Inde et d’Asie du Sud (CEIAS) et a obtenu le prix de thèse 2019 du Musée du quai Branly. Elle délivre un cours intitulé « Cinémas d’Asie du Sud et du Tibet » à l’Inalco ce semestre.

Quel est votre parcours ?

J’ai un parcours qui s’annonçait tout à fait classique jusqu’à ma rencontre avec l’Inde. Après deux ans d’hypokhâgne-khâgne, je me suis dirigée vers une licence puis une maîtrise de philosophie pendant laquelle j’ai travaillé sur la question de la foi chez Pascal et Spinoza, sous la direction de Chantal Jaquet à Paris 1 Panthéon Sorbonne. C’est pendant mes années de philosophie que j’ai rencontré l’Inde lors d’un voyage. Au début c’était une passion, un loisir, un plaisir coupable. Un plaisir coupable car pendant mon voyage je suis tombée amoureuse du cinéma Bollywood et, en rentrant, j’ai passé des heures et des heures à regarder ces films fleuves qui me fascinaient.

« Idhar Chala Mein Udhar Chala », du film Koi…Mil Gaya (Rakesh Roshan, 2003)

En 2005, je décide alors de m’inscrire en mineure hindi à l’Inalco, pour m’aérer un peu la tête pendant la préparation de l’agrégation de philosophie, et puis finalement, au second semestre, je quitte la philosophie pour me consacrer pleinement aux études indiennes. Cela a été un virage déterminant.

Après la licence de hindi, j’ai rejoint le Master 2 Asie Méridionale et Orientale de l’EHESS. Cette année-là j’ai travaillé sur les pratiques de blanchiment de la peau dans les communautés asiatiques de Paris, un sujet qui a préparé mon sujet de thèse d’anthropologie dans le même établissement : La blancheur de la peau en Inde. Des pratiques cosmétiques, à la redéfinition des identités, sous la direction de Catherine Servan-Schreiber. Une thèse que j’ai soutenue en décembre 2018. Parallèlement à mes activités universitaires, n’étant pas financée, je travaillais pour des festivals de films (notamment Cannes, Lyon), j’étais bénévole au FICA de Vesoul également, un festival que j’ai connu grâce à l’Inalco qui emmenait chaque année une délégation d’étudiants. Ce festival m’a donné le goût de la pédagogie par l’image. Voir les films en festival est toujours une expérience enrichissante : la présence des réalisateurs, les rencontres avec le public, les débats, etc., c’est un rapport au cinéma qui m’a plu.

Souhaitant mieux faire connaître l’Asie du Sud et ses cinémas, avec Némésis Srour (une collègue de l’EHESS) nous avons monté différents projets, un festival notamment, nous avons un peu tâtonné jusqu’en 2015 et la création de Contre-Courants. Contre-Courants est une plateforme curatoriale qui travaille à la promotion et la diffusion des cinémas d’Asie du Sud. Nous sommes amenées à élaborer des programmes, des conférences, des Q&A, etc. C’est dans ce cadre que nous avons distribué un film du Bangladesh, Les Lauriers-roses rouges, de Rubaiyat Hossain; un film engagé dans lequel la réalisatrice donne à voir trois portraits de femmes complexes et nuancés, et dans lequel elle croque la société bangladeshie avec finesse.

Comment expliqueriez-vous vos recherches aux lecteurs du Carreau de la BULAC ?

Mes recherches tournent autour des questions de la couleur de la peau en Inde, et comment celles-ci influencent les identités sociales. Il y a, en Inde, une préférence ancestrale pour les teints les plus clairs ; mon enquête m’a conduite à essayer de comprendre d’où vient cette préférence. Il m’a fallu démêler les liens entre la couleur de la peau et les notions de race, de caste, mais également de beauté. Aussi, j’ai tenu à étudier les systèmes de représentations, J’ai particulièrement aimé me plonger dans l’œuvre du grand peintre indien Ravi Varma (1848-1906) et dans ses très célèbres chromolithographies.

Murugan, Raja Ravi Varma

Cet art populaire par essence peut être considéré comme le début du kitsch indien pour aller un peu vite. La blancheur des personnages renvoie quant à elle à une idée d’aryanisation des images, à une époque où l’Inde, encore à naître, se cherche une identité qui peut faire face à la domination coloniale britannique. Ces dernières années, plusieurs chercheurs s’intéressent à cette liaison entre mythologie, arts populaires, discours politique, à l’étranger comme en France.

Arjun et Subhadra, Raja Ravi Varma

Et de manière plus générale, la peinture, le cinéma, la photographie, la publicité sont des véhicules majeurs du stéréotype de la peau blanche. Je les ai utilisés dans l’optique d’interroger le gouffre qui existe entre les représentations et la réalité. Je ne dis pas qu’une image, quelle qu’elle soit, se doit de représenter la réalité, mais j’ai voulu justement travailler sur l’écart entre les deux, en centrant l’analyse sur la question de la couleur de la peau.

En faisant cela j’ai inscrit mes recherches dans un courant de pensée relevant des Whiteness Studies, ou les études de la blanchité.

Après avoir passé tant de temps à penser la blancheur de l’Inde, je souhaiterai maintenant penser sa « noirceur ». Les anglicismes semblent inévitables sur ces questions et il paraît plus naturel d’utiliser les termes anglais. Il y a tout un travail à faire sur la blackness de l’Inde, ou plutôt sa brownness. Cela me permettrait de changer de terrain, et de faire entrer l’Inde du sud dans mon corpus, mais également de parler de l’Inde du nord et de tous ceux qui sont exclus des images à cause de leur couleur de peau trop foncée. Il y a aujourd’hui de plus en plus de campagnes sur les réseaux sociaux qui reprennent des hashtags comme #darkisbeautiful pour dénoncer le colorisme.

Quelles sont les raisons qui vous ont amenée à venir effectuer des recherches à la BULAC ?

Elles sont très simples, bon nombre de livres dont j’avais besoin pour mes recherches ne se trouvent qu’à la BULAC ! C’était impossible pour moi de faire mes recherches en France sans y venir. J’ai bien sûr eu recours à d’autres bibliothèques, mais qui sont dans le périmètre BULAC et qui sont des bibliothèques partenaires puisqu’il s’agit principalement de la bibliothèque du CEIAS et de celle de l’EFEO.

Étant étudiante à l’EHESS, je pouvais avoir recours à la réservation de place à la BULAC. Une fonction qui garantit un espace de travail et qui aide indéniablement à se motiver à venir travailler les jours où on est un peu fatigué. Je n’ai pas beaucoup utilisé les carrels. Parce que mine de rien la bibliothèque était un moment de socialisation ; certaines semaines vers la fin de la thèse, c’était le seul endroit où « je croisais des gens » alors je n’avais pas envie de m’enfermer dans un carrel.

Hélène Kessous, par Maxime Ruscio/BULAC

Quelles sont les autres lieux où vous allez travailler ?

Mes bibliothèques idéales étaient celles de la BIULO, à Dauphine d’abord, pour travailler pendant les cours en groupe, pour faire nos devoirs de hindi tous ensemble etc., c’était formidable. J’y ai de très bons souvenirs. Et puis bien sûr celle de la rue de Lille. Petite, cosy, belle, il ne faisait pas froid, c’était dans le centre de Paris, on croisait parfois Karl Lagerfeld dans la rue pendant la pause ! C’était très confortable et calme, avec de belles tables en bois, et tout un tas d’usuels à disposition. J’aime bien également une bibliothèque voisine, rue des Saints-Pères, la bibliothèque SHS Descartes. L’espace est très agréable avec de grandes tables, les magasins sont en accès libre donc on va directement se servir. Sinon, la Bpi est toujours une bibliothèque de secours pour moi. Elle est notamment très bien pourvue en ouvrages sur l’art indien.

Je dois avouer que mon critère principal est vraiment celui de la localisation. Même si je n’habite pas dans le centre de Paris, une bibliothèque dans le centre aura  toujours ma préférence si je cherche seulement un espace de travail. Au début de mes études j’habitais en province et je faisais le trajet tous les jours, alors en arrivant à la Gare du Nord, aller dans un périmètre allant de Châtelet à Saint Michel était très pratique et rapide.

Vous êtes par ailleurs chargée de collections à la BULAC. Cela a-t-il modifié votre recherche ?

Je dirai que c’est plutôt l’inverse ! Ma recherche a modifié ma pratique de chargée de fonds. Mes sujets de recherches étant transdisciplinaires et sur une période historique très vaste, cela m’a permis d’enrichir le fonds de textes théoriques venant de la recherche anglo-saxonne dans laquelle les courants disciplinaires comme les études postcoloniales sont présents depuis de nombreuses années. De manière générale je pense que j’ai donné une coloration beaucoup plus sciences sociales à un fonds qui était traditionnellement tourné vers la linguistique et la littérature.

J’ai aussi participé activement au développement du fonds sur les cinémas indiens, qui je crois commence à être appréciable. Car, à travers les cinémas indiens, c’est bien la société indienne qui est interrogée et je trouve cela dommage que souvent, dans la recherche en France, les cinémas soient mis de côté. Ils peuvent pourtant nous permettre de comprendre de vastes sujets très contemporains comme par exemple la montée de l’hindutva, une idéologie hindoue d’extrême droite.

Conseillez-nous des ouvrages inspirants issus du catalogue de la BULAC ? 

Rāmāyaṇa, aux éditions Diane de Sellier. Classique entre les classiques, mais il est inspirant parce que c’est une édition illustrée. À travers les illustrations provenant des diverses traditions picturales de l’Inde, c’est toute la complexité et la richesse du monde indien qui ressort.

The Imperial Gazetteer of India, 1908

J’aime beaucoup me plonger dans les Imperial Gazetteers of India. On y voit l’Inde telle que les Anglais la percevaient à la fin du XIXe et au début du XXe. Il y a des volumes thématiques et des volumes régionaux. J’aime lire ceux qui concernent les villes et les endroits que je connais bien. Cela permet de remonter dans le temps en quelque sorte.

Le fonds regorge également de romans inspirants. Comme au cinéma, en littérature j’aime les grandes fresques romanesques qui se déroulent sur plusieurs générations. Pour pleurer d’émotion, on peut lire L’Équilibre du monde de Rohinton Mistry, ou encore une œuvre traduite du télougou, Sacrifice de Muppala Ranganayakamma. Pour voyager dans le temps et l’histoire, c’est Le Palais des miroirs d’Amitav Ghosh et, pour rire,  la version cynique du Mahabharata de Shashi Tharoor, Le Grand roman indien.

La BULAC possède aussi un fonds de DVD. Un film indien présent dans nos collections à conseiller ?

J’hésite entre La Famille indienne de Karan Johar et Veer Zaara de Yash Chopra. Le premier me ramène instantanément à mon premier voyage en Inde, le chauffeur que nous avions dans le Rajasthan passait la cassette audio toute la journée, sans interruption. Je ne connaissais pas Bollywood et je ne savais même pas de quel film il s’agissait, mais à la fin du voyage je connaissais toutes les chansons par cœur. Alors quand le film est sorti quelques mois plus tard en salle, à Paris, j’étais au bord de l’hystérie. C’est resté depuis un incontournable pour moi, un refuge.

Veer Zaara quant à lui est probablement le film que j’ai vu et revu le plus de fois d’affilée juste après l’avoir découvert. La musique poignante et obsédante y est pour beaucoup.

« Yeh Hum Aa Gaye Hain Kahaan », Veer Zaara (Yash Chopra, 2004)

J’en profite pour préciser que le fonds DVD est assez peu fourni parce qu’il y a très peu d’éditeurs de DVD français qui proposent des films indiens. Les étudiants de l’Inalco les plus curieux et les plus passionnés pourront contourner cela en utilisant le fonds disponible au service TICE de l’Inalco, qui est plus fourni que le nôtre.

Quels sont les événements et les personnalités scientifiques qui vous ont inspirée récemment ?

Il y en a énormément, il se passe toujours quelque chose à l’EHESS. Mais s’il fallait choisir je dirai qu’il y a eu la rencontre de Cristina Ciucu qui a beaucoup compté pour moi. C’est une philosophe qui donne un séminaire à l’EHESS. J’ai pu assister à celui de l’année dernière consacré au thème Paradigmes écartés de la modernité : philosophie, cosmologie, sciences politiques, sciences naturelles, c’était passionnant et surtout époustouflant de brio. La philosophie est loin derrière moi aujourd’hui et je n’avais sincèrement plus tous les outils théoriques nécessaires pour comprendre toute la portée de ce séminaire, mais le simple fait d’y aller, de lire les textes et de réfléchir a été une grande source de plaisir. Je citerai également Anne Lafont, dont le livre L’Art et la race est paru malheureusement trop tard pour m’être utile dans la thèse. Je suis cette année son séminaire Art africain, art nègre, créolisation : histoire et catégories. Idem, j’aurais aimé qu’il existe au début de ma thèse, mais malheureusement ce n’était pas le cas. Quoiqu’il en soit, pouvoir le suivre aujourd’hui est une chance qui va nécessairement influencer la publication de ma thèse. Et j’en suis ravie.

Hélène Kessous, par Anjely Rais

Quelques-unes de vos publications?

Publier avant la fin de la thèse me semblait être une aberration. J’avais besoin de temps pour dérouler ma pensée, publier avant d’avoir « fait le tour » ne me mettait pas à l’aise et je n’ai pas osé. Je crois que j’avais besoin de la validation de la thèse pour me sentir légitime. Maintenant que c’est chose faite, je suis en train de contacter des éditeurs pour mes différents projets.

Une séance de dépôt dans HAL à distance avec les bibliothécaires de la BULAC !

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La BULAC vous accompagne pendant le confinement et vous propose un service à distance : une formation pour déposer dans HAL vos publications…. depuis votre canapé ! 

Quel que soit votre niveau de maîtrise de HAL, nous serons là pour répondre à vos questions et vous guider dans la prise en main de l’outil et le dépôt de document ! 

Pour cela, rien de plus simple ! 

  • Consulter sur le site de la BULAC notre tutoriel en 4 étapes pour créer son compte dans HAL et préparer son dépôt en cinq minutes 
  • Se connecter le mercredi 22 avril entre 10h00 et 12h00 en cliquant , les bibliothécaires pourront vous guider et répondre à vos questions … depuis chez eux ! 
  • Si vous êtes curieux, vous pouvez aller consulter nos autres supports de formation, dont «Tout savoir sur HAL !» et «Prendre en main HAL».

Prêts ?

À vos publications ! 

La revue Graminées, un vent nouveau pour la traduction

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Graminées est une revue illustrée de nouvelles littéraires étrangères, dont le premier numéro a vu le jour en décembre 2019. Graminées est aussi le nom d’une association visant à créer des synergies entre auteurs, traducteurs, illustrateurs et lecteurs.


Ce n’est pas de jardinage dont nous allons parler ici, non. Nous cultivons dans un tout autre genre, celui de la nouvelle. Nous espérons disséminer cette forme courte et encourager sa floraison en France. À la manière des Graminées qui voyagent, s’implantent et germent, nos histoires ont été soufflées par les vents d’ailleurs afin de s’ancrer dans votre imaginaire et d’y faire naître un foisonnement d’émotions.

Le concept ?

Une revue papier illustrée réunissant des nouvelles contemporaines des 5 continents, autour d’un thème évocateur.

Chaque numéro regroupera des auteurs originaires du monde entier. Autant de voix singulières qui se côtoient et se font écho autour d’un thème unique, pour confronter des visions du monde.

Pourquoi la nouvelle ?

Bien qu’encore sous-représentée en France, la nouvelle est un genre reconnu à l’étranger. Avec la forme courte, pas le temps de s’ennuyer. Elle suggère, sans détailler. Elle se livre, intense et efficace. Et les auteurs ne s’y trompent pas. Ils s’en emparent avec jouissance car ils savent qu’elle leur ouvre un champ d’exploration infini et une liberté de forme incomparable. C’est cette originalité qui sous-tend les dix nouvelles de ce premier numéro.

Pourquoi étrangère ?

Plusieurs revues consacrées à la nouvelle existent déjà, mais aucune n’est dédiée exclusivement aux nouvelles étrangères. Il y a donc un espace à investir. Certains des auteurs que nous avons choisis sont reconnus dans leurs pays mais méconnus en France.

Ce que permet l’étranger, c’est regarder avec les yeux d’un être qui se trouve à l’autre bout du monde. Ou bien dans un pays voisin, mais avec ce pas de côté qu’induit la différence de culture. Certes, l’auteur nous livre une part intime, mais il est aussi la voix de toute une société, d’une époque et d’un mode de pensée. Alors quelle joie de voyager ainsi, sans visite guidée, sans exotisme ni souvenirs en toc.

Et ces excursions sur d’autres terres ne sont possibles que grâce au travail des traducteurs, véritables passeurs. Avec Graminées, ils auront la possibilité de proposer des textes et des auteurs qu’ils aiment, peu ou pas visibles dans le paysage français. De mettre à l’honneur des langues rares et des littératures délaissées. De détourner le thème en proposant des nouvelles un brin décalées.

Pourquoi illustrée ?

Pour donner à voir. Vous proposer une revue à lire et à regarder. Pour chaque continent, nous avons demandé à un illustrateur de nous livrer sa vision du thème sur une double page et de nous dévoiler ainsi un peu de son univers intime. Il ne s’agit pas d’illustrer les textes, mais d’enrichir la palette des interprétations. Vous offrir une pause colorée, écho visuel à des textes, en continuité ou en décalage…

Graphisme : Mathilde Dubois

De quoi parle le numéro 1 ?

Pour débuter l’aventure : le couple ! Ou plutôt les couples, sous toutes leurs formes. Parce que ça nous concerne tous, parce qu’ils nous font fantasmer et enflamment l’imagination, nous avons eu envie d’aller voir comment l’on s’en empare sous d’autres latitudes. Dans le champ lexical de Couple(s), on peut trouver amour, sexe, intimité, apparences, domination, dépendance… ou rien de tout cela. Alors voilà dix versions de ce qui fait couple, ici et ailleurs.

Qui participe ?

Les auteurs : Olufunke Ogundimu (Nigeria), NoViolet Bulawayo (Zimbabwe), Marcial Gala (Cuba), Carl-Keven Korb (Canada), Geetanjali Shree (Inde), Soukhbat Aflatouni (Ouzbékistan), Alison Louise Kennedy (Écosse), Guéorgui Gospodinov (Bulgarie), Laura Elizabeth Woollett (Australie), Sue McCauley (Nouvelle-Zélande).

Les traducteurs : Gersende Camenen (espagnol), Annie Montaut (hindi), Marie Vrinat-Nikolov (bulgare) et Filip Noubel (russe).

Les illustrateurs : Amélie Patin, Camille Deschiens, Antonin Guillot, Raphaelle Macaron et Louise de Crozals.

La graphiste unique : Mathilde Dubois

Qui sommes-nous ?

Nous sommes deux cofondatrices, Ève Vila, traductrice et nouvelliste, et Nathalie Tournillon, éditrice.

L’idée est née d’une envie : pourquoi ne pas créer une belle structure ensemble après des années de collaboration dans l’édition ? Exaucer enfin le souhait d’être libres d’éditer ce qui nous fait vibrer. En étant respectueuses de notre écosystème : rémunération des contributeurs et impression en France.

Et partager cette possibilité avec d’autres : Graminées, c’est aussi une association qui vise à créer des synergies entre auteurs, illustrateurs, traducteurs… et lecteurs. Elle se déploiera dans le temps. Ouverte aux propositions et aux partenariats fertiles.


La revue Graminées est consultable à la BULAC !

Des nouvelles du partenariat Calfa-BULAC

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Souvenez-vous : il y a quelques mois, la BULAC nouait un partenariat avec l’association Calfa, et entreprenait ainsi la numérisation et l’indexation de ses collections manuscrites arméniennes, en particulier du fonds Dulaurier. L’objectif de ce partenariat : assurer la préservation et la découverte de ces fonds par le grand public, en proposant notamment une version OCRisée de ces documents, mais également de contribuer à l’amélioration d’une intelligence artificielle, dédiée à la reconnaissance de l’écriture manuscrite arménienne moderne.

L’association Calfa, depuis lauréate du Prix Télécoms Innovation 2019, vient de mettre en ligne la vidéo de présentation de ce partenariat, un bon moyen de découvrir en quelques minutes le projet, sa méthodologie ainsi que la technique d’OCR !

Lire la vidéo sur Facebook

Ne passez pas non plus à côté du portrait de Chahan Vidal-Gorène, fondateur de Calfa, réalisé par l’association des alumni de l’Inalco. 


Image de Une : © association Calfa

Croisée de la BULAC : sélection de billets pour le mois d’avril 2020

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Nous vous avions préparé un palmarès des nos billets Hypothèses préférés du mois de mars dans le domaine des aires culturelles, voici notre sélection du mois d’avril, parmi les Une de la Croisée de la BULAC !

La BULAC a également sélectionné pour vous des articles sur le COVID 19, consultables dans la rubrique « Vues sur la pandémie ». N’hésitez pas à aller y retrouver le point de vue des humanités sur l’épidémie.

Retrouvez toutes nos sélections dans la rubrique « Mis en avant » de la Croisée. 

Bonne lecture !

Découverte des ressources électroniques dans le domaine Maghreb / Moyen-Orient

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Malgré le confinement, la BULAC continue à vous suivre et à réfléchir à de nouveaux services et de nouvelles ressources !

En cette période de pandémie, de nombreux éditeurs ont ouvert des accès temporaires à leurs ressources numériques, c’est l’occasion de tester des ressources qui ne font pas encore partie de notre offre documentaire ! Nous vous proposons de découvrir jusqu’au 2 juin 2020 une nouvelle ressource électronique dans le domaine du Maghreb/Moyen-Orient : la plateforme pluridisciplinaire e-Marefa, disponible sur le site de la BULAC.

Ce test est l’occasion de découvrir une ressource électronique et d’estimer sa pertinence, en vue d’une potentielle acquisition par la BULAC. Cette campagne de test s’adresse en priorité aux enseignants, aux chercheurs et aux doctorants.

Si vous ne possédez pas de compte, pas d’inquiétude, il est possible d’en créer un à distance, qui sera actif le temps du confinement.

Un questionnaire en ligne est accessible ici et nous permettra de connaître votre avis sur cette ressource. N’hésitez pas à nous poser des questions ou nous faire des remarques à l’adresse suivante : ressources-numeriques@bulac.fr

Vous pouvez également retrouver l’ensemble de nos ressources numériques sur le site internet de la BULAC, dans la page des collections en ligne; la liste des ressources accessibles gratuitement pendant le confinement est ici

Merci d’avance pour votre participation !

L’Encyclopédie des historiographies : Afriques, Amériques, Asies

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Porté par cent cinquante-six historiens et historiennes représentant près de quatre-vingt-dix institutions nationales et internationales, le premier volume de l’Encyclopédie des historiographies. Afriques, Amériques, Asies vient de paraître aux Presses de l’Inalco (30 avril 2020) en format numérique.


Livre d’histoire tout autant qu’ouvrage d’historiographie (épistémologie de la discipline historique), cette nouvelle encyclopédie décrit, décrypte et compare les rapports que les hommes et les sociétés entretiennent avec leur passé.

Par l’étendue des aires culturelles et les périodes qu’elle embrasse, cette publication s’inscrit en partie dans le courant actuel de l’histoire globale. Elle a pour ambition d’offrir une vaste somme de connaissances sur les diverses écritures de l’histoire dans les mondes d’autrefois et d’aujourd’hui. L’Encyclopédie des historiographies a par ailleurs pour vocation, d’une part, de rendre accessible à un large public national et international un savoir académique ayant trait à un pan entier de l’histoire de la pensée mondiale et, d’autre part, de valoriser les historiographies non-occidentales.

L’ambition intellectuelle de l’encyclopédie rend nécessaire une publication en plusieurs étapes. Le premier volume désormais en ligne est consacré aux thèmes des sources et des genres historiques. On entend par « source historique » toute trace (écrite, orale, archéologique, iconographique, etc.) laissée par le passé et utilisable pour l’élaboration d’un récit historique. Un « genre historique » est la manière dont le récit du passé est élaboré et / ou présenté : par exemple, la biographie des personnages célèbres, l’épopée, le récit mythologique, la poésie, l’art théâtral, le texte sacré, les mémoires personnels, l’art pictural…

Par sa volonté de marginaliser les historiographies occidentales, par la liberté laissée aux
auteurs de s’exprimer dans un format libre, et par son caractère multilingue, l’entreprise
éditoriale que représente l’Encyclopédie des historiographies se démarque de toutes les
publications antérieurement consacrées à l’histoire de l’histoire.

L’Encyclopédie des historiographies. Afriques, Amériques, Asies sortira au format papier en juin. L’ouvrage sera disponible en librairie. Son deuxième volume, consacré aux Figures, écoles et débats historiographiques, est déjà en préparation.

Décor du « Vase Jauncy ». L’inscription précise qu’il fut le gobelet pour boire du chocolat de K’ak’Tiliw Chan Chaahk, roi de la cité maya de Naranjo (VIIe – VIIIe s.). Photo J.M. Hoppan.

Pour aller plus loin : explorez la sélection bibliographique « Historiographies d’ailleurs » dans le catalogue de la BULAC.


Découverte des ressources électroniques dans le domaine Maghreb / Moyen-Orient

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Malgré le confinement, la BULAC continue à vous suivre et à réfléchir à de nouveaux services et de nouvelles ressources !

En cette période de pandémie, de nombreux éditeurs ont ouvert des accès temporaires à leurs ressources numériques, c’est l’occasion de tester des ressources qui ne font pas encore partie de notre offre documentaire ! Nous vous proposons de découvrir jusqu’au 31 mai 2020 une nouvelle ressource électronique dans le domaine du Maghreb/Moyen-Orient : la base Afghan Serials Collection, disponible sur le site de la BULAC.

Image issue du fond numérisé de Afghan Serials Collection (source : https://www.eastview.com/resources/journals/afghan-serials-collection/).

Ce test est l’occasion de découvrir une ressource électronique et d’estimer sa pertinence, en vue d’une potentielle acquisition par la BULAC. Cette campagne de test s’adresse en priorité aux enseignants, aux chercheurs et aux doctorants.

Si vous ne possédez pas de compte, pas d’inquiétude, il est possible d’en créer un à distance, qui sera actif le temps du confinement.

Un questionnaire en ligne est accessible ici et nous permettra de connaître votre avis sur cette ressource. N’hésitez pas à nous poser des questions ou nous faire des remarques à l’adresse suivante : ressources-numeriques@bulac.fr

Vous pouvez également retrouver l’ensemble de nos ressources numériques sur le site internet de la BULAC, dans la page des collections en ligne.

Merci d’avance pour votre participation !

 

Découverte des ressources électroniques dans le domaine japonais

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La BULAC continue à vous suivre et à réfléchir à de nouveaux services et de nouvelles ressources, malgré la fermeture au public de la bibliothèque.

En cette période de pandémie, de nombreux éditeurs ont ouvert des accès temporaires à leurs ressources numériques, c’est l’occasion de tester des ressources qui ne font pas encore partie de notre offre documentaire ! Nous vous proposons de découvrir jusqu’au 31 mai 2020 une nouvelle ressource électronique dans le domaine japonais : le magazine généraliste Japan Illustrated, publié entre 1963 et 1977, et disponible sur le site de la BULAC.

Ce test est l’occasion de découvrir une ressource électronique et d’estimer sa pertinence, en vue d’une potentielle acquisition par la BULAC. Cette campagne de test s’adresse en priorité aux enseignants, aux chercheurs et aux doctorants.

Si vous ne possédez pas de compte, pas d’inquiétude, il est possible d’en créer un à distance, qui sera actif le temps du confinement.

Un questionnaire en ligne est accessible ici et nous permettra de connaître votre avis sur cette ressource. N’hésitez pas à nous poser des questions ou nous faire des remarques à l’adresse suivante : ressources-numeriques@bulac.fr

Vous pouvez également retrouver l’ensemble de nos ressources numériques sur le site internet de la BULAC, dans la page des collections en ligne; la liste des ressources accessibles gratuitement est ici

Merci d’avance pour votre participation !

Découverte des ressources électroniques dans le domaine Europe balkanique, centrale et orientale

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La BULAC continue à vous suivre et à réfléchir à de nouveaux services et de nouvelles ressources, malgré la fermeture au public de la bibliothèque ! Après les nouvelles ressources dans les domaines Maghreb / Mondes musulmans et Japonais ces dernières semaines, voici une ressource dans le Domaine Europe balkanique, centrale et orientale.

Nous vous proposons de découvrir jusqu’au 25 juin 2020 l’Encyclopedia of Slavic Languages and Linguistics Online éditée par Brill et qui traite de l’ensemble des langues slaves. Elle est disponible sur le site de la BULAC, et traite des aspects linguistiques des langues slaves depuis les origines jusqu’à nos jours. La ressource analyse également l’interaction entre le slave et d’autres langues.

Ce test est l’occasion de découvrir une ressource électronique et d’estimer sa pertinence, en vue d’une potentielle acquisition par la BULAC. Cette campagne de test s’adresse en priorité aux enseignants, aux chercheurs et aux doctorants.

Si vous ne possédez pas de compte, pas d’inquiétude, il est possible d’en créer un à distance, qui sera actif le temps du confinement.

Un questionnaire en ligne est accessible ici et nous permettra de connaître votre avis sur cette ressource. N’hésitez pas à nous poser des questions ou nous faire des remarques à l’adresse suivante : ressources-numeriques@bulac.fr

Vous pouvez également retrouver l’ensemble de nos ressources numériques sur le site internet de la BULAC, dans la page des collections en ligne; la liste des ressources accessibles gratuitement est ici

Merci d’avance pour votre participation !

Une nouvelle séance de formation à distance : HAL et Academia.edu

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La BULAC vous propose plusieurs services à distance. Parmi eux, des formations en ligne, où vous pouvez retrouver vos bibliothécaires ! Vous avez déjà été nombreux à participer à ces formations depuis le début du mois d’avril, ce qui nous encourage à continuer ! 

Nous vous donnons rendez-vous le jeudi 11 juin prochain entre 10h et 12h pour une formation sur l’archive ouverte HAL (comment y faire ses recherches documentaires, comment y créer un compte et y déposer ses propres productions scientifiques). Nous vous présenterons également MédiHAL, dédié aux images scientifiques. Enfin, nous envisagerons le (bon) usage des réseaux sociaux académiques tels Academia.edu ou Researchgate. 

Suivez le guide : 

  • Pour vous connecter le jour J : cliquez ici
  • Pour préparer le dépôt dans HAL, vous pouvez consulter notre guide « Préparer son dépôt dans HAL en 5 minutes« .
  • Vous êtes curieux ? Vous pouvez aussi aller consulter les autres supports de formation que la BULAC a mis en ligne !
  • Une question, un problème de connexion ? Ecrivez-nous : hal@bulac.fr 

Chercheurs, votre avis compte !

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La BULAC se fait le relais de deux enquêtes auxquelles tous les chercheurs sont invités à participer. 

La première est menée par le consortium Couperin auprès des chercheuses et chercheurs des établissement français de l’enseignement supérieur et de la recherche, qu’ils soient enseignants ou jeunes chercheurs. L’objectif est de mieux comprendre les pratiques de recherche documentaire (besoins et usages de la recherche bibliographique et de l’analyse bibliométrique), afin d’identifier au mieux les attentes des usagers en matière d’outils.  

Pour participer : c’est ici !

La seconde enquête est menée par l’UNESCO et porte sur la science ouverte, mouvement qui prend de l’ampleur depuis plusieurs années au sein de la communauté scientifique. Cette enquête cherche à mieux comprendre les situations pour chaque pays, afin de comparer les pratiques et de définir des principes communs. Ceux-ci mèneront à des mesures concrètes sur le libre accès et les données ouvertes, en invitant au développement de logiques de participation, de collaboration et d’émulation ouvertes. Pour vous aider à répondre au questionnaire, vous pouvez vous appuyer sur un document rédigé par le Comité pour la Science ouverte. 

Pour participer : c’est ici

Vos réponses ainsi que toutes vos remarques et idées permettront d’améliorer les offres documentaires, base de vos futures recherches. 

Merci de votre participation !

Un nouvelle sélection de billets pour le mois de mai sur la Croisée !

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Voici deux mois que nous vous préparons un palmarès de nos billets Hypothèses préférés du mois précédent, dans le domaine des aires culturelles (retrouvez ici celui du mois de mars, et ici celui du mois d’avril). Pour le mois de mai, nous avons encore sélectionné des articles parmi les Une de notre carnet de veille la Croisée de la BULAC

Ils portent sur les champs couverts par la BULAC, à savoir l’Afrique, les Amériques, l’Asie et le Pacifique, l’Europe médiane et les mondes russes, le Moyen-Orient et les mondes musulmans. Pour en découvrir davantage, vous pouvez également retrouver d’autres sélections dans la rubrique « Mis en avant », ainsi que dans « Vues sur pandémie » du Carreau

Bonne lecture !

« Du doux pays de Chypre » : reflets de la littérature chypriote à la BULAC

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Dans le prolongement de la table ronde « Au-delà de la Ligne verte : les Arts, bâtisseurs du vivre ensemble dans la société chypriote ? », laissez-vous guider par Mariéva Chalvin et Nicolas Pitsos, chargés de collections pour les domaines turc et grec de la BULAC, à travers l’histoire culturelle et littéraire de Chypre et au sein du fonds chypriote de la bibliothèque, une collection unique en France reflétant la diversité linguistique du pays.

Photos : Maxime Ruscio / BULAC


Cyprus Insula, dans Olfert Dapper, Description exacte des isles de l’archipel, et de quelques autres adjacentes ; dont les principales sont Chypre, Rhodes, Candie, Samos, Chio … Enrichie de plusieurs cartes des isles, et de figures en taille-douce…, A Amsterdam, chez George Gallet, 1703, collections de la BULAC, cote BIULO RES MON Fol 404.

Yurdunu sevmeliymiş insan
yurdunu sevmeliymiş insan
Öyle diyor hep babam
öyle diyor hep babam

Benim yurdum ikiye bölünmüş ortasından
benim yurdum ikiye bölünmüş ortasından
hangi yarısını sevmeli insan?
hangi yarısını sevmeli insan?

Poème de Neşe Yaşın dans sa version originale turque (Sümbül ile Nergis, 1978).

Λένε πως ο άνθρωπος πρέπει την πατρίδα ν’ αγαπά
λένε πως ο άνθρωπος πρέπει την πατρίδα ν’ αγαπά
έτσι λέει κι ο πατέρας μου συχνά
έτσι λέει κι ο πατέρας μου συχνά

Η δική μου η πατρίδα έχει μοιραστεί στα δυο
η δική μου η πατρίδα έχει μοιραστεί στα δυο
ποιο από τα δυο κομμάτια πρέπει ν’ αγαπώ;
ποιο από τα δυο κομμάτια πρέπει ν’ αγαπώ;

traduction en grec

Il paraît qu’il faut aimer son pays
Il paraît qu’il faut aimer son pays
C’est ce que dit toujours mon père
C’est ce que dit toujours mon père

Mon pays est coupé en deux
Mon pays est coupé en deux
Laquelle de ces moitiés doit-on aimer ?
Laquelle de ces moitiés doit-on aimer ?

traduction en français par Mariéva Chalvin

Ode à la réconciliation chypriote, ce poème de Neşe Yaşın a été mis en musique par le compositeur Marios Tokkas.


La période antique

En raison de son emplacement géographique, l’île de Chypre a toujours été un point de rencontre de différentes cultures. Influencée dans un premier temps par la civilisation minoenne, l’île voit l’installation de comptoirs mycéniens puis phéniciens, donnant lieu à une mosaïque humaine et culturelle. Passée sous la domination assyrienne, Chypre connaît une brève période d’indépendance au tournant du VIe siècle av. J.-C., avant de tomber dans l’orbite de l’influence égyptienne puis de passer sous la domination perse. C’est pendant cette période que voit le jour et se diffuse l’arcadochypriote, un dialecte du grec ancien également parlé en Arcadie (dans le Péloponnèse) et en Pamphylie (dans la partie sud-ouest de la Turquie de nos jours)1.

La période byzantine, franque et vénitienne

Entrée dans l’œkoumène des royaumes hellénistiques, l’île se romanise progressivement tout en se christianisant. Intégrée dans l’Empire romain d’Orient (plus largement connu sous le nom d’Empire byzantin), elle est conquise par les croisés de la deuxième croisade, dirigés par Richard Cœur de Lion en 1191. Ce dernier lègue Chypre à la dynastie des Lusignans, originaire du Poitou2. L’île reste entre leurs mains jusqu’en 1489, date à laquelle elle est annexée dans l’empire maritime de la Sérénissime3. Le dialecte gréco-chypriote moderne élaboré pendant cette période n’est pas une évolution de l’arcadochypriote, mais de la koinè, le grec de l’époque hellénistique.

Les prémices de la littérature chypriote moderne d’expression hellénophone commencent à se manifester durant la période médiévale. L’adaptation en dialecte chypriote de récits romanesques tels que Διήγησις Απολλωνίου της Τύρου (Récit d’Apollon de Tyr) en témoigne. Au milieu du XVe siècle, Léonce Machairas rédige sa Chronique de Chypre, dont la BULAC conserve une édition bilingue de 1882, avec le texte original en grec (Χρονικον κυπρου) et sa traduction en français4. De cette période datent aussi des poèmes d’amour conçus en dialecte gréco-chypriote, influencés par les courants littéraires de la Renaissance italienne et plus particulièrement par l’œuvre de Pétrarque5.

Leontiou Machaira, Chronikon Kyprou, Paris : E. Leroux, 1882, collections de la BULAC, cote BIULO COL.1890(2).

La période ottomane

En 1571, les Vénitiens sont chassés par les Ottomans, qui deviennent les maîtres de l’île6. Au cours de cette séquence historique qui s’étend jusqu’en 1878, la société chypriote s’organise autour du concept du millet. Ce terme désigne la formation de communautés sur la base d’appartenance religieuse, de sorte à ce que la vie sociale de chaque sujet ottoman chypriote soit définie par son intégration au sein d’un millet et à l’intérieur d’une corporation professionnelle. Deux communautés confessionnelles sont majoritairement représentées, celle regroupant des chrétiens du rite byzantin et celle réunissant des musulmans. Les frontières entre les deux communautés n’étant pas étanches, on constate le phénomène de bi-confessionnalisme, chez des Chypriotes qui se proclament chrétiens lorsqu’ils doivent assurer le service militaire (réservé aux musulmans) et musulmans lorsqu’il s’agit de payer des taxes supplémentaires dues par les non-musulmans.

Jusqu’au début du XIXe siècle au moins, la plupart des tensions sur l’île semblent plutôt émaner des revendications sociales et économiques (révoltes urbaines ou insurrections paysannes contre les fardeaux fiscaux) que d’une quelconque rivalité intercommunautaire fondée sur des critères d’appartenance religieuse. Le nombre de villages mixtes7 et l’existence de conseils où les membres sont élus à partir de listes conçues sans distinction de religion sont une preuve supplémentaire de la bonne qualité des relations intercommunautaires sur l’île8.

À l’époque ottomane, la littérature turcophone sur l’île est surtout de la poésie classique, dite du « Divân ». À la fin du XVIIe siècle, le tekke (couvent) de la confrérie mevlevie (ordre musulman soufi fondé au XIIIe siècle par Jalal al-Din Rumi, aussi dit Mevlânâ) à Lefkoşa et le tekke Hala Sultan de Larnaca sont des centres culturels et littéraires importants qui forment les premiers poètes turcophones de l’île. La plupart des poètes d’expression turque restent liés au mevlevisme jusqu’à la première moitié du XXe siècle. Le plus ancien que l’on connaisse est Siyahi Dede. Esrar Dede, dont la BULAC possède un recueil (Dīvān-ı belāġat ʿünvān-ı Esrār Dede Efendi), est également un autre poète soufi reconnu. Mais le plus réputé est le mufti Hasan Hilmi Efendi (1782-1847), qui n’est pas représenté à ce jour dans les collections de la BULAC.

« Antique fragments at Limisso », dans Luigi MAYER. Views in the Ottoman Empire, chiefly in Caramania, a part of Asia Minor hitherto unexplored; with some curious selections from the islands of Rhodes and Cyprus, and the celebrated cities of Corinth, Carthage, and Tripoli: from the original drawings in the possession of Sir R. Ainslie, taken during his embassy to Constantinople by Luigi Mayer: with historical observations and incidental illustrations of the manners and customs of the natives of the country, Londres, R. Bowyer, 1803.

L’héritage littéraire grécophone de cette période comprend des ouvrages tels que le récit du pèlerinage à Jérusalem, à la fin du XVIe siècle, de Markantonis Degkrès, un Chypriote de confession chrétienne (Proskynitarion ton Ieorosolymon) ou encore l’histoire chronologique de l’île de Chypre9 rédigée par l’archimandrite Kyprianos et imprimée à Venise en 1788 par l’imprimerie fondée par Nikolaos Glykys10.

Cyprianus, Ιστορία της Κύπρου (Histoire de Chypre), Venise, 1788, collections de la BULAC, cote BULAC RES MON 4 1182.

En 1847, le premier roman de la littérature chypriote grécophone de l’ère moderne est publié à Athènes. Il s’agit de Θέρσανδρος (Thersandros) d’Epameinondas Fragkoudis. Né à Lemesos, il poursuit ses études à l’Académie Ionienne de Corfou. De retour à Chypre, il est nommé directeur de l’École grecque de Nicosie avant d’aller à Constantinople où il devient rédacteur du journal Τηλέγραφος του Βοσπόρου (Tilegraphos tou Vosporou). Parti s’installer à Bucarest, il continue sa collaboration avec plusieurs journaux grécophones, tels qu’Αμάλθεια (Amaltheia) de Smyrne, Νέα Ημέρα (Nea Imera) à Trieste ou I’Ενωσις (Enosis) à Ermoupoli11.

Reproduction en fac-similé de la page de titre de la première édition (1847) du roman Θέρσανδρος (Thersandros) d’Epameinondas Fragkoudis. Collections de la BULAC, cote BULAC MON 16 1195.

La période de l’administration britannique

1878 marque le début de l’ère britannique pour l’île. Pourtant, l’île ne devient officiellement colonie britannique qu’après la fin de la Grande Guerre. L’administration coloniale britannique ne remet pas fondamentalement en cause le système du millet ottoman12. Elle ne fait qu’y greffer sa propre politique de « Divide and Rule », en institutionnalisant les différences ethno-religieuses. En témoignent d’une part la mise en place d’un conseil législatif dont la composition est redevable du poids démographique de chaque communauté confessionnelle, et d’autre part la conception d’un système scolaire séparé avec des écoles en langue grecque et des écoles en langue turque. C’est pendant cette période que des velléités indépendantistes voient le jour, surtout parmi les Chypriotes grécophones13.

De leur côté, les Chypriotes turcophones commencent, dans les années 1930, à s’auto-désigner « chypriotes turcs », sous l’influence des idées nationalistes-kémalistes. Ces entreprises identitaires se heurtent au parti communiste chypriote qui tient un discours anticolonialiste tout en refusant les clivages ethno-religieux. Une partie des Chypriotes grécophones partisans de l’Enossis (c’est-à-dire du rattachement de l’île à l’Etat grec) répondent à l’intransigeance britannique avec la création au mois d’avril 1955 d’une organisation, l’EOKA (Εθνική Οργάνωση Κύπριων Αγωνιστών = Organisation nationale des combattants chypriotes), sous le commandement d’un vétéran de la guerre civile grecque, le colonel Grivas14.

Afin de contrecarrer l’influence de ce mouvement insurrectionnel composé de Chypriotes grécophones, les Anglais décident de mettre en place une force de police auxiliaire, essentiellement composée de Chypriotes turcophones, réputés loyaux à la Couronne. À partir de ce moment, des policiers chypriotes turcophones et des membres de l’EOKA vont fatalement s’affronter.

De son côté, la Turquie revient sur le règlement de la question chypriote, en proposant une division de l’île (Taksim) comme alternative à l’Enossis. Pour réaliser ses objectifs géopolitiques, Ankara assiste la communauté turco-chypriote dans la création d’une organisation paramilitaire, le TMT (Türk Mukavemet Teşkilatı, Organisation de la Résistance turque). Cette organisation est en réalité la réplique de l’EOKA : elle défend la communauté turco-chypriote autant qu’elle la purge de ses membres communistes et anti-nationalistes.

À partir de juin 1958, les affrontements inter et intra-communautaires se multiplient, d’abord à Nicosie, puis dans toute l’île ; on assiste aux premiers déplacements de populations.

Collections de la BULAC, cote Br.8.341(2).

La génération de l’entre-deux-guerres est influencée par les courants modernistes et l’éclosion des mouvements sociaux. Regroupés autour de la revue Αβγή (Aurore), les écrivains grécophones de cette période partagent une idéologie progressiste, qui se manifeste aussi bien dans le domaine linguistique et la bataille opposant le grec démotique à une version archaïsante du grec moderne, que dans les débats politiques ou les interrogations esthétiques.

Dans Τζιυπριώτικα τραγούδια (Chansons chypriotes), Dimitris Lipertis brosse le tableau d’une société rurale conservatrice. Glafkos Alithersis est le premier écrivain chypriote à utiliser le grec « standard » pour rédiger ses poèmes. Son recueil Μαθητικά τετράδια (Cahiers d’élève) est publié à Alexandrie en 1957. Tefkros Anthias, quant à lui, est persécuté par l’administration britannique, à la fois pour ses idées marxistes et son action anti-coloniale. Dans son Ημερολόγιο C.D.P. (Journal intime C.D.P.), il retrace son expérience d’incarcération sous le régime britannique. La lutte pour l’indépendance et pour le changement social sont des sujets présents dans l’œuvre de Thodosis Pieridis (1908-1968), Kypriakī symfōnia (1956).

Un autre représentant de cette période, Giorgos Filippou Pieridis, raconte dans son roman Οι Βαμβακάδες (Les marchands de coton) le dur labeur des ouvriers du coton à Alexandrie, où il a grandi et travaillé dans des sociétés de commercialisation de ce produit pilier de l’économie égyptienne suite aux réformes introduites par Méhémet Ali.

Sélection bibliographique « …du doux pays de Chypre » dans le catalogue de la BULAC.

Nikos Nikolaïdis, auteur de l’ouvrage Πέρ’ απ’ το καλό και το κακό, traduit en français sous le titre Par-delà le bien et le mal, explore dans son œuvre les zones d’ombre de l’inconscient, tout en étudiant en parallèle, dans la vie de ses personnages, les effets dévastateurs d’un environnement social déprimant. Avec sa nouvelle Ο Αγνωστος (1944), Nikos Vrachimis introduit le monologue intérieur dans la littérature chypriote. Loukis Akritas (1909-1965), proche du président Makarios, publie en 1936 Ο Κάμπος (Le champ), roman inspiré de ses propres expériences de la plaine de Messaoria, brossant un tableau réaliste des conditions de vie des paysans pendant la première période de l’occupation britannique.

Sélection bibliographique « …du doux pays de Chypre » dans le catalogue de la BULAC.

Kaytaz-zâde Mehmed Nâzım Efendi (1857-1924), quant à lui, est non seulement poète, mais aussi l’auteur de deux romans dont Yâdigâr-ı Muhabbet (le premier roman chypriote en turc, publié pour la première fois en 1894) et d’une pièce de théâtre.

Les chypriotes turcophones, à la suite de la Turquie, commencent à utiliser l’alphabet latin à partir de 1929, mais publient très peu entre 1923 et 1955 en raison de la répression anglaise. Dans les années 1930 et 1940, des auteurs tels que Hikmet Afif Mapolar (poète, nouvelliste et romancier très prolifique, auteur de Potuğun pembesi et Mermer kadın), Pembe Marmara, Urkiye Mine Balman ou encore le poète Osman Türkay commencent cependant à écrire.

Sélection bibliographique « …du doux pays de Chypre » dans le catalogue de la BULAC.

C’est dans les années 1950 que l’on voit émerger Özker Yaşın, Taner Baybars, Kutlu Adalı (qui fut d’abord nationaliste turc, puis partisan d’une identité chypriote dépassant le clivage grec-turc et qui fut assassiné pour cela), Neriman Cahit ou encore Fikret Demirağ.

La période de la République chypriote

Dans ce contexte de confrontations intercommunautaires et intracommunautaires, les gouvernements britannique, grec et turc signent l’accord de Zurich qui prévoit l’indépendance de l’île. En août 1960, Chypre devient un État indépendant mais sous tutelle. La constitution de ce nouvel État est imposée par les trois puissances garantes, la Grande-Bretagne, la Grèce et la Turquie, sans consultation directe des citoyens chypriotes. Elle pérennise la séparation des deux communautés en deux corps électoraux distincts. Les uns élisent le président, les autres le vice-président, sans que cela puisse donner lieu à des négociations de type transversal, susceptibles de favoriser des alliances fondées sur la proximité idéologique et non sur des « identifications » ethno-religieuses.

L’organisation politique de la nouvelle République ainsi conçue et mise en place montre assez vite ses limites et se heurte à des revendications antagonistes des deux communautés. Les dysfonctionnements institutionnels et les affrontements intercommunautaires se multiplient.

Makarios, le premier président chypriote élu, soutient tout au long de cette période la position de l’indépendance complète et sans conditions ou attaches privilégiées à un pays quelconque. Il essaye de rapprocher les communautés gréco-chypriote et turco-chypriote et se prononce de manière claire et nette contre l’Enossis. En revanche, des bandes armées organisées par Grivas attaquent de nouveau, à partir de 1967, des villages chypriotes turcophones. Dans un tel contexte, la Turquie se prépare à intervenir.

Le prétexte est donné en juillet 1974, quand la garde nationale chypriote et l’armée grecque cantonnée dans l’île renversent l’archevêque Makarios, suite à un coup d’état fomenté et orchestré par la junte grecque. Conformément à l’accord de 1959, le gouvernement d’Ankara intervient. Suite à une deuxième invasion turque en août, la ligne verte ou ligne Attila, qui désigne désormais la ligne de démarcation entre les deux parties de l’île, est tracée. Elle est suivie d’un déplacement de populations grécophones vivant dans le Nord vers le Sud et l’inverse pour des populations turcophones15.

Suite à cette division géographique et territoriale survient la division politique avec la proclamation en 1983 de la République turque de Chypre du Nord, que seule la Turquie reconnaît.

Une division supplémentaire voit le jour au niveau symbolique, comme le constate l’anthropologue chypriote Yiannis Papadakis16. Celui-ci observe, au sein des deux communautés, une construction nationaliste du passé associée à une mémoire sélective concernant les séquences traumatisantes des années avant et après l’invasion de 1974.

Malgré leurs représentations et perceptions divergentes de l’histoire, les deux communautés entament des négociations sous l’égide de l’ONU dès le lendemain de 1974, afin d’arriver à réaliser la réunification de l’île sur le principe d’un État fédéral bi-communautaire et bi-zonal17. En 2004, la République de Chypre adhère officiellement à l’Union européenne. Les négociations pour une solution viable de la « question chypriote » se poursuivent18.

Les expériences traumatisantes des tensions intercommunautaires, du coup d’État et de l’invasion turque ou du déplacement forcé de populations sont des sujets récurrents dans la littérature chypriote d’expression grécophone. Nikos Kranidiotis (1911-1997), proche du président Makarios et co-éditeur de la revue Κυπριακα γραμματα (Lettres chypriotes), fait partie de cette génération19. Giórgos Filíppou Pierídis (1904-1999) évoque la tragédie de la division de l’île dans son œuvre Ο καιρός της δοκιμασίας (Le temps de l’épreuve) (1978). Kyriákos Charalampídīs (1940-….) met en avant le drame des personnes portées disparues dans Θόλος (Tholos, 1989). Pour sa part, Lina Solomidou (1924-2008) essaie de reconstituer les événements du coup d’État et de l’invasion turque à travers des entretiens avec les témoins. Rina Katselli, première femme chypriote à siéger au Parlement, aborde la question des personnes déplacées dans Πρόσφυγας στον τόπο μου (Réfugié dans mon propre pays). De son côté, Manos Kralis (1914-1989) parle des conséquences tragiques de l’invasion dans son ouvrage Γεύση Θανάτου (Gefsi Thanatou, 1974).

Sélection bibliographique « …du doux pays de Chypre » dans le catalogue de la BULAC.

Au-delà des traces de la question chypriote, les écrivains explorent les chemins de l’écriture elliptique ou de la narration polycentrique, à l’instar d’Ivi Meleagrou (1928-2019) dans Ανατολική Μεσόγειος (Méditerranée orientale) (1969). Enfin, le poète et écrivain prolixe Kṓstas Montīs (1914-2004) mêle dans son œuvre Ο αφέντης Μπατίστας και τ΄άλλα (Le seigneur Battista et autres destin) des éléments autobiographiques et historiographiques avec des récits et des légendes populaires.

Et tout d’un coup la liberté

nous prit aux épaules

et sans hésiter, nous nous sommes jetés

sur la pente ardue.

Kṓstas Montīs, « Révolution chypriote ».

Dans les années 1960, dans le contexte d’une société militarisée et sans liberté d’expression, la poésie turcophone est marquée par deux courants principaux : les « poètes abstraits » – influencés par le courant turc du « second renouveau » (ikinci yeni), le dadaïsme et le surréalisme, et dont les figures de proue sont Kaya Çanca, Fikret Demirağ ou encore Mehmet Kansu (également auteur d’essais et de nouvelles) -, s’opposent à la poésie nationaliste, représentée notamment par Özker Yaşın. Cette seconde école produit des poèmes au ton épique, héroïque, souvent romantique, ayant souvent recours à une rhétorique du « nous » contre « eux ». On y trouve certains motifs récurrents tels que la Turquie comparée à une mère, ou encore l’évocation d’Erenköy (Tilirga), où les chypriotes turcs (y compris certains étudiants revenus spécialement de Turquie pour cela, comme le poète Süleyman Uluçamgil) se sont battus contre les chypriotes grecs.

Hikmet Afif Mapolar, qui continue à écrire, et Numan Ali Levent sont d’autres poètes marquants des années 1960.

Sélection bibliographique « …du doux pays de Chypre » dans le catalogue de la BULAC.
Collections de la BULAC, cote 15CY 842.17 YAS S.
Le titre en turc, Sınırdışı saatler, est transcrit dans l’alphabet grec, Σηνηρδησ̇ι Σαατλερ.

Les années 1970 voient l’avènement de la « poésie socialiste », dont le principal représentant est Fikret Demirağ. Deux autres poètes importants de cette période sont Osman Türkay, qui écrit aussi en anglais, et Zeki Ali.

Après 1974 apparaît un « front du rejet » contre la partition de l’île, le militarisme et le nationalisme turc, dont font notamment partie Neşe Yaşın (Rose falling into night), Mehmet Yaşın (dont la BULAC possède un recueil de poèmes en langue originale, ainsi que le roman Sınırdışı saatler et deux recueils traduits en français : Constantinople n’attend plus personne et La rencontre de Sapho et Rûmî), Hakkı Yücel et Filiz Naldöven (dont un recueil de poésie intitulé Mağma mavera est disponible à la bibliothèque, et qui écrivait aussi des pièces de théâtre). Ces poètes défendent une identité chypriote, plutôt qu’une identité turque ; paradoxalement, ils ont plus de succès en Turquie que leurs prédécesseurs. Ils influencent également Fikret Demirağ. Cependant, la plupart des autres écrivains et poètes de cette décennie emploient encore une tonalité nationaliste.

Dans les années 1980 émergent Özden Selenge, qui écrit sur la disparition de la vie rurale, Feriha Altıok, Ümit İnatçı, et Tamer Öncül.

Les « poètes hybrides » de la décennie suivante, nés après la partition de Chypre, souffrent encore cependant de ses conséquences. Leur poésie est anarcho-érotique ; ils revendiquent une certaine hybridité et rejettent les étiquettes nationales. On trouve notamment parmi eux Gür Genç (Yolyutma, Yağmur yüzünden), mais également Jenan Selçuk (Haz, Kaza), Faize Özdemirciler (Rumca Küstüm Türkçe Kırıldım) et Rıdvan Arifoğlu.

Sélection bibliographique « …du doux pays de Chypre » dans le catalogue de la BULAC.

À partir du milieu des années 1990, Bekir Kara commence à publier des pièces de théâtre, des nouvelles et un roman (Unutma – Bellekteki izler). C’est aussi à cette période que paraissent les premiers romans de Mehmet Yaşın et Derviş Zaim (ce denier, auteur de Ares harikalar diyarında et Rüyet, est également cinéaste20) ainsi que deux recueils de poèmes de Raşit Pertev : Gür Yapraklar Işıklar İçinde et Kâni-Veran. Cette dernière œuvre, entièrement écrite en parler turco-chypriote populaire et illustrée de photographies anciennes, évoque la ville de Larnaca pendant la guerre de 1964-1974. Pertev est également romancier, nouvelliste et dramaturge.

Aujourd’hui, les auteurs turcophones les plus reconnus à Chypre sont Emre İleri, Senem Gökel (poésie), Mehmet Arap (nouvelle), Cengiz Erdem (roman) alors que du côté grécophone, on peut évoquer les noms de Elli Paionidou (poétesse), Tefkros Michailidis (romancier), Rina Katselli (écrivaine de pièces de théâtre) ou Kyriakos Charalambidis (poète).

Quel classement pour la littérature chypriote à la BULAC ?

Comment classer ces œuvres littéraires dans une bibliothèque comme la BULAC, où les critères linguistiques recoupent parfois les critères géographiques ? Les deux langues principales de l’île étant le grec et le turc (avec l’anglais comme troisième langue officielle, car l’île fait partie du Commonwealth), ces ouvrages auraient pu être intégrés respectivement dans les domaines grec (15GR) et turc (23TR), selon un découpage linguistique. La BULAC a cependant opté pour un classement majoritairement géographique de ses collections et un fonds chypriote a été constitué, dont les ouvrages en libre accès sont cotés 15CY21.

Ces considérations taxonomiques soulèvent la question de la définition même de la littérature chypriote. Une œuvre relève-t-elle de la littérature chypriote lorsqu’elle est écrite par un natif de Chypre ? Lorsqu’elle est publiée à Chypre ? Qu’en est-il lorsque l’auteur est originaire de Turquie mais réside depuis longtemps à Chypre, comme Burcu Karagöz ? Et que penser de Taner Baybars, locuteur natif du turc, né à Chypre mais ayant vécu la plus grande partie de sa vie hors de l’île et ayant écrit en anglais, ou de Tefkros Michailidis, né à Chypre mais installé depuis longtemps en Grèce ? À l’occasion de la préparation de la table ronde de mai 2019 intitulée « Au-delà de la Ligne verte : les Arts comme bâtisseurs du vivre ensemble dans la société chypriote ? » et de la rédaction de ce billet, il est d’ailleurs apparu que des œuvres d’auteurs chypriotes turcophones avaient été cotées en 23TR et des œuvres d’auteurs chypriotes grécophones en 15GR.

Profil éditorial des 55 titres de littérature chypriote présents en libre accès sous la cote 15CY22

Littérature chypriote grécophone cotée 15CY
langue de publicationlieu d’édition
français-grec19Besançon15
grec8Athènes6
français5Nicosie5
anglais1Nancy3
grec-anglais1Paris2
Montpellier2
Sèvres1
Littérature chypriote turcophone cotée 15CY
langue de publicationlieu d’édition
turc18Nicosie11
anglais1Famagouste6
français1Istanbul4
Ankara2
Saint-Pourçain-sur-Sioule1

L’analyse statistique de la collection littéraire chypriote de la BULAC mériterait deux commentaires supplémentaires.

D’une part, on constate une présence importante de traductions en français depuis l’œuvre originale en grec et d’éditions bilingues en grec et en français. Ce phénomène est dû en grande partie à l’activité éditoriale de la maison Praxandre (du nom du fondateur légendaire de la ville de Kyrenia/Girne) à Besançon et aux travaux d’Andreas Chatzisavvas, professeur de littérature chypriote à l’Université de Nancy.

D’autre part, les essais et anthologies en rapport avec la littérature chypriote se focalisent très souvent uniquement sur la composante hellénophone de cette création. Il est vrai que la diffusion des œuvres des auteurs chypriotes d’expression turque est rendue difficile par le contexte géopolitique et l’enclavement de la partie nord de l’île, majoritairement turcophone ; elles sont donc peu connues en dehors de Chypre et de la Turquie, et passent d’abord par cette dernière lorsqu’elles s’exportent. De nombreux chypriotes turcophones sont d’ailleurs directement publiés par des maisons d’édition basées en Turquie.

Enfin, la présence dans les collections de la BULAC d’un ouvrage tel que Σύγχρονοι Τουρκοκύπριοι ποιητές : Απόπειρα επικοινωνίας (Poètes contemporains turco-chypriotes : tentative de communication), proposant des traductions en grec de poèmes écrits par des poètes chypriotes turcophones, reflète la volonté d’une partie de la société chypriote actuelle d’œuvrer en faveur d’une meilleure connaissance mutuelle de la littérature insulaire au-delà des lignes de démarcation et des barrières linguistiques. Ce type d’initiative éditoriale fait prendre conscience à l’ensemble des citoyens chypriotes de la diversité ou au moins de la dualité linguistique de leur patrimoine littéraire.

Cette tendance saurait être un élément fondamental dans le rapprochement entre les deux parties de l’île séparées depuis 1974 par la ligne verte et elle pourrait contribuer à une réunification effective de la société chypriote autour de la notion de chypriotisme, c’est-à-dire d’une conception citoyenne de la nation, en opposition avec des entreprises identitaires basées sur des critères ethno-religieux.

Les gens dans le cas de Chypre, ne doivent pas être compris comme un ethnos, une communauté d’origine, de langue et de culture, mais comme un démos, c’est-à-dire des citoyens dans une démocratie libérale, déjà existante ou en voie de l’être.

Pavlos Tzermias, « A United Cyprus as a Factor of Stability in the Eastern Mediterranean », Mediterranean Quarterly, 8 (1), 1997, p. 29.

Pour aller plus loin
Ressources sur la littérature chypriote turcophone
  • Neşe Yaşın, « Turkish and Turkish Cypriot poetry », İzinsiz Gösteri, 2006 [en ligne].
  • Harid Fedai, « Çağdaş Kıbrıs Türk Edebiyatı », CYPNET’s North Cyprus [en ligne].
Ressources sur la littérature chypriote grécophone
  • Une anthologie de la littérature chypriote :
    • Premier tome, du XIe au XIXe siècle : Λεύκιος Ζαφειρίου, Αλέξανδρος Μπαζούκης, Γιώργος Μύαρης, Κείμενα Κυπριακής Λογοτεχνίας Τόμος Α ́, Είδος: Ποίηση / Διήγημα, 2015 [en ligne].
    • Second tome, au XXe siècle : Λεύκιος Ζαφειρίου, Αλέξανδρος Μπαζούκης, Γιώργος Μύαρης, Κείμενα Κυπριακής Λογοτεχνίας Τόμος B ́, Είδος: Ποίηση / Διήγημα, 2017 [en ligne].

  1. Voir Charalampos P. Symeōnidīs, Istoria tīs Kypriakīs dialektou : apo ton 7° aiōna pro Christou eōs simera, Leykōsia : Kentro Meletōn Ieras Monīs Kykkou, 2006.
  2. Voir Jean Richard, Chypre sous les Lusignans : documents chypriotes des archives du Vatican (XIVe et XVe siècles, Beyrouth : Presses de l’Ifpo, 2014. Les Assises sont rédigées en gréco-chypriote pendant cette période. Ce document est à la fois intéressant du point de vue de l’histoire juridique mais il constitue également une source précieuse pour l’étude du gréco-chypriote au XIVe siècle. À la BULAC, on retrouve une traduction en anglais de l’original. Voir The assizes of the Lusignan Kingdom of Cyprus / transl. from the Greek by Nicholas Coureas, Nicosie, Cyprus Research Centre, 2002.
  3. Voir Βάσος Καραγιώργης, Λουκία Λοΐζου-Χατζηγαβριήλ, Χρύσα Μαλτέζου, Κύπρος : πετράδι στο στέμμα της Βενετίας (Chypre : joyau de la couronne de Venise), Leukōsia : Fondation Anastasios G. Leventēs, 2003.
  4. On trouve un manuscrit de cette chronique dans les collections de la Bibliothèque Marciana à Venise.
  5. Voir Thémis Siapkaras-Pitsillidès, texte établi et traduit avec le concours de Hubert Pernot, Le pétrarquisme en Chypre : poèmes d’amour en dialecte chypriote d’après un manuscrit du XVIe siècle, Paris : Société d’édition Les Belles lettres, 1975.
  6. Mehmet Mahfuz Söylemez, Ibrahim Çapak et Halil Ortakcı (dir.), Osmanlı döneminde Kıbrıs : actes du colloque international, Osmanlı döneminde Kıbrıs, 2015, Istanbul : Bağcılar Belediyesi, 2016.
  7. Il y avait 346 villages en 1891 selon Richard A. Patrick dans son ouvrage Political geography and the cyprus conflict, 1963-1971, University of Waterloo, 1976, p.12.
  8. Voir Hakan Yavuz, « The evolution of ethno-nationalism in Cyprus under the ottoman and british systems », Cyprus review, 1994, p. 57-79.
  9. Cyprianus, Ιστορία της Κύπρου (Histoire de Chypre), Venise, 1788, collections de la BULAC, cote BULAC RES MON 4 1182.
  10. Né à Yanina en 1619, Nikolaos Glykys vient s’installer à Venise en 1647 afin de poursuivre ses activités commerciales. Après avoir racheté l’imprimerie d’Orsino Albrizzi, il acquiert l’apanage de l’impression d’ouvrages importants en langue grecque. Son sceau est formé d’une abeille entourée des initiales de son prénom (N) et de son nom de famille (ΓΛ).
  11. Voir le billet de Nicolas Pitsos sur la presse grécophone comme presse allophone.
  12. Comme l’explique Athanassia Anagnostopoulou dans son article « Chypre de l’ère ottomane à l’ère britannique (1839-1914), le rôle de l’Eglise orthodoxe chypriote », Etudes balkaniques, 1998, 5, p. 147, l’administration coloniale s’appuie même sur l’Eglise pour contrer l’influence du parti communiste chypriote fondé en 1926 et interdit en 1933, qui renaît sous le nom d’AKEL (Ανορθωτικό Κόμμα του Εραζόμενου Λαού, Parti réformateur des travailleurs) en 1939.
  13. Pour une « lecture » britannique des événements de cette période, notamment pendant les années 1950, voir les mémoires de Lawrence Durrell, l’écrivain et diplomate britannique qui assumait à Nicosie le poste d’officier chargé des relations publiques du Royaume-Uni. Lawrence Durrell, Citrons acides, Paris : le Livre de poche, 1994.
  14. Né à Chypre mais formé en Grèce et officier de l’armée grecque, le colonel Grivas est l’ancien chef de l’organisation d’extrême droite X farouchement anticommuniste, qui a joué un rôle obscur pendant l’Occupation et la guerre civile.
  15. Voir Jacques Lacarriere, Voúla Loúvrou (trad.), Λευκωσία : η νεκρή ζώνη (Nicosi : zone morte), Athī́na, Ekdóseis Olkós, 2003.
  16. Rebecca Bryant, Yiannis Papadakis, Cyprus and the politics of memory : history, community and conflict, London, New York : I.B. Tauris, 2012.
  17. Ces démarches sont relayées par plusieurs acteurs au sein de la société civile. Voir Alexandre Lapierre, Les dynamiques du rapprochement communautaire à Chypre depuis 1974, 2016.
  18. Andrekos Varnava and Hubert Faustmann, Reunifying Cyprus : the Annan Plan and beyond, London : I.B. Tauris, 2009.
  19. Voir Nikos Kranidiotis ; éd. bilingue sous la dir. d’Andréas Chatzisavas, Le capitaine Panagos : et autres nouvelles, Nancy : Presses universitaires de Nancy, 1994.
  20. Avec son ami, le réalisateur chypriote grécophone Panikkos Chryssanthou, ils se sont engagés dans un cinéma de réconciliation et de fraternisation entre les deux parties de l’île.
  21. Le fonds chypriote de la BULAC compte plus de 750 documents comprenant notamment des récits de voyage, pour le fonds ancien, mais aussi des ouvrages d’histoire, de linguistique, de sciences politiques ainsi que des œuvres littéraires. On y trouve également des guides touristiques, des monographies illustrées et diverses ressources en sciences humaines et sociales.
  22. Données recueillies en avril 2020.

De nouvelles ressources électroniques dans le domaine sinophone

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De nouvelles ressources électroniques sont accessibles à la BULAC ! De nombreux éditeurs ouvrent des accès temporaires à des ressources numériques, c’est ainsi l’occasion d’en tester certaines qui ne font pas encore partie de l’offre documentaire de la bibliothèque.

Jusqu’au 20 juin 2020, la BULAC vous proposons de découvrir trois ressources dans le domaine sinophone

Ce test est l’occasion de découvrir des ressources électroniques et d’en estimer la pertinence, en vue d’une potentielle acquisition par la bibliothèque. Pour ceux qui ne possèdent pas de compte à la bibliothèque de la BULAC, il est possible d’en créer un à distance, qui restera actif jusqu’à la réouverture de la bibliothèque au public.

Un questionnaire en ligne est accessible ici et nous permettra de connaître votre avis sur ces différentes ressources. N’hésitez pas à nous poser des questions ou nous faire des remarques à l’adresse suivante : ressources-numeriques@bulac.fr

Merci d’avance de votre participation !

Éditer en albanais dans un contexte allophone

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Ce billet est issu d’une présentation donnée à l’occasion d’une séance de séminaire qui s’est tenue à la BULAC le 18 juin 2019, dans le cadre des séminaires du réseau Transfopress (Réseau transnational pour l’étude de la presse en langues étrangères) consacrés à l’étude de la presse allophone. Cette séance conçue et animée par Nicolas Pitsos et Irena Rambi présentait la presse et l’édition en albanais dans des pays où l’albanais ne fut ni considéré ni établi comme langue officielle.

Photos : Maxime Ruscio / BULAC


Le journal Dielli (Le Soleil), édité en albanais, a vu le jour le 15 février 1909 à Boston (Massachusetts).

L’étude d’une presse éditée dans un contexte allophone permet à la fois d’identifier la politique linguistique de la société en question et d’esquisser l’évolution géo-historique d’une langue et l’histoire sociale des individus la pratiquant.

Dans le cadre de la presse éditée en albanais, ce phénomène suit les grandes séquences historiques de la mobilité dans l’espace des populations albanophones :

  • la période de la construction d’une conscience nationale et de la fabrication d’un État (1878-1912) ;
  • la période de l’exil de dissidents politiques opposés au régime totalitaire en Albanie, pendant la Guerre froide ;
  • la période d’une nouvelle émigration après 1990.

Ce billet brosse un tableau panoramique de l’édition en albanais pendant la première période, qui reflète trois transformations sociopolitiques : l’affirmation d’une langue, l’élaboration d’une conscience nationale et la conception d’un projet étatique.

Cette édition se développe au sein de trois grandes communautés albanophones :

  • la communauté des Arbëresh en Italie méridionale et la communauté des Arvanites en Grèce du Sud, dont la formation remonte au Moyen-Âge ;
  • les communautés d’émigrés albanophones en Bulgarie, Roumanie, Égypte, France, Belgique ou encore aux États-Unis d’Amérique, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle ;
  • la communauté albanophone au sein des territoires de l’Empire ottoman, aussi bien dans les vilayets de Yanina et de Skodra, de Selanik, de Monastir, du Kosovo, que dans la capitale impériale, la ville d’Istanbul.

La naissance d’un mouvement national albanais

Dans le cadre de la question d’Orient, la société ottomane est agitée par l’émergence de projets sécessionnistes et nationalistes au sein de ses différentes communautés linguistiques et confessionnelles. Ces projets souvent conflictuels voient s’opposer d’un côté des « légitimistes » souhaitant le maintien de l’ordre ottoman face à des indépendantistes séduits par le modèle d’État-nation, et de l’autre côté des fédéralistes œuvrant pour une transformation fédérale de l’État ottoman face à des centralistes inspirés par le modèle jacobiniste français.

Entre 1815 et 1878, plusieurs constructions étatiques autonomes ou indépendantes surgissent dans les Balkans ottomans. En 1878, le traité de Berlin reconnaît l’indépendance de plusieurs États balkaniques (la Bulgarie, la Roumanie, la Serbie), mais aucune mention n’est faite de la création d’un État albanais, au grand désespoir des sujets ottomans réunis autour de la ligue de Prizren.

Par la suite, les inspirateurs de ce projet se mobilisent davantage. Leurs efforts donnent lieu à l’éclosion d’un mouvement d’éveil national (en albanais, Rilindja Kombëtare), connu sous le nom de Renaissance albanaise. Dans cette perspective, un Comité pour la défense des droits albanais et la promotion des publications en langue albanaise est constitué à Istanbul. Un congrès est convoqué à Monastir/Bitola en 1908 pour décider de la standardisation de l’alphabet.

Comme tout projet national au XIXe siècle, celui-ci passe par la construction/invention d’un passé et de symboles censés signifier et sublimer la « nation » – la fameuse check-list identitaire dont parle Anne-Marie Thiesse1 – susceptible de fédérer les différentes composantes de la communauté albanophone autour d’un projet commun. La mémoire de Skanderberg2 sert d’élément de référence autour duquel se déploie la trame de la mythologie nationale.

La promotion de l’enseignement de la langue albanaise – auparavant fortement défavorisée et éclipsée au profit de l’enseignement du grec, du turc ottoman, de l’italien ou du français au sein de différents établissements scolaires reconnus par l’administration ottomane (l’école Zosimaia à Yanina, le lycée de Galatasaray à Istanbul) – participe également de ce projet.

Outre la création d’une identité culturelle, l’énoncé d’un projet politique/étatique se donne comme horizon la constitution de la « Grande Albanie » à l’instar d’autres projets irrédentistes, tels que le Nacertanje, visant à constituer une Grande Serbie, la Megali Idea, dessinant les frontières d’une Grande Grèce, ou la revendication d’une Grande Bulgarie tracée par le traité de San Stefano.


La presse au service de la création d’une « communauté imaginée »

Dans ce contexte et suite au Congrès de Berlin, une série de journaux, périodiques et autres tentatives éditoriales surgissent dans plusieurs villes, afin de soutenir la réalisation de ces ambitions, aussi bien à l’intérieur des territoires de l’Empire ottoman, mais avant tout et surtout à l’extérieur des domaines administrés par le sultan.

Deux références bibliographiques documentent cette période de l’activité éditoriale en albanais.

Il s’agit, pour la première, d’un article publié en juillet 1939 par André Ravry dans les Cahiers de la Presse, la revue trimestrielle de l’Institut de science de la presse de l’Université de Paris. Cette étude se donne comme objectif d’inventorier et répertorier les journaux albanais et leurs éditeurs/rédacteurs sur une période qui débute au milieu du XIXe siècle (période correspondant à la Renaissance nationale albanaise) et s’étend jusqu’à l’invasion de l’Albanie par l’Italie fasciste en 1939.

La deuxième référence bibliographique est le livre de Stavro Skendi, The Albanian national awakening, 1878-1912, publié en 1967 par Princeton University Press.

Dans l’extrait ci-dessous, André Ravry esquisse de manière éloquente les motivations à l’origine de la fondation et de la diffusion des journaux en albanais en dehors de l’empire ottoman.

En ce qui concerne la presse imprimée, c’est seulement au milieu du XIXe siècle que des Albanais résidant hors du pays commencèrent à y avoir recours, un peu – comme cela s’est produit pour plusieurs autres peuples opprimés – pour maintenir entre leurs compatriotes des liens qui menaçaient de se relâcher et entretenir chez eux le sentiment national, mais aussi – et surtout – pour attirer l’attention des autres nations sur leur pays et proclamer son droit à vivre comme un État libre et indépendant.

André Ravry, « La presse albanaise », Cahiers de la Presse, 1939.

Athènes : Phoni tis Alvanias – Zëri i Shqipërisë

La création, en 1879 à Athènes, du journal Phoni tis Alvanias – Zëri i Shqipërisë (La Voix de l’Albanie), publié à la fois en grec et en albanais, illustre ce phénomène éditorial.

Son fondateur, un Grec de la communauté des Arvanites3 nommé Anastasio Kullurioti, publie aussi en 1882 un abécédaire pour l’apprentissage du dialecte de l’albanais parlé en Grèce4. Le journal, tout comme l’abécédaire, est édité par l’imprimerie homonyme Η Φωνή της Αλβανίας (I Phoni tis Alvanias).

Le cofondateur du journal, Panajot Kupitori, est un ami d’Anastasio Kullurioti originaire de l’île d’Hydra. Il étudia les lettres à l’Université d’Athènes et publia en 1879 une étude en grec sur la langue et la nation albanaise, intitulée Αλβανικαί Μελέται – Πραγματεία ιστορική και φιλολογική περί της γλώσσης και του έθνους των Αλβανών (Meletai peri tis glossis kai tou ethnous Alvanias).


Corigliano Calabro et Naples : Fiamuri Arbërit et L’Albanese d’Italia

Le 23 février 1848 paraît à Naples le premier numéro de L’Albanese d’Italia (L’Albanais d’Italie), publié en italien, qui inaugure l’histoire de la presse albanophone comme presse allophone.

En 1883, un comité de notables Arbëresh5 entreprend de publier à Corigliano Calabro une revue mensuelle en italien et en albanais. Il s’agit du périodique Fiamuri Arbërit (Le Drapeau de l’Albanie), dont le premier numéro paraît en juillet.

Collections de la BULAC, cote BULAC MON Fol 227.

Son directeur et rédacteur en chef, Girolamo de Rada, incarne le mouvement d’un nationalisme romantique. Né au sein d’une famille d’Arbëresh de Calabre, il fait des études de droit à l’Université de Naples. Mais sa véritable passion est l’étude du folklore et de la littérature en langue albanaise. En 1836, il publie en italien Poesie albanesi del secolo XV. Canti di Milosao, figlio del despota di Scutari.

Quelques années plus tard, dans le cadre des événements révolutionnaires de 1848, il publie aussi à Naples le journal L’Albanese d’Italia (L’Albanais d’Italie) avec des articles en italien et en albanais. Une édition en fac-similé du journal original, commentée par Francesco Altimari, est disponible à la BULAC. Cette publication est éphémère mais elle inaugure l’histoire de la presse éditée en albanais6. La publication du journal Fiamuri Arberit dure un peu plus longtemps, mais l’interdiction de sa circulation sur les territoires austro-hongrois, ottomans et grecs le prive d’une partie importante de son lectorat potentiel, le conduisant à sa disparition en novembre 1887.


Constantinople : Drita

Entre-temps, en 1884 paraît à Constantinople la première revue albanaise d’érudition, Drita (La Lumière), publiée par la société littéraire du même nom et dont la direction est confiée à Pietro Poga, avec la collaboration de Naim Frashëri et de Jan Vreto. Après le troisième numéro, la revue change de nom pour s’appeller désormais Diturja (La Culture).

Naim Frashëri (1846-1900)7 est un défenseur acharné de l’indépendance albanaise. Issu d’une famille de Bektashis, il se forme à la fois au sein d’un tekke et à l’école de Zosimaia à Yanina, qui est tout au long du XIXe siècle un véritable foyer de diffusion des idées des Lumières auprès des élites culturelles des Balkans ottomans et une pépinière pour la formation de plusieurs acteurs du mouvement nationaliste albanais. En 1879, il fonde avec son frère Sami et d’autres personnalités de la communauté ottomane albanophone la Société pour la publication d’ouvrages en albanais. C’est dans cette perspective que la revue Drita paraît brièvement en 1884. Ensuite, le siège de la revue est transféré à Bucarest.

À Constantinople sont aussi publiés, en 1909, le périodique Shqipetari, et en 1911, E. Vërteta (La Vérité).


Bucarest et Sofia : Shqipetari et Liri e Cqiperise

C’est à Bucarest qu’est publié en 1898 le poème épique de Naim Frashëri sur l’Épopée du Bektachisme, Qerbelaja, ainsi que son épopée historique sur la vie de Skandeberg, Istori’e Skenderbeut.

Collections de la BULAC, cote BIULO MEL.8.901(13).

La capitale roumaine est également le lieu d’édition, dès 1888, d’un journal fondé par Nikolla Naço sous le titre de Shqipetari (L’Albanais), avec des articles paraissant en albanais et en roumain.

Kristo Luarasi (1876-1934) se retrouve aux côtés de Nikolla Naço, avant de gagner Sofia en 1896, où il devient le directeur de la maison d’édition Mbrothësia (Progress), publiant des ouvrages tels que Fe e kombësi : dramë kombëtare me katrë akte dhe katrë tabllo de Kristo Floqi. Kristo Luarasi est aussi l’éditeur du journal Liri e Cqiperise à Sofia, entre 1911 et 1915.


Collections de la BULAC, cote BIULO PER.20078.

Bruxelles : Albania

Une autre étape significative de l’histoire de la presse albanophone dans un contexte allophone pendant la période de la Renaissance nationale est la publication, en mars 1897 à Bruxelles, du premier numéro de la revue Albania, par Faik Konica. Cette revue est rédigée en albanais et en français. Il s’agit d’un des périodiques les plus importants, voué à la cause albanaise. Albania est transférée en 1902 à Londres, où elle continue de paraître jusqu’en 1909.

Collections de la BULAC, cote BIULO PER.20078.

Né dans la ville de Koniçe (aujourd’hui Konitsa en Grèce), Faik bej Konica (1875-1942) apprend le turc à l’école primaire de sa ville natale, puis poursuit ses études au collège jésuite de la ville de Scutari (Shkodra) et au lycée impérial francophone de Galatasaray à Istanbul. Parti pour compléter ses études en France, il s’installe à Bruxelles, où il lance la revue Albania en 1897. Ce périodique est publié jusqu’en 1909, quand Konica part pour les États-Unis d’Amérique. Au moment de sa publication, Albania est considérée comme l’une des tribunes les plus en vue du mouvement de renaissance nationale albanaise.


Boston : Dielli et Kombi

Collections de la BULAC, cote BIULO PER.67.

Arrivé à Boston en 1909, Konica devient le rédacteur en chef du journal Dielli (Le Soleil), publiée par Besa-Besën, l’association culturelle et politique de la diaspora albanaise aux États-Unis d’Amérique. Cette société fondée par Fan Noli joue un rôle prépondérant dans la promotion de l’enseignement en albanais en Albanie ottomane, avec le financement de la fondation de l’École normale supérieure à Elbasan, première institution d’enseignement supérieur en albanais.

En 1912, Besa-Besën fusionne avec d’autres associations albano-américaines pour donner naissance à Vatra, la fédération pan-albanaise des États-Unis. Parmi les publications sorties de la maison d’édition fondée par Fan Noli, on peut citer l’ouvrage Historia e Skënderbeut : Gjerg Kastriotit, Mbretit te Shqiperise, 1412-1468, en 1921, et un almanach de l’association Vatra, en 1918.

C’est à Boston aussi qu’est publié le premier journal en albanais aux États-Unis en 1905, par Sotir Peçi (1873-1932) sous le nom de Kombi (La Nation).

Sotir Peçi, né dans un village près de Körçe, étudie les mathématiques à l’Université d’Athènes. Pendant son séjour dans la capitale grecque, il publie un dictionnaire albanais rédigé par Konstandin Kristoforidhi (1827-1895). Kristoforidhi est connu pour avoir traduit le Nouveau Testament pour la première fois en albanais dans le dialecte guègue. Un exemplaire de cette traduction publiée à Constantinople en 1872 est disponible à la BULAC.


Enfin, ailleurs en Méditerranée orientale, nous pouvons évoquer Bashkimi i Shqipetarevet (L’Union de l’Albanie), bimensuel rédigé en albanais et en français au Caire en 1900, et en Europe du Sud-Est, le trimestriel Albanija, édité à Belgrade en albanais et en serbe en 1905, Dashamiri, revue bimensuelle fondée à Trieste en 1907 et écrite en dialecte guègue, et Shpnesa e Shqypeniis (L’Espérance de l’Albanie), dont la publication commence à Raguse en septembre 1905 en albanais, italien et croate.


  1. Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales, Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1999.
  2. Georges Castriote (Gjergj Kastriot en albanais) surnommé Skanderbeg, fut un seigneur de confession chrétienne dans les Balkans du Moyen-Âge. Opposé au sultan ottoman au XVe siècle, il est devenu la figure emblématique du mouvement national albanais au XIXe siècle.
  3. Les Arvanites sont des populations albanophones et chrétiennes orthodoxes installées depuis le Moyen-Âge en Grèce méridionale.
  4. L’albanais est une des langues parlées au sein de l’État grec au moment de sa création en 1830. Malgré une hellénisation progressive des Arvanites en lien avec le jacobinisme linguistique de l’État grec et l’adoption du grec comme seule langue officielle, la présence des communautés albanophones est attestée en Grèce tout au long du XIXe siècle. Certains membres de ces communautés œuvrent pour la cause albanaise en vue de la création d’un État albanais indépendant sur les territoires de l’Empire ottoman correspondant à l’Albanie de nos jours. D’autres se prononcent en faveur de la constitution d’une fédération gréco-albanaise, perçue par ses partisans comme une réponse aux projets panslavistes dans les Balkans à partir des années 1870 ou comme une réaction à l’influence autrichienne et italienne le long des Balkans adriatiques.
  5. La communauté des Arbëresh s’était constituée depuis le XVe-XVIe siècle en Italie méridionale, dans la région des Pouilles et surtout de Calabre.
  6. Parmi les périodiques publiés en albanais en Italie du XIXe siècle, on peut citer la Nuova Albania (1898-1904), organe bimensuel du comité politique albanais de Naples ou le Laimtari i Shqypenies (Le Héraut d’Albanie), qui paraît à Rome (1905) en italien et en albanais.
  7. Une maison d’édition porte son nom actuellement à Tirana.

Le temps qui passe dans le paysage : une journée à la BULAC

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À l’automne 2019, Saadia Afzal, contractuelle à la BULAC et étudiante en arabe à l’Inalco, a participé au cycle découverte des ateliers d’écriture animé par Clotilde Monteiro. La BULAC propose avec ces ateliers aux étudiants en master et en doctorat d’explorer l’écriture créative et de partir à la découverte de leur expressivité en expérimentant les différentes techniques de la narration. Ce texte, inspiré par la proposition d’écriture « le temps qui passe dans le paysage », invite à (re)découvrir la BULAC à travers le regard sensible de son auteure.


9h : BULAC vide. Lumière aveuglante du jour qui éclaire chaque étage. Silence magistral. Éloquence des livres. Piles de bouquins à classer puis à ranger soigneusement sur les étagères. Des ordinateurs à démarrer. Faire le tour des étages à la recherche de la moindre anomalie. Les collègues se croisent, se saluent autour des mêmes gestes automatiques. Peu de paroles mais beaucoup de silence partagé.

Maxime Ruscio / BULAC

10h : Ouverture des portes. Tout un processus. Chacun est à sa place attribuée. Prêt à agir. Une marée de lecteurs qui entre. Un flot d’individus de tous âges, tous styles, toutes démarches, toutes apparences, tous horizons. « Bonjour. J’ai oublié ma carte. » « Bonjour. Puis-je vous emprunter un câble ? » Phrases les plus prononcées par les lecteurs. Phrases les plus entendues par les agents. Je me demande comment ces tournures ne s’épuisent pas à force d’être répétées.

Maxime Ruscio / BULAC

15h : Toutes les places de la bibliothèque sont prises. Poignée de lecteurs qui déambulent à l’affût du moindre départ. Lassés, d’autres s’installent à même le sol entre deux rayons. Silence partout que chacun s’efforce de respecter. Murmures entre deux lecteurs. Symphonie des touches de clavier sur lesquelles on tape. Stylo qui tombe. Pages d’un livre qu’on tourne. Soudain, un téléphone qui sonne inopinément. Courir pour sortir et répondre en toute hâte.

Grégoire Maisonneuve / BULAC

20h : Étage inférieur et supérieur deviennent inaccessibles. L’étage principal reste occupé. Une vague de lecteurs viennent déposer leur câble et se dirigent vers la sortie. Une autre vague moins dense arrive déterminée à tenir jusqu’à la fermeture. Les usagers du soir ne sont pas tous ceux du matin. Ambiance moins studieuse. Début de soirée qui amène la fatigue. Les lecteurs travaillent sans la même concentration ni la même énergie. Par flots, ils vont tous s’en aller.

Maxime Ruscio / BULAC

22h : Temps écoulé. Vider les lieux. Laisser respirer la bibliothèque. Peut-on dire qu’elle se couche ou qu’elle se meurt ? Derniers bruits de pas. Dernières conversations. Derniers chahuts. Dernières transactions entre lecteurs et agents. Nul besoin d’éteindre les machines puisqu’elles s’éteignent sans le secours des mains humaines. Les lumières resteront encore allumées comme pour veiller sur les dernières minutes avant l’inactivité totale. Puis le vide du silence. Puis l’absence de mouvement. Tout redevient inhabité. Tout redevient inchangé.

Grégoire Maisonneuve / BULAC

00h : Quelle présence pour témoigner de cette nuit qui s’écrit sans mots ?

Maxime Ruscio / BULAC
Citer ce billet : Saadia Afzal, "Le temps qui passe dans le paysage : une journée à la BULAC," dans Le Carreau de la BULAC, 24 juin 2020, https://bulac.hypotheses.org/30757. Consulté le 24 juin 2020

Portrait de chercheur : Justine Rochot

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Justine Rochot, membre associée de l’EHESS

Questions à … Justine Rochot, docteur en sociologie de l’EHESS.

Actuellement post-doctorante rattachée au Centre d’Étude sur la Chine Moderne et Contemporaine (EHESS) et au Centre d’Étude Français sur la Chine contemporaine (Taipei), Justine Rochot a soutenu en octobre 2019 une thèse de sociologie intitulée « Bandes de vieux. Une sociologie des espaces de sociabilité de jeunes retraités en Chine urbaine contemporaine ». Par une sociologie de la vieillesse attentive aux significations que les individus investissent dans leurs expériences quotidiennes, son travail interroge l’intensification récente des sociabilités de retraités en Chine, en les confrontant aux parcours de vie et à l’expérience de la retraite de la première génération de parents d’enfant unique, née sous le maoïsme.

Quel est votre parcours ?

Ma rencontre avec la Chine remonte un petit peu, puisque j’ai eu la chance d’y résider durant six ans lors de ma scolarité secondaire au Lycée Français de Pékin. Je me suis alors mise au chinois en seconde langue un peu par hasard, par curiosité pour ce pays que je découvrais. Le chinois a ensuite constitué un atout assez fort dans la suite de ma scolarité : j’ai ainsi pu aller en classe préparatoire littéraire au Lycée Fénelon à Paris (alors le seul à préparer aux concours en spécialité chinois), puis intégrer l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Lyon en section chinois.

Après une L3 de chinois et de géographie, à cheval entre les universités de Lyon 2 et Lyon 3 et l’ENS, je suis partie en échange en Chine pour mon année de master 1. L’ENS avait un partenariat avec l’Université Normale de la Chine de l’Est (ECNU), et l’on m’a donc proposé de partir à Shanghai pour suivre des cours de sociologie. C’est ainsi que je me suis initiée, en Chine, à cette discipline qui m’était encore inconnue. Cette année d’échange a été une opportunité formidable pour améliorer ma pratique de la langue, en suivant des cours en chinois. J’ai ensuite voulu finir mon master à l’EHESS, qui m’attirait beaucoup pour ses approches pluridisciplinaires en sciences-sociales. J’y ai donc effectué un Master 2 de sociologie, sous la direction d’Isabelle Thireau, et ai commencé à m’intéresser aux questions de vieillissement en Chine en menant une enquête ethnographique dans une maison de retraite shanghaienne. J’ai ensuite souhaité prolonger ces réflexions en doctorat et me suis inscrite en thèse à l’EHESS sous la direction d’Isabelle Thireau et Tania Angeloff (Paris 1-Panthéon Sorbonne). Parallèlement à mes recherches, j’ai enseigné la sociologie à l’Université pendant cinq des six années qu’a duré ma thèse : à Paris 5, d’abord, en tant que chargée de mission au titre des contrats doctoraux, puis à l’Institut d’Études sur le Développement Économique et Social de Paris 1, en tant qu’Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER).

Comment expliqueriez-vous vos recherches aux lecteurs du Carreau de la BULAC ?

Alors que mon enquête de master portait plutôt sur le vieil âge dépendant et sa prise en charge institutionnelle, je me suis intéressée pendant ma thèse à une frange plus négligée de la population « âgée », que j’appelle dans mon travail les « jeunes retraités ». Le début de ma thèse a en effet correspondu à un moment d’intensification marquée des rassemblements de retraités dans l’espace urbain chinois, avec notamment de vifs débats sur les « danseuses de place », ces femmes chinoises d’une cinquantaine ou d’une soixantaine d’années qui se faisaient remarquer par leurs danses collectives sur les places publiques. J’ai donc commencé une enquête en intégrant une chorale de retraités dans un parc, sans trop savoir où cela me mènerait. Je me suis alors rendu compte que mes enquêtés se rendaient également dans de nombreux autres espaces où se réunissaient des retraités, allant de centres de boursicotage à des karaokés, des voyages organisés, des salons de danse ou encore des centres d’activité de quartier. En outre, la grande majorité de ces personnes partageait un sentiment d’appartenance générationnel extrêmement fort : ils étaient tous nés entre la fin des années 1940 et le début des années 1960 et avaient donc grandi sous le maoïsme, constituaient la première cohorte de parents d’enfant unique, étaient arrivés sur le marché du travail au moment des réformes économiques et, enfin, faisaient partie de la première génération d’urbains à bénéficier de manière diffuse de pensions de retraite (avec un âge d’entrée en retraite encore très bas, notamment pour les femmes). 

Une séance de danse de place au parc Ditan de Pékin, réunissant une centaine de personnes, principalement des femmes retraités (Photographie de Justine Rochot, 14 août 2014) 
Tutoriel pour une chorégraphie de ”danse de place” sur la célèbre musique Petite Pomme 小苹果 (2014) des Chopsticks Brothers

Partant de ces constats, dictés par le terrain lui-même, j’ai souhaité comprendre quels liens pouvaient être dressés entre la récente entrée en retraite de cette génération aux parcours de vie si singuliers et l’intensification des rassemblements de retraités en Chine urbaine, dans l’espace public mais aussi dans d’autres types d’espaces moins connus. Je me suis lancée dans une enquête ethnographique de près de huit mois, à Pékin et Kunming, qui m’a permis de comparer quatre groupes : la Chorale du Soleil, au parc Ditan de Pékin ; l’Escadron de la Joie, un groupe d’anciens « Jeunes instruits » qui avaient été envoyés ensemble à la campagne durant la Révolution culturelle et qui se retrouvent à présent sur une place pour faire du tai-chi ; le Longevity Group, une entreprise de vente pyramidale de compléments alimentaires à base de médecine chinoise, fréquentée par de nombreuses femmes retraités ; et l’Université pour personnes âgées du Yunnan, une structure éducative pour personnes âgées très encadrée par l’État-Parti.

Point de vue général sur la Chorale du Soleil, au parc Ditan, qui réunit quotidiennement entre 200 et 800 participants selon les saisons. Photographie de Justine Rochot le 29 avril 2015.

D’un côté, ma thèse raconte et explique de manière détaillée la vie quotidienne de chacun de ces groupes, les types de relations que les gens y nouent et le sens qu’ils attribuent à la fréquentation de ces espaces. De ce point de vue, j’ai essayé de sortir du regard très quantitatif, et somme toute très désincarné, qui est souvent porté sur les personnes âgées – en Chine mais aussi ailleurs – pour me situer au contraire au plus près de ce que ces gens vivent et pensent, de la manière dont ils se représentent leur vie et le monde qui les entoure. D’un autre côté, toutefois, j’ai montré que, en dépit de la singularité des histoires individuelles et des manières d’être ensemble qui caractérisaient chacun de ces groupes, ces derniers se ressemblaient aussi d’une certaine façon : on retrouvait, d’un espace à l’autre, des expériences individuelles qui se faisaient écho, de mêmes manières de s’exprimer, des façons similaires de parler de la retraite. Pour vous donner un exemple très précis, mes enquêtés passaient leur temps à dire qu’il « fallait être joyeux » (kuaile 快乐) et ce vocabulaire de la joie se retrouvait absolument partout au cours de l’enquête : il me paraissait donc important de le prendre au sérieux. J’ai donc essayé de comprendre d’où venaient ces ressemblances et de les analyser comme une donnée à part entière. Ma conclusion a été que ces « airs de famille » pouvaient s’expliquer par deux éléments. D’un côté, par la manière dont l’État chinois a façonné des façons spécifiques de concevoir la retraite, qui donne à l’expérience chinoise du « troisième âge » une coloration particulière. De l’autre, par les parcours de vie de cette génération qui l’ont dotée de ressources dont ils se saisissent aujourd’hui pour faire face à des incertitudes partagées, comme la distance géographique avec leurs enfants, le délitement des sociabilités de quartier ou le coût de la santé.

Réunion de rentrée pour la 34e nouvelle année scolaire de l’Université pour personnes âgées du Yunnan, organisée au centre d’activités pour cadres retraités de la province du Yunnan (source : http://www.ynlgb.com/zhendi/201809038119.html).

Vous avez eu la chance de partir à Hong Kong à la fin de votre doctorat. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Mon séjour à Hong Kong est parti d’un besoin de m’éloigner pour me concentrer sur l’écriture de ma thèse, car je trouvais très difficile de se plonger dans la rédaction en France, où les distractions étaient nombreuses ! J’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui parviennent à finir leur thèse tout en enseignant ou en étant engagés dans d’autres activités académiques, car pour ma part, je ressens le besoin d’être complètement immergée dans l’écriture. J’ai donc profité d’un partenariat avec l’EHESS pour partir à l’Université de Hong Kong (HKU) qui m’a accueillie pendant un an dans son département de sociologie durant l’année 2018-2019.

L’environnement intellectuel général était à la fois très porteur et bienveillant, et la liberté académique générale constituait une vraie bouffée d’air frais par rapport à la Chine – même si cela risque probablement de changer dans les années à venir. Hong Kong est aussi un intense lieu de passage de chercheurs reconnus travaillant sur la Chine, venant des quatre coins du monde, et que l’on a peut-être un peu plus de mal à voir passer en France. J’ai donc assisté à de nombreuses conférences de personnalités de référence en études chinoises, dont les interventions ont nourri ma réflexion durant l’écriture. La bibliothèque de l’Université possède également des fonds extrêmement riches qui m’ont permis de travailler sans problème sur ma thèse, mais aussi de découvrir des titres que je ne connaissais pas et qui m’ont été au final très utiles. Je suis par exemple tombée là-bas sur la collection intégrale de la revue Zhongguo Laonian (Elderly Chinese), la première revue pour personnes âgées créée en Chine au tout début des années 1980 et dont je ne parvenais jusqu’à présent qu’à trouver de ponctuels titres que j’achetais à des particuliers sur le site de vente chinois Taobao ! J’espère donc pouvoir y retourner un jour pour mieux me plonger dans ces archives ! 

Couverture de l’un des premiers exemplaires de la revue Elderly Chinese (中国老年) en 1983

Pour votre recherche, quelles sont les bibliothèques universitaires que vous avez fréquentées ?

Pour trouver de la documentation sur la Chine en France, je me suis surtout rendue à la BULAC et à la Maison de l’Asie qui disposaient de nombreux ouvrages de références sur la famille ou la vieillesse en Chine et en Asie qui m’ont été très utiles au début de ma thèse. J’ai notamment beaucoup profité des accès aux ressources numériques à distance, pour JSTOR ou CNKI par exemple. Toutefois, lorsque je repère en bibliothèque un ouvrage qui me sera vraiment important, j’ai souvent tendance me l’acheter car j’aime prendre des notes dans les livres, et le travailler jusqu’à l’abîmer ! Je fréquentais également ponctuellement la BNF ou la Bibliothèque des Grands Moulins, notamment pour les ouvrages de sciences sociales sur la vieillesse. Mais globalement, j’ai tout de même une pratique très monacale de la recherche et préfère emprunter pour travailler chez moi ou en terrasse de café ! Lorsque j’étais à HKU, j’ai ainsi beaucoup apprécié le fait que leur bibliothèque dispose de nombreux ouvrages numérisés accessibles en ligne.  

Si vous pouviez recommander un titre du catalogue de la BULAC, lequel serait-ce ? 

Le premier livre qui me vient à l’esprit est celui de Melanie Manion, Retirement of Revolutionaries in China: Public Policies, Social Norms, Private Interests, qui a été très important pour moi dans ma tentative d’historiciser les discours sur la retraite que j’entendais sur le terrain. L’auteur y analyse la politique de mise à la retraite des cadres révolutionnaires de 1949, mise en place dans les années 1980 : elle montre que la mise en place de ces retraites, pour cette classe sociale particulière qui pensait continuer à travailler toute leur vie pour l’État et la Révolution, était en réalité extrêmement instrumentale puisqu’elle permettait à Deng Xiaoping de pousser plus avant ses réformes en mettant sur le banc de touche ceux qui y étaient le plus opposés. Son enquête permet aussi de saisir l’importance de ce moment dans la diffusion de certains discours sur les retraites (associant notamment le départ à la retraite à une continuation de l’activité révolutionnaire) et dans l’émergence de nouvelles institutions, initialement prévues pour ces cadres retraités mais que je vois pour ma part réinvesties aujourd’hui par une nouvelle génération de retraités – comme les Universités pour personnes âgées par exemple. 

Votre thèse vient d’être récompensée par le prix de thèse de l’EHESS. Comment avez-vous accueilli ce prix, et pensez-vous qu’il vous aidera dans la suite de votre carrière ?

J’étais extrêmement surprise et honorée de recevoir ce prix ! Cela m’a beaucoup touchée de savoir que mon travail parvenait à parler à un jury qui n’était pas forcément familier de la Chine : cette reconnaissance disciplinaire, venant d’une école qui m’a beaucoup appris par les méthodes novatrices de ses chercheurs et chercheuses, m’importe beaucoup, car j’espérais justement que mon travail ne contribue pas uniquement à une meilleure connaissance de la Chine. Je voulais aussi montrer les apports de l’enquête ethnographique et l’intérêt d’un décentrement hors des pays occidentaux et hors de la seule « vieillesse dépendante » pour appréhender le vieillissement – une question qui nous touche tous et toutes.

Je tiens également à rappeler que j’ai mis six années pleines à faire ma thèse, et que mon sujet tel qu’il est formulé à présent, n’a émergé que grâce au temps et à la liberté que l’on m’a permis de prendre pour mener mes enquêtes, sans compter bien sûr le soutien financier dont j’ai eu la chance de bénéficier au long de mon parcours. Cela va complètement à l’encontre de la direction que prend aujourd’hui la recherche, avec des doctorats de plus en plus courts et précaires, en trois ou quatre ans, et des appels à projets censés répondre à une définition a priori des « problèmes sociaux ». Récompenser un travail comme le mien (même si cela aurait aussi très bien pu être celui d’un ou d’une autre) est donc aussi, je le pense, un geste politique dans le contexte de réformes qui est le nôtre en France : cela vient appuyer l’importance du temps et de la souplesse nécessaire pour faire de la recherche, qui plus est lorsqu’elle implique des terrains en immersion dans des pays aux contraintes politiques de plus en plus fortes.  

Ce prix de thèse est arrivé à point nommé, dans un moment où je commençais à douter de mon travail, étant en attente de résultats pour des post-doctorats après plusieurs mois passés à rédiger des dossiers de candidature ! Il me sera donc très certainement utile pour mes candidatures futures, mais aussi pour publier ma thèse, que j’aimerais reprendre sous la forme d’un livre dans les mois qui viennent. Je pense que ce genre de prix peut faciliter l’édition en rassurant les éditeurs et en les poussant à prêter attention au manuscrit proposé.

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Juste avant de partir en vacances, prenez un peu de temps pour lire la sélection de billets hypothèses.org que les bibliothécaires de la BULAC ont préparée pour vous ! Ces articles traitent des domaines géo-linguistiques couverts par la BULAC, à savoir l’Afrique, les Amériques, l’Asie et le Pacifique, l’Europe médiane et les mondes russes, ainsi que le Moyen-Orient et les mondes musulmans.

Si vous les avez manqués, voici également ceux du mois de mars, d’avril et de mai !  

Bonne lecture !

Encore du temps ? N’hésitez pas à aller lire Du doux pays de Chypre » : reflets de la littérature chypriote à la BULAC, écrit par Nicolas Pitsos, chargé de collection dans le domaine grec !

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