Ou : tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les dernières évolutions de HAL !
Pour ce troisième billet sur le libre accès en cette 11ème édition de l’Open Access Week, nous revenons aujourd’hui sur les dernières fonctionnalités proposées par la plateforme nationale HAL.
17 ans d’existence, plus de 480 000 ressources scientifiques (publications, images, vidéos) en libre accès, plus de 1,4 million de publications sous forme de notices bibliographiques… et de nouveaux services qui facilitent et allègent le dépôt de vos publications !
En juin dernier, le blog du CCSD (Centre pour la communication scientifique directe) postait un billet présentant un bilan de la nouvelle interface de dépôt dans HAL. Cette nouvelle interface de HAL, qui a pour but de faciliter et encourager les dépôts sur HAL dans une démarche d’amélioration continue, est l’une des nouveautés qu’offre HAL depuis quelques mois.
Un bref tour d’horizon de quelques-unes d’entre elles :
Une nouvelle interface de dépôt sur HAL
Depuis quelques mois, le processus de dépôt est simplifié : l’ergonomie de l’interface a été revue (moins de clics, une seule page navigable), le nombre de métadonnées obligatoires a été réduit, et la récupération automatique des métadonnées a été améliorée. Depuis, plus de 63 000 dépôts ont été réalisés, soit une augmentation de 29% par rapport à la même période l’année précédente, comme le souligne une enquête conduite en mars 2017.
Plus épurée, la nouvelle interface s’ouvre par défaut sur la vue simplifiée qui permet de n’afficher que les champs obligatoires. Vous pouvez accéder à vos préférences de dépôt dans “mon espace” puis “mon profil” ; définir vos préférences entre la vue détaillée et la nouvelle vue simplifiée permet de gagner du temps lors de dépôts en masse.
La récupération automatique des métadonnées à partir du fichier PDF ou des identifiants du document comme le DOI constitue par ailleurs une avancée des plus utiles. Il demeure indispensable de vérifier les informations récupérées et de les corriger si nécessaire, mais cette récupération automatique allège considérablement le travail, notamment pour remplir les données auteurs, tout en conservant la qualité des métadonnées déposées.
La proposition automatique d’une “affiliation probable” est une autre nouveauté destinée à simplifier le dépôt, lequel ne nécessite plus la plupart du temps qu’une relecture attentive !
Dans les cas de partage de propriété, désormais l’affiliation d’un seul auteur est suffisante pour valider le dépôt. En contrepartie, le nouveau système d’alerte permet à chaque personne concernée par un dépôt (co-auteur, référent structure, etc. ) d’obtenir, en un simple clic, le partage de propriété. Chacun peut ainsi être notifié et venir consulter et compléter le-dit dépôt. Les utilisateurs peuvent choisir de recevoir ou non ces alertes en paramétrant leurs préférences de mail (dans “mon espace” puis “mon profil”).
Enfin, deux nouvelles métadonnées sont proposées : “À paraître” (choix d’une date de publication, ou mention “À paraître”), et le type de publication.
Le dépôt de logiciel sur HAL : le logiciel devient un produit de recherche légitime et citable !
Ce projet, qui bénéficie du soutien de l’UNESCO, est le fruit d’une collaboration entre Software Heritage (SWH), Hal-Inria et le CCSD. Depuis janvier 2018 et après une phase de test, il est désormais possible de déposer sur HAL le code source, tout en contribuant au patrimoine logiciel constitué par Software Heritage.
Notons que le Plan national pour la science ouvert du 4 juillet dernier dont nous vous parlions hier se fixe pour objectif, dans son second axe consacrée aux données de la recherche, le développement des logiciels et un soutien à Software heritage :
(La France) soutiendra aussi le développement et la conservation des logiciels, support indissociable des connaissances techniques et scientifiques de l’humanité tout entière. Dans cette optique, elle apportera son soutien à Software heritage.
Dans HAL, le chercheur peut donc désormais déposer une archive du code source et renseigner les métadonnées pour décrire son dépôt. Une fois le dépôt validé, et si le chercheur souhaite son transfert, il est importé dans Software Heritage qui génère un identifiant unique permettant sa traçabilité, le SWH-ID. Ensuite, le dépôt HAL est mis à jour avec cet identifiant. Voir la documentation en ligne, le Guide du déposant et les recommandations juridiques et administratives de la diffusion des logiciels de laboratoires de PLUME pour en savoir plus.
Faciliter l’accès au texte intégral en signalant les ressources en libre accès
Vous avez déjà été déçu de découvrir que la notice d’une publication qui vous intéresse ne propose pas de lien vers le texte intégral, et de devoir chercher la publication sur une autre plateforme?
Une nouvelle fonctionnalité de HAL permet d’automatiser vos recherches : la notice HAL est ainsi enrichie avec le lien sur le texte intégral s’il est disponible en libre accès sur une autre plateforme. Si la ressource n’existe pas en libre accès mais est disponible dans le cadre d’ISTEX, c’est le lien vers cette plateforme qui est affiché (pour rappel, l’accès aux ressources ISTEX est limité aux personnels de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche : lisez les derniers articles du Carreau sur ISTEX).
La fonctionnalité existait déjà pour la littérature citée dans un fichier déposé : elle est donc maintenant étendue à toutes les notices de HAL (si les métadonnées du dépôt comportent un identifiant de document type DOI).
Un nouvel outil de visualisation de données : visualiser les collaborations avec CartoHAL
Vous souhaitez visualiser les collaborations entre auteurs, équipes ou institutions ? Deux membres du laboratoire OTELo (Observatoire Terre Environnement de Lorraine) se sont justement intéressés à la représentation cartographique des affiliations présentes dans les dépôts de HAL. Ils ont ainsi développé un module, baptisé CartoHAL, pour afficher les collaborations sur le site de la collection du laboratoire. CartoHAL est donc désormais disponible pour les collections et les portails sous forme de widget à ajouter sur la page d’accueil d’une collection ou d’un portail. Une fonctionnalité d’export permet de récupérer les données sous forme de fichier (formats pdf pour la carte et csv pour le tableau). Un exemple ? Le portail du laboratoire d’Océanographie et du Climat s’est lancé, et affiche sous la forme d’une carte du monde le nombre de publications par pays ; un lien cliquable permet d’afficher les publications pour un pays donné. Une documentation est disponible sur le site du CCSD.
Et toujours la possibilité, depuis la troisième version de HAL qui date maintenant de 2016, de déposer des cartes, des sons, des images et des vidéos, et d’installer un plugin permettant d’afficher de façon dynamique les publications dans une page WordPress.
Pour en savoir plus, tous les articles du Carreau de la BULAC sur HAL sont accessibles ici.
A demain pour un nouvel article consacré à trois outils, Isidore, BASE et Open AIRE, qui permettent de s’orienter dans le maquis des publications en libre accès !
Aujourd’hui, nous vous proposons d’explorer une plateforme, une base et un moteur de recherche qui vous permettront de vous orienter au mieux dans les ressources en libre accès.
ISIDORE
ISIDORE est une plate-forme de recherche permettant l’accès aux données numériques des sciences humaines et sociales (SHS). Ouverte à tous et en particulier aux enseignants, chercheurs, doctorants et étudiants, elle s’appuie sur les principes du web de données et donne accès à des données en accès libre (open access).
ISIDORE est une réalisation de la très grande infrastructure de recherche (TGIR) Huma-Num (Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Aix-Marseille Université, Campus Condorcet).
Elle contient actuellement près de 6 millions de références.
C’est un excellent outil exploitant les techniques de moissonnage et d’interopérabilité. ISIDORE interroge différents réservoirs tels que l’archive ouverte Hyper articles en ligne (HAL), OpenEdition. L’interface est souple et intuitive. Elle propose des filtres variés : langues, types de publications, disciplines de recherche …
Le Plan national pour la science ouverte dont nous vous avons parlé mardi dernier prévoit d’ailleurs un soutien à ISIDORE afin de développer sa notoriété ainsi que son usage.
OpenAIRE
A l’échelle européenne, la base OpenAIRE (Open Access Infrastructure for Research in Europe) constitue un outil pertinent avec les objectifs énoncés dans l’article 30 de la loi pour une République numérique de 2016. Ceux-ci sont réaffirmés par le plan S de cOAlition S : mutualiser les actions des institutions de recherche européennes pour favoriser l’accès libre des publications scientifiques et développer en parallèle des moteurs puissants afin de donner des repères aux usagers et de la visibilité aux ressources en s’appuyant sur les techniques du linked data.
OpenAIRE est un projet européen dont le but est d’accompagner l’obligation de dépôt en accès libre (deposit mandates) décidée par la Commission Européenne et le Conseil Européen de la Recherche (ERC).
OpenAIRE offre également un panel de services en fonction du profil d’utilisateur (chercheur, fournisseur de contenus, …). Il est possible de géolocaliser et d’accéder aux sources de données par type (revues, organismes de dépôt, …).
Elle présente un large ensemble de références pluridisciplinaires : près de 21 millions, dont des publications mais aussi des jeux de données et des logiciels.
BASE
BASE (Bielefeld academic search engine) est un moteur de recherche développé et administré par l’université de Bielefeld (Allemagne). Pluridisciplinaire, il est spécialisé dans la sélection de ressources de niveau académique. Celles-ci ne sont pas sélectionnées de manière automatique par un algorithme mais de manière intellectuelle, ce qui garantit leur qualité. Cependant, une partie des documents indexés (environ 40 %) ne relève pas de l’open access. Un cadenas ouvert orange indique si le titre est en accès ouvert.
Au niveau européen, BASE est l’un des outils les plus volumineux et l’un des plus puissants : près de 120 millions de références. De plus, sa grande spécificité est d’indexer également les ressources appartenant au Web profond, qui échappe aux moteurs de recherche généralistes.
Une galaxie de publications et de données à exploiter…
Le développement de la voie verte des ressources en accès libre (green open access) et de niveau académique est en plein essor. Des bases généralistes ou spécialisées existent pour guider l’usager dans ses recherches à travers la galaxie des données.
Les initiatives nationales et européennes présentées ci-dessus contribuent fortement à renforcer la diversité et la visibilité de ces moteurs afin d’optimiser davantage l’accès et l’exploitation de ces puits de connaissances à des fins scientifiques.
Rendez-vous demain sur le Carreau pour notre dernier billet de cette Open Access Week 2018, qui sera l’occasion pour la BULAC de lancer son blog de veille dans le domaines des aires culturelles !
Image à la Une : Copyright http://hildabastian.net/
Pour cette dernière journée de l’Open Access Week, la BULAC vous propose une découverte : son nouveau carnet de veille sur les aires culturelles !
Avec La Croisée de la BULAC, la BULAC vous offre un nouveau service, hébergé sur Hypotheses.org. Vous êtes enseignant, chercheur ou étudiant en sciences humaines et sociales (SHS) sur les aires linguistiques non occidentales ? Ce carnet de veille en ligne, complément du carnet de recherche qu’est le Carreau, peut vous intéresser.
Comme la croisée des chemins ou la croisée d’une fenêtre, ce carnet se veut une introduction à une variété de champs d’étude pour vous permettre de confronter les points de vue et d’ouvrir des perspectives vers l’ensemble des recherches aréales.
Vous retrouverez ainsi sur la Croisée une sélection de carnets de recherche répartie par grandes aires – Afrique, Amériques, Asie et Pacifique, Europe médiane et mondes russes, et Moyen-Orient & mondes musulmans – qui se fait l’écho de la diversité des publications sur les études aréales.
Pour compléter cette approche, deux rubriques, « Mondes en regard » et « Mondes connectés », font la part belle aux études comparatistes pour l’une, aux études transversales pour l’autre. La Croisée permet ainsi de dresser un panorama de l’activité des sciences humaines et sociales aréales et de mettre en regard des sujets de recherche similaires portant sur des aires distinctes ou des sujets complémentaires pour une même aire.
Vous pourrez y lire entre autres les derniers articles publiés dans des carnets de centres de recherche, tels que l’Institut français des études andines (IFEA) ou de programmes comme “État et institutions face à la sorcellerie dans l’Afrique contemporaine” (ANR EINSA). La Croisée s’intéresse également à des carnets sur des projets plus transverses, tel que Mind the gap(s) qui confronte les regards de la Chine et de l’Occident.
Découvrez notre sélection complète et mise à jour de carnets sur la page « A propos » de la Croisée, et, deux fois par mois à la Une, les billets sélectionnés par les bibliothécaires de la BULAC. N’hésitez pas à nous proposer des publications que nous n’aurions pas encore repérées en nous écrivant à carnet@bulac.
Radar de veille et outil de découverte, La Croisée de la BULAC ouvre grand sa fenêtre sur la recherche aréale pour vous tenir informés de l’actualité dans votre champ d’étude et vous guider vers des recherches dans d’autres domaines.
Ce billet est issu d’une présentation donnée à l’occasion d’une séance de séminaire qui s’est tenue à la BULAC le 26 juin 2018, dans le cadre des séminaires du réseau Transfopress (Réseau transnational pour l’étude de la presse en langues étrangères) consacrés à l’étude de la presse allophone.
De Vienne à Paris : aux origines de la presse grécophone comme presse allophone
En 1818, Nicopoulo, né à Smyrne (Izmir) et bibliothécaire à l’Institut, fonde à Paris un journal en langue grecque. Athina voit le jour quelques années après Ephimeris, journal publié à Vienne dans les années 1790, dont le titre devint par la suite le terme générique pour désigner la presse quotidienne en grec moderne.
Ephimeris est le premier journal grec qui nous soit parvenu. À Vienne à la fin du XVIIIe siècle, les commerçants grécophones connaissaient une situation florissante. De plus, les relations diplomatiques apaisées entre la maison des Habsbourg et l’Empire ottoman permettaient la libre circulation, dans la péninsule balkanique et en Anatolie, de tout imprimé de provenance outre-danubienne, favorisant ainsi la diffusion de ce journal auprès des populations grécophones des domaines du sultan. Paru à partir du 31 décembre 1790, Ephimeris fut édité par les frères Georges et Poulios Markidis Pouliou, originaires de la ville de Siatitsa en Macédoine ottomane1. Dans son premier numéro, on apprend que les fondateurs avaient édité en même temps le premier journal en serbe2. À la Une du 31 décembre 1790, on voit une image représentant une femme, l’Hellade, assise sur un trône céleste, tandis que le soleil levant dissipe les nuages environnants. Un ange-enfant offre à la Grèce, qui tend la main, un journal, intitulé Ephimeris.
Ephemeris, 31 décembre 1790, n°1. Source ANNO/Österreichische Nationalbibliothek.
Αθηνά / Athīná, 15 mars 1819. BULAC, cote MEL.8.155(2).
Symbole de la volonté de faire naître un État qui n’existait pas encore, Ephimeris paraissait deux fois par semaine, la première année de 4 à 8 pages in-4°, plus tard de 16 à 20 pages dans un format de petit livre in-8°. Dans ses numéros, le lecteur pouvait aussi bien lire des nouvelles sur l’actualité politique, les transactions diplomatiques, les phénomènes naturels remarquables, les faits divers, que trouver des petites annonces ou des informations sur la vie sociale et culturelle de la société viennoise et de sa communauté grécophone. Le journal faisait également la promotion d’éditions de livres en grec, s’adressant à ses lecteurs afin qu’ils soutiennent cette édition, en se procurant un ou plusieurs exemplaires. En ce qui concerne ses rubriques sur l’actualité à l’étranger, les nouvelles provenaient souvent de journaux publiés dans d’autres langues3, alors que pour les événements impliquant la Sublime Porte et le Patriarcat œcuménique de Constantinople, elles s’affichaient comme issues de correspondants particuliers.
Pour le lancement de leur journal, les frères Markidis-Pouliou ont eu recours à une pratique de publicité courante à cette époque, à savoir la diffusion d’une brochure, qui annonce la publication de ce nouveau titre dans les termes suivants :
une gazette pour les philhellènes dans la langue grecque de tous les jours, qui n’est chose qu’une narration historique quotidienne non seulement des choses du présent, mais aussi du passé et du futur. D’où le nom aussi d’Ephimeris, dont les nouvelles est un choix de choses dignes d’être relayées, pas seulement dans l’actualité militaire mais aussi politique et économique4.
Le journal dut fermer en 1797, suite à son engagement en faveur du représentant des Lumières balkaniques Rigas Velestinlis5, sujet ottoman revendiquant la transformation de la monarchie absolutiste ottomane en République fédérale. Le sultan, inquiet par la diffusion de ces idées au sein de ses domaines, communiqua son mécontentement auprès du gouvernement habsbourgeois et exigea la fermeture du journal. Soucieux de ne pas compromettre ses relations de bonne entente avec l’Empire ottoman, les officiers de François II mirent en place des dispositifs qui entravèrent sa circulation jusqu’à sa disparition définitive.
Au-delà de son existence relativement éphémère, l’expérience éditoriale de ce journal nous invite à un voyage historique à travers les lieux de la presse grécophone publiée en tant que presse allophone. Plus concrètement, il convient de s’interroger tout d’abord sur le sens du concept de presse allophone en général et plus particulièrement dans le contexte de la presse grécophone, d’évoquer les principales séquences historiques expliquant sa dispersion dans l’espace et le temps, et enfin d’étudier comment ce phénomène se reflète dans les collections de la BULAC.
La presse grécophone comme presse allophone : cartographie sémantique
Dans un premier temps, il s’agit de délimiter les contours de ce qu’on pourrait entendre en général comme presse allophone et à partir de ces considérations et ces hypothèses dans notre bagage conceptuel et notre outillage méthodologique, essayer par la suite de proposer une cartographie géo-historique de ce corpus. Une des approches dominantes dans la définition de la presse allophone adoptée lors des précédentes rencontres Transfopress, c’est de la définir en tant que presse éditée en partie ou en entier, dans une ou plusieurs langues qui n’ont pas le statut de langue officielle. Une telle compréhension de la presse allophone, nous amène à nous pencher sur le sens de « langue officielle ». D’après les sociolinguistes on ne peut définir la langue officielle qu’en rapport avec un certain développement des fonctions administratives et étatiques. L’emploi de ce concept est en plus « moderne » et contemporain de l’émergence des États-nations, qui se caractérisent par une prise en charge des questions de communication à l’intérieur de leurs propres frontières, notamment dans les domaines de la communication administrative, de la justice et de l’éducation scolaire. Nous devons aussi prendre en considération dans nos réflexions la distinction entre langue officielle de jure et langue officielle de facto. Le latin resta langue officielle de jure de l’empire austro-hongrois jusqu’en 1914, mais dans la réalité ce sont l’allemand et le hongrois qui de facto, constituèrent les langues officielles de la double monarchie. L’officialisation des langues standard en Europe s’est faite par étapes et de manière variable. Les constitutions portent parfois la trace de cette officialisation soit en général, soit en mentionnant la langue d’usage dans tel ou tel autre domaine de la vie publique. Mais très souvent, il n’est nullement fait mention d’une langue officielle et c’est la langue employée dans la rédaction des textes constitutifs qui indique de facto quelle est la langue officielle.
Dans le cas de l’État ottoman, État pratiquant et reconnaissant plusieurs langues semi-officielles, parmi lesquelles le grec, où le turc ottoman ne fut fixé comme langue officielle qu’à l’occasion de la constitution de 1876, peut-on désigner une presse grécophone comme allophone ? Quelle est la place des journaux publiés en grec sur des territoires de l’État ottoman ou sous administration britannique (à l’instar des îles ioniennes), qui ont été incorporés par la suite à l’État grec ? Est-ce que nos critères de sélection ont une valeur rétrospective ou prospective ? Doit-on inclure par exemple, dans notre étude, des journaux publiés en grec à Salonique, avant 1912, date de son annexion à l’État grec ? En 1812, à Zante, sous administration française à l’époque, parut la Gazette delle isole Ionie liberate, en italien, avec un résumé grec chaque mois. En 1814, après l’occupation anglaise, parut l’Ioniki à Corfou. Comment traiter ces journaux dans un corpus censé répertorier la presse allophone ? Après avoir exclu de l’étude présente, les titres publiés sur des territoires qui ont été intégrés a posteriori à des pays où le grec fut établi comme langue officielle, en l’occurrence la Grèce ou la République de Chypre, les critères de sélection pour la constitution du corpus ont été désormais énoncés.
La presse grécophone comme presse allophone : cartographie géo-historique
La présence de communautés grécophones et par conséquent d’éventuels publics susceptibles d’être concernés et intéressés par la lecture d’un journal, d’un périodique en grec, fut liée à plusieurs phénomènes d’ordre sociopolitique et économique.
Panorama général de la dispersion géographique de la presse grécophone comme presse allophone
Le graphique suivant offre un premier aperçu de la présence et de la diffusion de la presse grécophone, en identifiant ses principaux centres d’édition et de publication.
Nombre de titres de journaux/périodiques par ville de publication
Les résultats de cette cartographie générale sont issus de la consultation du dictionnaire de la presse grecque élaboré par une équipe de chercheurs sous la coordination de Loukia Droulia et de Gioula Koutsopanagou6.
On voit ainsi se profiler une diversité intercontinentale et transocéanique. Comment l’historiciser ? Comment interpréter ces données ?
Périodisation de la dispersion géographique
Le graphique suivant propose une périodisation de cette dispersion géographique. Le découpage chronologique retenu permet d’évoquer certaines catégories-séries d’événements majeurs derrière ce phénomène.
Avant 1827
Nombre de titres par ville de publication
Entre 1827 et 1893
Nombre de titres par ville de publication
Entre 1893 et 1929
Nombre de titres par ville de publication
Éléments d’interprétation : contexte historique
Avant la création d’un État grec en 1827, adoptant le grec comme langue officielle, on retrouve des communautés hellénophones sur les territoires de l’Empire ottoman, les possessions de la maison des Habsbourg, l’Empire russe, ou sur des villes de l’Europe de l’Ouest, telles que Paris, Londres ou Amsterdam. Dans ces villes, il s’agit surtout de sujets ottomans grécophones, s’y installant pour des raisons d’ordre commercial ou intellectuel. Suite à la constitution d’un État grec, l’émigration de sujets/citoyens grécophones7, qui partent tout au long du XXe siècle, de Grèce, des Balkans ou d’Anatolie, pour aller s’établir dans d’autres régions du monde, correspond à deux vagues d’émigration principales.
En premier lieu, il y a eu une émigration massive à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, surtout vers les États-Unis d’Amérique8 et aussi vers d’autres pays, notamment l’Égypte. Cette émigration se manifesta dans un contexte de crise économique d’un côté, telle que celle déclenchée suite à l’effondrement du prix des raisins secs, dont l’exportation constituait un des piliers de l’économie grecque, ou le krach des années 1920, et d’instabilité politique d’un autre côté, liée aux turbulences de la question d’Orient9. Ensuite, après la Seconde Guerre mondiale et la guerre civile qui s’ensuit en Grèce entre 1944 et 1949, on assiste à une deuxième vague de départ de Grèce, d’une part d’émigrés économiques quittant un pays dévasté par une décennie de conflits meurtriers et se dirigeant vers le Canada, l’Australie, ou des pays de l’Europe de l’Ouest (République fédérale d’Allemagne, Suède, France) et d’autre part, d’exilés politiques se réfugiant dans des pays de l’Europe de l’Est, notamment parmi les vaincus de cette guerre, les partisans-sympathisants du parti communiste10.
La presse grécophone comme presse allophone à la BULAC
Vingt-et-un journaux présents dans les collections de la BULAC répondent à ces critères et recouvrent ce pan spatio-temporel. On retrouve à la fois des journaux de la première génération ainsi que d’autres publiés dans des villes avec d’importantes communautés grécophones au XIXe siècle et jusqu’à l’entre-deux-guerres, telles qu’Alexandrie, Constantinople ou Marioupole en Ukraine de nos jours. La presse grécophone comme presse allophone à la BULAC.
Επετηρίς του εν Κωνσταντινουπόλει ηπειρωτικού φιλεκπαιδευτικού συλλόγου / Annuaire de l’association épirote de Constantinople pour la promotion et l’éducation
Τηλέγραφος του Βοσπόρου και Βυζάντις / Le Télégraphe du Bosphore et Vyzantis
Constantinople
1861-1870
BIULO PER.145
Θεατής / Spectateur
Constantinople
1869-1870
BIULO PER.136
Ē Amaltheia, journal publié à Smyrne. BULAC, cote BIULO PER.152.
Aiguptos, journal publié à Alexandrie. BULAC, cote BIULO PER.141.
Telegraphos toy Vosporoy kai Byzantis, journal publié à Constantinople, BULAC, cote BIULO PER.145.
Parmi les représentants les plus anciens de cette presse, figure le journal Logios Ermis (Mercure savant), lancé à Vienne en janvier 1811, par la « Philomousos Etaireia », (Société des amis des lettres). Cette société fut constituée dans le but de soutenir la renaissance des lettres grecques grâce à la diffusion des idées des Lumières. Sa direction a été confiée au savant Anthimos Gazis. Nous voyons ainsi paraître à Vienne la première revue littéraire grecque, bi-mensuelle, composée de deux feuilles typographiques in-8°. Le premier numéro annonce en guise de manifeste :
Hermeshologios, 1er janvier 1812, n°1. Source ANNO/Österreichische Nationalbibliothek.
Cette revue littéraire paraît alors pour la première fois, à la demande et en partie aux frais de la Société littéraire et du Lycée grec, nouvellement fondée à Bucarest, dans le but de donner des nouvelles littéraires concernant surtout les sciences, les observations sur la langue grecque, les rapports des phrases et des dialectes des langues modernes et du grec ancien, et la détermination même de la langue grecque moderne et d’annoncer l’édition des nouveaux livres grecs et étrangers ayant un rapport avec la littérature grecque, les inventions modernes artistiques et scientifiques, l’archéologie, la géographie, l’histoire, la chronologie, la finance et tout ce qui peut instruire.
Le succès de Logios Ermis de Vienne a encouragé les grécophones résidant à Paris et on voit paraître en 1818 Athina. L’année suivante parut un autre journal en grec, Melissa, tous les deux très éphémères. À cette époque, le nombre des grécophones à Paris était très restreint et par conséquent insuffisant pour faire vivre un journal. Presque un siècle plus tard, les déplacements de populations engendrées pendant la Première Guerre mondiale et au lendemain du traité de Lausanne (1923)11 donnent lieu à l’installation d’une communauté hellénophone à Paris et à la parution d’un nouveau journal en grec. Il s’agit du journal Agon, édité par Loukas Kastanakis, le frère de l’écrivain Thrassos Kastanakis qui immortalisa dans ses romans l’ambiance de la ville de Paris des années folles12.
Agon, BULAC, cote BIULO PER.105.
Agon, BULAC, cote BIULO PER.105.
Dans ce journal, il y avait environ une trentaine de publicités en moyenne dans chaque numéro dans les années 1920. Dans ce kaléidoscope publicitaire, un licencié en droit de la Faculté de Paris proposait aux Grecs de la capitale ses services pour les mettre au courant de la législation sur les assurances sociales, la compagnie Demetre avenue du Maine s’apprêtait à chausser ses clients grécophones, alors que du côté de la Place Blanche, Sophie se vantait d’être la seule chapelière capable de fournir les élites grecques ou internationales avec les derniers modèles parisiens et que le restaurant « Ai Athinai », s’adressant à tous les gourmets (καλοφαγάδες) du quartier latin, annonçait l’arrivée d’un chef de Constantinople !
Agon. BULAC, cote BIULO PER.105.
Agon. BULAC, cote BIULO PER.105.
Ces documents en dehors de leur aspect anecdotique, constituent des sources passionnantes et intéressantes pour l’écriture de cette presse allophone, nous permettant également d’étudier plusieurs aspects de la vie sociale, économique et culturelle d’une communauté linguistique, et de la place qu’elle occupe ou de la manière dont des liens sont tissés entre ses membres et le reste de leurs concitoyens, dans une société où sa langue n’est pas reconnue comme officielle. Dans une telle perspective, l’étude de la presse allophone, participe aussi bien à compléter la connaissance de la presse publiée sur les territoires délimitant les États actuels, qu’à nous informer sur la construction par strates successives de palimpsestes mémoriels à l’origine de nos sociétés présentes, composées d’héritages géo-historiques et sociolinguistiques multiples.
Agon. BULAC, cote BIULO PER.105.
Les deux frères se sont installés à Vienne en 1776. Au départ, Poulios intégra le service du fisc alors que Georges s’impliqua dans des activités commerciales. À partir de 1790, ils s’investirent dans l’imprimerie et l’édition de livres. Après avoir travaillé pendant deux ans à côté de Joseph Baumeister, précepteur des jeunes princes diadoques de la Maison des Habsbourg, les deux frères ont assumé la gestion de son imprimerie.
Il s’agit du journal intitulé Serbskija Novini publié entre le 14 mars 1791 et le 31 décembre 1792. Ce journal était imprimé dans l’imprimerie de Joseph Edlen von Kurzbek, avec comme rédacteurs et éditeurs les deux frères Markidis-Pouliou. Paru chaque mardi et vendredi, il s’apparentait à plusieurs égards au journal édité en grec pendant cette même période. Suite à la publication du journal Slaveno – Serbskija Vjedomosti, par Stefan Novacovic qui obtint l’apanage d’édition d’un journal en serbe, il cessa sa parution.
En 1791, le journal publie en plusieurs numéros la Déclaration universelle des droits de l’Homme ainsi que le texte de la Constitution révolutionnaire.
« τοις φιλέλλησι μίαν γαζέτταν (τζάιτουγγ) εις την απλή ρωμαίκην γλώσσαν, η οποία δεν είναι άλλο τι, παρά μια καθημερινή ιστορική διήγησις των πραγμάτων, όχι μόνον των παρόντων, αλλά και απερασμένων και μελλόντων, ήτις και Εφημερίς θέλει ονομασθή, της οποίας η διήγησις θέλει είναι μια εκλογή αξιοδιηγήτων πραγμάτων, όχι μόνον πολεμικών αλλά και πολιτικών και μάλιστα οικονομικών »
Il s’agit d’un travail collectif, qui répertorie en quatre volumes la majorité des journaux publiés en Grèce (dans plusieurs langues) ou en grec à travers le monde, depuis le XVIIIe siècle jusqu’à la fin du XXe siècle. Voir Loukia Droulia, Gioula Koutsopanagou (dir.), Εγκυκλοπαίδεια του Ελληνικού Τύπου, 1784-1974 (Encyclopédie de la Presse grecque, 1784-1974), Athènes, Centre national de recherches, 2008.
L’émigration aux États-Unis d’Amérique, donne lieu à la publication d’Atlantis, le premier et le plus important des journaux en grec édités en Amérique. Il fit sa première apparition à New-York en 1894 comme hebdomadaire pour devenir dix ans plus tard quotidien de plusieurs pages. C’est pour ce journal qu’ont été fabriquées les premières machines linotypes grecques, introduites par la suite en Grèce pour les journaux d’Athènes.
On voit ce scénario se répéter suite à l’avènement de la dictature des colonels entre 1967 et 1974.
Au bord du lac de Lausanne, dans le château d’Ouchy, fut scellé un jour de janvier 1923, le destin de quasi deux millions de personnes. À cette occasion, les délégations grecque et turque signèrent une convention imposant un échange d’individus entre leurs pays respectifs. Cette convention établie dans le cadre du traité de paix de Lausanne, ratifié en juillet de la même année, mettait fin à une guerre qui avait duré trois ans entre 1919 et 1922. Les critères arrêtés furent d’ordre confessionnel, conduisant des musulmans et des chrétiens orthodoxes, d’un côté et de l’autre de la Mer Egée, à abandonner immédiatement et définitivement leurs lieux d’habitation sur des territoires inclus dans les nouvelles frontières de l’État grec et dans l’espace de la République turque. Voir Bruce Clark, Twice a stranger: how mass expulsion forged modern Greece and Turkey, London, Granta Books, 2006 (cote BULAC : 23TR 306.7 CLA).
Sur le séjour parisien de Thrassos Kastanakis, voir : Nicolas Pitsos, « Un Stambouliote dans le Paris des années folles : cosmopolitisme et érotisme dans l’œuvre de Thrassos Kastanakis » dans Le Carreau de la BULAC, 7 septembre 2018, https://bulac.hypotheses.org/7686
La bibliographie détaillée des livres conseillés par le programme de l’agrégation d’arabe 2019, disponibles à la BULAC, est proposée parmi les bibliographies de cours mises en avant sur le catalogue de la bibliothèque – on y retrouve les bibliographies des autres agrégations, internes ou externes, de langues vivantes non occidentales ouvertes au concours cette année (chinois, hébreu,japonais, russe).
La bibliographie de l’agrégation d’arabe 2019 comporte plusieurs ouvrages disponibles en ligne et de nombreux articles de revues, disponibles au format papier ou électronique. Afin de faciliter la recherche des documents, les articles de périodiques et les ressources en ligne utiles pour la préparation de l’agrégation d’arabe sont détaillés ici.
Linguistique : la dérivation verbale et verbo-nominale en arabe
AUDEBERT C., « Le cas du participe actif dans le parler du Caire,Vers une grammaire à usage didactique », in P,Larcher (éd.), Langue et Littératures arabes, n°spécial du Bulletin d’études orientales, tome XLVI, 1994, p. 55-78. [Accessible en ligne avec authentification ou consultable en version imprimée]
GRAND HENRI J., « Le verbe réfléchi-passif à t préfixé de la forme simple dans les dialects arabes », in Museon, t. 87, p. 441-447. [Consultable en version imprimée]
LARCHER P., « Dérivation lexicale et relation au passif en arabe classique », Journal asiatique, 284/2, 1996, p. 265-290. [Consultable en version imprimée]
POMERANZ Maurice A., “The Play of Genre : A Maqāma of ‘‘Ease after Hardship’’ from the Eigth/Fourteenth Century and its Literary Context”, in The Heritage of Arabo-Islamic Learning, Brill, 2015. [Accessible en ligne avec authentification]
Littérature moderne et contemporaine : la figure du Mağnūn dans la littérature arabe moderne
Ouvrages généraux
IBN QUTAYBA , Kitab al ši’r wa-l-Šu’ara’,éd. Critique A.M.Vakir, 2e éd., Le Caire , 1968 , 2 vol. Réimp : Beyrouth, Dar al Turaţ al-’arabi. L’édition de 1932 disponible en ligne en accès-libre.
Sur la figure du Mağnūn
GANIMI HILAL Muhammad, « Layla wa-l-Magnun, Fi l-adab al-arabi wa-l-fa risi,Dirasat naqd wa muqarana fi l-hubb al-’udri wa-l-hubb al-sufi », Min masa’il al-adab al-muqaran, Beyrouth, 1980. [Disponible en ligne en accès libre]
PERES Henri, « Ahmad Šawqi , années de jeunesse et de formation intellectuelle en Égypte et en France », Annales de l’Institut d’études orientales, 1936, vol. 2, p. 313-340. [Consultable en version imprimée]
Sur Qāsim Haddād
BAYYŪMĪ Nuhā, « Aḫbār Mağnūn Laylā – Qirā’a fī l-usṭūra – Qirā’a fī l-ḥubb wa-iqāmat al-ḏāt », Fuṣūl, 4, 1996. [Disponible en ligne en accès libre]
BENKHEIRA Mohammed Hocine, « Onomastique et religion, à propos d’une réforme du nom propre au cours des premiers siècles de l’Islam », in: Christian Müller, Muriel Roiland-Rouabah (dir.), Les non-dits du nom. Onomastique et documents en terres d’Islam, Damas-Beyrouth, Presses de l’IFPO, 2013. [Disponible en ligne en accès-libre, au téléchargement sur authentification ]
Questions méthodologique pour l’étude des dictionnaires biographiques
Études historiques réalisées à partir de dictionnaires biographiques
AHOLA Judith, « The Community of Scholars: an analysis of the biographical data from the Taʾrīkh Baghdād », PhD dissertation, University of St. Andrews, 2004 [Thèse inédite disponible en ligne en accès ouvert]
Culture et civilisation moderne et contemporaine : de l’émirat au royaume saoudien, les transformations du pouvoir politique dans la péninsule arabique (1891-1953)
Textes d’explication
مقبل بن عبد الله بن عبد العزيز بن مقبل الذكير، مطالع السعود في تاريخ نجد وآل سعود [Accessible en ligne]
حافظ وهبة، جزيرة العرب في القرن العشرين، القاهرة، مطبعة لجنة التأليف والترجمة والنشر، الطبعة األولى1935 : ص ٢٤٣(آل سعود( ـ ٣٤٧ [Accessible en ligne]
Image à la une : Rencontre du président Roosevelt et du roi Ibn Saoud, en Égypte en février 1945, photo prise à bord du Quincy, un bâtiment de l’US Navy. Domaine public. Source: U.S. Army Signal Corps — U.S. Navy photo USA-C-545.
M. Gobalakichenane est le président de l’association Cercle Culturel des Pondichériens, lieu d’échange entre les Pondichériens d’Île-de-France et de transmission de l’histoire et de la culture de Pondichéry. Il nous livre ici le fruit de ses recherches autour du tapuscrit de Jean Lepetit – document inédit du fonds tamoul de la BULAC -, et nous emmène à la découverte du Journal d’Ananda Ranga Pillai, courtier tamoul de la Compagnie des Indes dans le second tiers du XVIIIe siècle.
En 2001, Sundari Gobalakichenane, chargée du fonds tamoul à la Bibliothèque interuniversitaire des langues orientales (BIULO), exhume parmi des documents à cataloguer un tapuscrit signé Jean Lepetit, intitulé Introduction à la lecture du Journal d’Ananda Ranga Pillai. Ce tapuscrit sonne comme une invitation à une immersion dans le passé de l’Inde coloniale du XVIIIe siècle, vécu et raconté par un contemporain tamoul…
Ananda Ranga Pillai, figure de passeur au temps de la colonisation française en Inde
Carte de Madras (BIULO GEN.I.1141).
Né à Madras et établi à Pondichéry, Ananda Ranga Pillai (1709-1761) exerça la fonction de courtier de la Compagnie française des Indes auprès des gouverneurs de Pondichéry. Il eut notamment le rôle d’homme de confiance, de secrétaire et d’agent commercial (dubash) du célèbre gouverneur Dupleix.
Héritier d’une famille de marchands fortunés, Ananda Ranga Pillai fut tout à la fois commerçant, financier, diplomate et interprète. Sa pratique de quatre langues (tamoul, français, telugu et persan) et sa connaissance des usages en vigueur au sein des cours européennes firent de lui un intermédiaire majeur entre les Français et les sociétés indiennes au XVIIIe siècle.
Les destins du Journal d’Ananda Ranga Pillai (1736-1761)
Ananda Ranga Pillai est connu pour le journal personnel qu’il a rédigé en tamoul durant 25 années, de septembre 1736 à septembre 17601. Véritable chronique de la vie à Pondichéry au milieu du XVIIIe siècle, ce journal de 5 000 pages couvre « la période qui vit la montée, l’apogée et la ruine de la puissance Française en Inde2 ». Ce type d’écrit, à l’époque sans précédent en Inde du Sud, figure parmi les premières œuvres tamoules en prose conservées3.
Au cours du XIXe siècle, le Journal d’Ananda Ranga Pillai fut partiellement porté à la connaissance du public français. La première mention française du Journal d’Ananda Ranga Pillai apparut en 1849 sous la plume d’A. Gallois-Montbrun, conseiller au Conseil Supérieur de Pondichéry, qui en fit une copie et rédigea une notice sur l’œuvre et la vie du diariste. Un peu plus tard, François Laude, procureur général à Pondichéry, s’appuya sur la traduction d’un court extrait du Journal, relatant le siège de Pondichéry en 1748 dans une courte notice à la gloire du gouverneur Dupleix4. À la fin du XIXe siècle, Julien Vinson, professeur de tamoul et d’hindoustani à l’École des langues orientales vivantes, traduisit et publia quelques extraits du Journal en français5.
D’autres publications liées à Ananda Ranga Pillai sont parues au XXe siècle. Ainsi, la Société de l’histoire de l’Inde française édita en 1930 un livre de compte d’Ananda Ranga Pillai6 et le professeur tamoul C. S. Srinivasachari publia en 1940 une biographie du diariste7.
Mais c’est véritablement la publication, entre 1904 et 1928, de la traduction anglaise du Journal en douze volumes8, qui permit au monde entier de comprendre l’importance de cette œuvre pour l’époque de Dupleix, correspondant à la période critique de passage de l’occupation française à l’occupation britannique du Dekkan indien. Ces douze volumes sont disponibles à la BULAC ; ils peuvent également être consultés en ligne sur Internet Archive9.
Introduction à la lecture du Journal d’Ananda Ranga Pillai : le tapuscrit de Jean Lepetit
Carte de Pondichéry (BIULO GEN.I.1141).
Au milieu du XXe siècle, le Journal d’Ananda Ranga Pillai n’a été traduit que partiellement en français ; aucune étude approfondie ne semble par ailleurs avoir été entreprise par les orientalistes et les linguistes français, depuis le XVIIIe siècle jusqu’au transfert de jure des Comptoirs français en août 1962.
C’est fort de ce constat qu’un certain Jean Lepetit, érudit à l’identité énigmatique, se lance dans une entreprise visant à montrer aux intéressés francophones toute l’importance historique et sociale de ce Journal. Son Introduction à la lecture du Journal d’Ananda Ranga Pillai, dont le tapuscrit est entré dans les collections de la BULAC par voie de don (inventorié en octobre 1997), constitue un apport précieux pour appréhender l’œuvre du courtier tamoul.
Dans son propos introductif, Jean Lepetit explique la démarche qui a été la sienne :
Après avoir lu ou parcouru tant de livres français, il nous a semblé intéressant de nous pencher longuement sur les 5 000 pages du Journal d’un Indien qui avait lié son destin à celui des Français installés à Pondichéry : ANANDA RANGA PILLAI. (p.2)
Ce mémoire voudrait être un « Essai de Psychologie historique sur les rapports entre les Indiens des environs de Pondichéry et les Français de la Compagnie des Indes entre 1736 et 1761, d’après le Journal d’Ananda Ranga Pillai ». (p.5)
L’auteur précise son angle d’approche :
La seule originalité qui pourrait être revendiquée, c’est d’avoir essayé de se placer d’un point de vue Tamoul. [Car] Il semble que les Historiens de l’Inde Française ont surtout voulu raconter une Histoire qui fut une page d’épopée française et une tragédie où les Français évoluaient au premier plan. (p.8)
Chapitre IV – Caractère d’Ananda Ranga Pillai [p.60 à 98]
1) Un homme ambitieux
2) Un Hindou orthodoxe
3) Un marchand et un Courtier
4) Un esprit curieux de tout
5) Un juge sévère de ses contemporains
6) Fût-il un homme intègre ?
7) Son adhésion à la politique française
Chapitre V – Un Journal en Tamoul au XVIIIe siècle [p.98 à 112]
1) Un journal en Tamoul au XVIIIe siècle
2) Une Chronique de Pondichéry
3) Les Intentions du Chroniqueur
Note complémentaire [p.112 A à 112 C]
Troisième cahier
Valeur historique du journal (BIULO GEN.I.1141).
Conclusion (BIULO GEN.I.1141).
Chapitre VI – Valeur historique du journal [p.113-127]
1) Ce n’est pas une Histoire
2) Véracité de cette Chronique
3) Vérité humaine du Journal
Conclusion
Annexes [p.128 à 157]
Famille d’Ananda Ranga Pillai (BIULO GEN.I.1141)
Unités de temps dans le journal (BIULO GEN.I.1141).
La lecture du tapuscrit de Jean Lepetit atteste que l’auteur a lu en entier la version anglaise en douze volumes. Elle porte le témoignage d’un véritable effort de documentation – comme en témoignent les annexes, dont on trouve un aperçu ci-dessus – et rend compte d’un travail approfondi sur les sources à disposition de l’érudit.
Jean Lepetit, mystérieux érudit
L’identité de Jean Lepetit reste quelque peu mystérieuse. Dans son introduction, l’auteur se présente comme un « Français qui vit en Inde » (p.1), seul indice livré au lecteur. Les efforts entrepris il y a plusieurs années pour retrouver les traces de l’auteur10 – dont il existe plusieurs homonymes – ont toutefois permis de rassembler quelques renseignements.
Ayant travaillé à l’Alliance française de Madras au début des années 1960, Jean Lepetit aurait eu alors l’occasion de lire entièrement l’édition anglaise et de rédiger cette étude analytique en français durant les années 1965-66, probablement dans le but de soutenir une thèse en France. Nous ignorons s’il a pu mener à bien cette tâche, mais nous avons pu apprendre qu’après son retour en France, il a été enseignant quelques années au lycée de Madrid, avant d’aller enseigner au Maroc.
Si l’on retrouvait l’auteur ou ses héritiers, on pourrait alors envisager la publication du tapuscrit de Jean Lepetit, ceci dans le but de mieux faire connaître au monde scientifique francophone le Journal d’Ananda Ranga Pillai et la période française de Dupleix en Inde péninsulaire.
Récemment, une haute autorité française répondait à un vieil historien : « Pourquoi traduire le Journal d’Ananda en Français ? Le texte anglais nous suffit bien ! On voudrait espérer qu’un jour ce vieux texte puisse être accessible à des lecteurs français puisqu’ils y découvriraient vingt cinq ans de vie coloniale française vue par un Indien du XVIIIe siècle. »
Julie Marquet, « Rangapillai Ananda », dans François Pouillon (dir.), Dictionnaire des orientalistes de langue française, EHESS, 2001-2012 [en ligne, consulté le 18/11/2018].
Sanjay Subrahmanyam, « Between a Rock and a Hard Place: Some Afterthoughts », dans Simon Schaffer, Lissa Roberts, Kapil Raj, James Delbourgo (dir.), The Brokered World: Go-Betweens and Global Intelligence, 1770–1820, Sagamore Beach, Uppsala Studies in History of Science, n°35, 2009 [en ligne, consulté le 18/11/2018].
C’est son neveu Appavou (nom intime de Tirouvengada Pillai ou mieux Tirouvengada Pillai III) qui a continué à rédiger ce Journal jusqu’en janvier 1761. Ananda Ranga Pillai tombé malade, meurt le 12 janvier 1761, soit quelques jours avant la capitulation de Pondichéry.
Sir J. Frederick Price, « General Introduction », dans The private diary of Ananda Ranga Pillai : dubash to Joseph François Dupleix, a record of matters political, historical, social, and personal, from 1736 to 1761, vol.1, 1904, p.xii.
Les intentions du chroniqueur sont étudiées par Jean Lepetit dans le chapitre 5 de son Introduction au Journal d’Ananda Ranga Pillai. L’auteur relève le souhait d’Ananda Ranga Pillai de conserver dans sa famille le souvenir des événements de son temps ; il repère une volonté de constituer des archives de la Compagnie des Indes ; enfin il distingue une fonction de défoulement vis-à-vis de certaines personnalités de son époque.
A. Gallois-Montbrun, François Laude, Extraits des mémoires inédits de Rangappoullé, Divan de la Compagnie des Indes, 1870.
L’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) a mis en ligne depuis l’été 2018 sur MédiHAL des images archéologiques de la Syrie issues de ses fonds documentaires. Ce sont plus de 8500 images scientifiques qui sont aujourd’hui proposées en libre accès dans la collection de l’Ifpo.
La réalisation de ce projet de mise en ligne et de valorisation a été rendu possible grâce au soutien de l’UNESCO et de l’Union européenne dans le cadre du programme de sauvegarde d’urgence du patrimoine syrien.
Ces milliers d’images permettent de retrouver de nombreux sites tels que Palmyre (تدمر), Me’ez (ماعز), Qalb lozé (قلب لوزة), Déhès (داحس), Qasr el-Heir el-Gharbi (قصر الحير الغربي),…
Un travail de redocumentation collaborative de ces photographies a déjà permis d’identifier et de regrouper des éléments remarquables utiles pour des programme de recherche tel que le programme des Inscriptions grecques et latines de la Syrie.
Ces images sont diffusées en libre accès et sous licence ouverte Etalab de façon à en permettre les réutilisations et de leur donner la plus grande visibilité possible auprès des différents publics.
Toutes ces images sont indexées dans Isidore, moteur de recherche spécialisé en sciences humaines et sociales.
Cécile Folschweiller est enseignant-chercheur en langue, littérature et civilisation roumaines à l’Inalco.
Portrait d’Émile Picot par Karel Svoboda.
À l’occasion de la Saison France-Roumanie 2019, l’Inalco s’associe à la BULAC pour rendre hommage à Émile Picot, décédé il y a tout juste cent ans, en remettant en lumière l’œuvre et l’activité de ce savant qui fonda les études roumaines en France en ouvrant le premier cours de roumain à Paris en 1875 et qui comptait parmi les plus grands spécialistes de son époque en matière de bibliophilie et de bibliographie. C’est donc à double titre qu’il mérite d’être l’objet d’attention de la bibliothèque héritière des fonds des Langues O’. Bien que la majeure partie de la riche bibliothèque d’Émile Picot ait été léguée à la BnF1, l’ancien professeur de l’École des Langues Orientales avait donné à la bibliothèque de l’établissement des exemplaires de ses travaux concernant les Balkans et particulièrement les pays roumains, parmi lesquels quelques volumes remarquables.
C’est une conjonction de circonstances historiques et personnelles qui a amené ce jeune juriste, né à Paris le 23 septembre 1844 dans une famille d’origine normande, à l’étude de la langue, des textes et de la culture des peuples de cette région d’Europe orientale. Alors qu’il termine sa licence de droit à Paris, en 1866, à l’autre bout de l’Europe le prince A. I. Cuza qui régnait sur les Principautés moldo-valaques unifiées sous son sceptre en 1859 est renversé. Les Roumains, qui se trouvent toujours sous suzeraineté ottomane, songent à un prince issu d’une famille régnante européenne. Leur choix se porte finalement sur Charles de Hohenzollern, solution qui a l’avantage de convenir aussi bien aux Prussiens qu’aux Français (le jeune prince est à moitié français par ses aïeux), qui ont des intérêts dans la région. Cependant elle n’est pas agréée par la conférence de Paris regroupant les grandes Puissances, et c’est en secret et de manière rocambolesque que l’affaire est menée à bien, côté français, par Hortense Cornu, très proche conseillère de Napoléon III. C’est encore elle qui propose ensuite Émile Picot au jeune prince pour lui servir de secrétaire français, par l’intermédiaire du géographe et archéologue Ernest Desjardins, beau-frère d’Émile, qui fréquente son cercle de savants. La correspondance envoyée à Paris par le jeune secrétaire2 constitue un véritable journal de mission : il y raconte son périple à travers l’Europe et sur le Danube, sa découverte de la capitale roumaine, ses premiers contacts avec le prince Charles et l’élite bucarestoise, ses travaux quotidiens au sein du palais, sa frustration de ne pouvoir apprendre le roumain comme il le souhaiterait dans un environnement où tous parlent français ou allemand, ses excursions et la vie culturelle de Bucarest, mais aussi les conflits politiques dans lesquels il est vite plongé.
Lettre envoyée par Émile Picot du Palais de Bucarest le 17/29 décembre 1866, reproduite avec l’aimable autorisation de Marine Picot et Catherine Picot-Bonneau.
La mission de Picot auprès du prince, dans le contexte d’un début de règne chaotique, se révèle en effet délicate : le jeune Français se retrouve pris dans la lutte d’influence franco-prussienne qui fait rage à Bucarest. Sa situation finit par devenir intenable et il rentre à Paris en décembre 1867 après 13 mois passés à Bucarest3. Il a néanmoins mis son séjour à profit pour apprendre la langue et s’informer sur une culture qui l’intéresse à plusieurs titres. Ses études classiques, des voyages en Italie pour seconder son beau-frère dans des travaux d’épigraphie, une passion pour la bibliophilie et les vieux textes, un intérêt général pour les questions d’histoire et de philologie, tout cela trouve à s’épanouir dans ce pays pétri de latinité qui travaille à la redécouverte de son histoire et de sa culture dans un contexte d’affirmation nationale. Une seconde mission diplomatique, officielle cette fois, comme vice-consul à Temesvár (actuelle Timişoara, alors dans l’empire austro-hongrois) entre 1869 et 1872 lui permet d’approfondir sa connaissance du roumain, de découvrir les dialectes du Banat et les autres populations de cette région multiculturelle, Serbes et Hongrois en particulier, et l’on sent bien que le goût du savoir et de la recherche l’emporte déjà sur ses velléités de carrière diplomatique4.
En 1875, c’est sans doute Louis Léger, qui vient d’y ouvrir un cours de russe, qui introduit Picot à l’École spéciale des langues orientales vivantes. Dans cette institution déjà vénérable, où l’on apprenait alors le turc, l’arabe, le persan, l’arménien, l’hindoustani, le malais, le chinois et le grec moderne, le roumain est la deuxième langue européenne à être enseignée de façon continue et cet enseignement est définitivement pérennisé par la création d’une chaire magistrale en 1888. À partir de l’année 1893-94, qui voit une forte augmentation des effectifs, un jeune Roumain qui avait suivi son cours comme auditeur vient seconder Picot comme répétiteur de langue. Les registres de l’École montrent effectivement une moyenne de 40 à 50 inscrits par an autour des années 19005, que l’on regarde avec envie aujourd’hui ! Parmi ces élèves, Mario Roques, qui valide son diplôme en 1900 et succédera à Picot en 1909. Il est à noter que ce public étudiant était déjà très diversifié, constitué de Roumains, de Français et de nombreux étrangers dont quelques uns venaient d’Outre-Atlantique.
Collections de la BULAC, cote BIULO MEL.8.69 (12).
Dans le très vaste corpus d’ouvrages et d’articles publiés par Émile Picot, les écrits consacrés à la Roumanie restent nettement minoritaires. Le public cible était restreint et leur auteur menait de front bien d’autres travaux, plus immédiatement reconnus dans la communauté savante française, notamment ceux consacrés au théâtre médiéval, domaine dans lequel il est considéré comme une autorité. Par ailleurs, aux dires de ses amis savants, c’est en matière de bibliographie qu’il a atteint des sommets d’érudition et de perfection dans la rédaction de monumentaux catalogues de bibliothèques6. Dans le domaine roumain7 et plus généralement est-européen, ses premiers articles, au retour de sa mission bucarestoise, portent sur l’orthographe roumaine mais aussi sur une question politique alors brûlante à laquelle il s’est directement trouvé confronté et qu’il éclaire de ses compétences juridiques : La question des Israélites roumains au point de vue du droit (1868).
Collections de la BULAC, cote BIULO GH.II.23.
De son séjour diplomatique à Temesvár il ramène des Documents pour servir à l’étude des dialectes roumains (1873) ainsi qu’une vaste documentation dont il tire un gros volume, Les Serbes de Hongrie, leur histoire, leurs privilèges, leur église, leur état politique et social (Prague, 1873), publié anonymement étant donné la question politique brûlante des nationalités dans l’empire austro-hongrois. Le parti pris anti-hongrois y est clair, mais du moins se combine-t-il avec un scrupule scientifique remarquable pour l’époque (bibliographie en plusieurs langues, note sur la transcription des noms étrangers…). L’ouvrage eut, semble-t-il, un certain retentissement à un moment où la documentation sérieuse sur ces régions était encore mince en français. Après la situation des Serbes de Hongrie, ce sont les Chants populaires des Roumains de Serbie que Picot met en lumière dans un travail cette fois de nature philologique offrant un corpus de textes bilingues.
Collections de la BULAC, cote BIULO AL.II.243.
Collections de la BULAC, cote BIULO AL.II.243.
Plusieurs articles spécialisés s’insèrent dans les travaux de la communauté savante des « orientalistes » et les publications de l’École des langues orientales, où Picot applique aux confins orientaux de l’Europe ses recherches sur deux de ses domaines de prédilection : la bibliographie et l’histoire de la typographie. Sont ainsi publiés une « Notice biographique et bibliographique sur Nicolas Spatar Milescu » (1883), une « Notice biographique et bibliographique sur l’imprimeur Antim d’Ivir, métropolitain de Valachie » (1886), et le beau fascicule Coup d’œil sur l’histoire de la typographie dans les pays roumains au XVIesiècle illustré de fac-similés de textes anciens, tiré-à-part extrait de l’ouvrage Centenaire de l’École des Langues orientales vivantes 1795-1895.
Collections de la BULAC, cote BIULO MEL.4.198(15).
Collections de la BULAC, cote BIULO MEL.4.198(15).
En 1881, le cours de langue roumaine de l’École s’était complété d’un enseignement « d’histoire roumaine », également assuré par Émile Picot, qui y donne libre cours à sa passion pour l’époque médiévale. Ce cours devait servir également de travail préparatoire à un gros ouvrage sur le sujet, réalisé en collaboration avec Georges Bengesco. Seul le premier chapitre, sous une forme condensée, voit le jour sous la forme d’un petit livre sur Alexandre le Bon (prince moldave du début du XVe siècle), publié en 1882. On trouve cependant la trame de l’ouvrage en grande partie rédigée dans les notes manuscrites conservées au département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale dans trois gros volumes intitulés Histoire des Roumains8. Les dates insérées régulièrement dans le tome II (« leçon du 10 février 1883, leçon du 17 février 1883… ») montrent qu’il s’agissait bien de ses cours et l’on constate ainsi que les élèves de l’époque suivaient semaine après semaine la chronologie détaillée des règnes des princes médiévaux de Moldavie.
Collections de la BULAC, cote BIULO HD.VIII.
Cette passion pour l’histoire médiévale se combine avec celle de la bibliophilie pour susciter la traduction française et la publication d’un texte considéré comme fondamental dans le corpus restreint des vieux textes roumains : la Chronique de Moldavie de Grigore Ureche, texte que le professeur utilisait comme support de cours (il date des années 1640 !).
Le volume9 qui appartient à la série des publications de l’École des langues orientales, est un chef d’œuvre d’édition pour l’époque : bilingue, le texte est imprimé en caractères cyrilliques pour la partie roumaine, par souci de fidélité au texte original, quitte à froisser les Roumains10 qui ont officialisé récemment l’alphabet latin, et il est enrichi d’un appareil de notes considérable, de tableaux généalogiques, d’un glossaire et d’une bibliographie, témoignant de l’érudition et du scrupule scientifique propres à Picot.
L’ouvrage est une mine, « une manne céleste » pour les historiens roumains, écrit Nicolae Iorga dans sa nécrologie, mesurant avec regrets ce que Picot aurait fourni à la culture roumaine s’il ne s’était pas intéressé aussi à l’Italie ou aux bibliothèques françaises11, et en Roumanie l’ouvrage servait de support et de modèle aux travaux pratiques des étudiants en histoire12.
Collections de la BULAC, cote BIULO HD.VIII.17.
Collections de la BULAC, cote BIULO HD.VIII.17.
Collections de la BULAC, cote BIULO HD.VIII.17.
140 ans se sont écoulés depuis la publication de ce bel ouvrage, exemplaire des productions de l’École des langues orientales où la passion de savants et d’étudiants trouvait à s’exercer librement dans une institution à la solide tradition linguistique, philologique et historique. Cette institution a changé, comme ont changé la recherche scientifique, les méthodes pédagogiques et le public étudiant, comme ont changé aussi la France et la Roumanie, mais la curiosité réciproque et l’intérêt intellectuel sont les mêmes, et les études roumaines13 continuent de se développer avec dynamisme à l’Inalco.
Correspondance partiellement publiée par N. Georgescu-Tistu : « Correspondance d’un secrétaire princier en Roumanie », Mélanges de l’École roumaine en France, Paris : Gamber, 1926, 1re partie, pp. 101-215. Une édition critique de cette correspondance, enrichie de nombreuses lettres inédites, est en préparation.
Sur tout cet épisode, voir Marcel Emerit, Madame Cornu et Napoléon III. D’après les lettres de l’Empereur et d’autres documents inédits, Paris : Les Presses modernes, 1937 ; Idem, « Une ingérence française dans la politique intérieure roumaine au début du règne de Charles Ier », Revue historique du Sud-Est européen, XVI, n° 1-3, 1939, p. 53-73.
Sur ces deux missions d’Émile Picot en pays roumains, plus de détails dans Cécile Folschweiller, « L’œuvre et l’activité d’Émile Picot entre France et Roumanie », dans Antoine Marès (dir.), La France et l’Europe médiane. Médiateurs et médiations, Institut d’études slaves, 2016, pp. 97-111.
Archives nationales, École nationale des langues orientales vivantes 1764-1944, cotes 62AJ/18, /19, /20, /21, /30.
Sur ces deux domaines de spécialité d’Émile Picot, voir notamment Marie Bouhaïk-Gironès, « Le Recueil général des sotties d’Émile Picot ou la construction d’un genre dramatique », dans Véronique Dominguez, Marie Bouhaïk-Gironès et Jelle Koopmans (dir.), Les pères du théâtre médiéval. Examen critique de la constitution d’un savoir académique, Presses universitaires de Rennes, 2010, pp. 121-137.
Le relevé des travaux à thématique roumaine de Picot a été fait par N. Georgescu-Tistu dans « Émile Picot et ses travaux relatifs aux Roumains », Mélanges de l’École roumaine en France, 1925, 1re partie, p. 201-258.
Les 5 volumes de manuscrits de Picot consacrés à la Roumanie sont conservés sous les cotes NAF 12658 à 12662.
Nicolae Iorga, « † Émile Picot », op. cit., p. 63.
Ibidem.
Selon le témoignage d’un professeur de l’Université de Iaşi en 1918. Cf. Monica Breazu, « La bibliothèque d’un Européen… », op. cit., p. 314.
Sur l’histoire (partielle) de l’enseignement du roumain à l’École des langues orientales, voir Cécile Folschweiller, « Les études roumaines à l’École des langues orientales, des débuts (1875) à l’entre-deux-guerres », Institut d’Etudes slaves, à paraître.
Lorsque, dans le grand roman chinois épique, comique et fantastique du XVIe siècle, La Pérégrination vers l’Ouest, son héros, le roi des singes Sun Wukong, se trouve en difficulté – ce qui n’est, en dépit de sa toute puissance, pas si rare – il arrache une touffe à son propre pelage et la souffle au loin en criant « transformation ! ». Aussitôt, chaque poil du Roi-beau-macaque se change en un petit singe à sa semblance qui vient l’aider dans son combat. C’est à travers un semblable tourbillon de petits singes que nous voudrions par ce billet mener le lecteur de la BULAC. Nous parlerons du roi des singes, de ses origines et de ses avatars, mais aussi d’autres singes éminents de la littérature chinoise et d’autres contrées d’Asie orientale. Cette initiation simiesque se veut aussi guide de lecture : si le lecteur suit les notes de ce petit texte, il y trouvera maintes idées de lecture parmi les ouvrages de la bibliothèque.
Exposition « Les Pérégrinations du Roi Singe », photo : Maxime Ruscio / BULAC.
A depiction of the Chinese monk Xuanzang on his journey to India, 14th century.
Aux sources lointaines de ce grand roman chinois, le parcours audacieux d’un homme, le moine Xuanzang de la dynastie des Tang. Il fut plus tard surnommé Sanzang, « Tripitaka » ou « Trois corbeilles », du nom des divisions internes du canon bouddhique, car Xuanzang devait attacher son nom à certaines des plus brillantes et incisives traductions chinoises des sūtras, les classiques sanscrits du bouddhisme. Xuanzang entreprit, entre 629 et 645, un long et dangereux périple qui le mena, à travers les oasis d’Asie centrale et la haute chaîne du Karakorum, jusqu’au monastère de Nâlandâ au Bihar, où il étudiera cinq ans avant de revenir en Chine, muni de nombreux textes sanscrits à la traduction desquels il se consacra jusqu’à sa mort vers 664 dans un monastère de la capitale. Il fut un esprit subtil, un voyageur intrépide, un grand traducteur… Il est bon de le rappeler, car la version romanesque de son odyssée fera de lui un bigot obtus et pusillanime ! Xuanzang nous laissa une relation de son voyage, le « Mémoire des contrées d’Occident des grands Tang », Da Tang Xiyu ji1, et ses disciples rédigèrent sa biographie2.
Photo : Maxime Ruscio / BULAC.
Le livre qui devait durablement fixer dans la mémoire collective le récit de l’odyssée du moine fut pourtant le roman-fleuve en cent chapitres La Pérégrination vers l’Ouest, publié en 1592 par un éditeur de Nankin3. C’est un peu par effraction que celui que l’on connaît aussi sous l’appellation de « roi des singes » fait alors irruption dans l’aventure de Xuanzang. La Pérégrination s’ouvre en effet par un prologue éblouissant de sept chapitres : ce n’est pas le moine, mais le singe, qui en est le héros. Né d’un œuf de pierre sur une montagne merveilleuse, il se taille un royaume troglodytique où il règne sur tout un peuple de macaques, puis, inquiet de la finitude de la vie humaine, va apprendre les arts de l’immortalité avant de divorcer radicalement d’avec la mort en descendant dans les palais souterrains biffer son nom des registres du roi des Enfers. Ivre de sa puissance, il défiera le Ciel et son roi, l’Empereur de Jade, qui mobilisera toutes ses armées sans parvenir à venir à bout de lui. Il faudra appeler le Bouddha en personne pour que le singe soit enfin dompté et soumis ; enfermé sous la main du Bouddha transformée en montagne, il ne sera autorisé à en sortir que contre son consentement à accompagner le moine pèlerin au cours de son périple. Flanqué d’autres disciples d’origine aussi monstrueuse que lui-même, un démon-cochon, Zhu Bajie, Shaseng, une divinité des sables du désert, et un dragon ayant accepté de se changer en cheval pour servir de monture au moine, il prend avec ce dernier le chemin du Paradis d’Occident pour en ramener les sūtras.
Photos : Maxime Ruscio / BULAC.
En chemin, quatre-vingt-une épreuves l’attendent, incarnées par des démons acharnés à s’emparer du moine pour le dévorer… ou le violer : car, en n’ayant jamais failli, au cours de toutes ses incarnations précédentes, à son vœu de chasteté, le Xuanzang du roman ne s’est pas seulement conformé aux règles monacales bouddhiques : il a aussi, en économisant son sperme, renforcé en lui un concentré de puissance vitale que les démons qui le guettent cherchent à s’assimiler ! Sans le redoutable guerrier aux traits effrayants qu’est le Roi des singes, maître des soixante-douze transformations, sachant manier avec une meurtrière efficacité le lourd gourdin arraché aux cavernes aquatiques du roi-dragon, Tripitaka n’aurait sans nul doute jamais pu mener à bien sa périlleuse mission. Mais par quel processus le grand voyageur, traducteur et théologien bouddhiste Xuanzang s’est-il vu accorder ce simiesque compagnon4 ?
Photo : Maxime Ruscio / BULAC.
Graines d’immortalités et « essences » démoniaques
Pour bien comprendre l’avènement du personnage du singe pèlerin, il faut nous arrêter un moment sur la place des animaux dans la littérature chinoise. Pour ce faire il conviendra de pratiquer tout d’abord quelques exercices d’alchimie taoïste5. Selon cette ancienne science, le corps humain peut ne pas être voué à la maladie, à la décrépitude et à la mort : qui saura, par des exercices appropriés (méditation, diététique, pratiques sexuelles, arts du souffle…), inverser au sein de son propre corps le redoutable cours du temps, peut échapper à la déperdition et nourrir en lui-même un embryon d’immortalité, qui, en se développant, se substituera au corps mortel. Les adeptes taoïstes paraissent-ils pourtant, au bout du compte, mourir ? On s’aperçoit souvent, en ouvrant quelque temps après leur cercueil, qu’ils n’ont fait que donner le change aux hommes et aux dieux : on ne trouvera dans la bière qu’un paquet de vêtement, ou un substitut, gourdin ou épée… Il n’est d’ailleurs pas rare que l’on rencontre le « défunt », bien des années plus tard, le teint frais et juvénile, au détour de quelque chemin de montagne.
Si les êtres humains ont ainsi tout avantage à pratiquer les arts de l’immortalité, ils ne leur sont aucunement réservés : certaines des espèces animales les plus remarquables par leur intelligence, renards, serpents ou singes, sont réputées, au terme de centaines d’années de pratiques alchimiques, acquérir un pouvoir de métamorphose qui leur permet de prendre l’apparence humaine. Bien des histoires de la littérature chinoise mettent en scène ces animaux venant ainsi séduire, sous une trompeuse apparence, un humain de l’autre sexe, dans le but de lui ravir ses essences séminales pour en renforcer leur propre corps immortel. Dans ces contes, qui sont la version chinoise de nos histoires de vampires, on voit souvent une séduisante renarde6 mener à la mort par épuisement sexuel son malheureux partenaire… Ces immortels par effraction et violence sont appelés jing 精, autrement dit « essences », car en convoitant le sperme (chez les hommes) ou le sang (chez les femmes) d’autrui, ils visent avant tout à raffiner en eux-mêmes les essences corporelles les plus subtiles, véritables graines d’immortalité : les démons animaux qui guettent le passage du moine sur le chemin d’Occident pour lui faire un mauvais parti obéissent exactement à cette logique7.
On a vu que, dès qu’elles maîtrisent l’art des métamorphoses, ces « essences » d’origine animale n’ont de cesse de se transformer en êtres humains. C’est ce qui explique par exemple qu’en Chine, à la différence du Japon, on ne rencontre que peu d’images d’esprits renards sous leur aspect vulpin : une renarde métamorphosée en jolie fille sera représentée picturalement, si jamais elle l’est, comme… une jolie fille ! Le singe, en revanche, a déjà figure humaine, ou presque : c’est ce qui distingue les esprits-singes des autres « essences ». En Chine comme dans bien d’autres cultures, la gent simiesque a d’ailleurs été vue comme un reflet déformé, une sorte de caricature vivante de l’humanité. Pourtant, une distinction fut établie au sein du peuple singe : si la société des macaques, laids, querelleurs et bruyants, n’évoquait que trop bien le désordre des mœurs humaines, celle des gibbons, grands singes discrets nichant au plus haut des arbres ou au plus profond des montagnes, était quant à elle traditionnellement considérée comme noble, raffinée, et policée. Leurs hululement mélancoliques, parvenant aux oreilles des lettrés, résonnaient comme en écho avec leur propre spleen : la poésie chinoise classique est pleine de leur triste voix8, et le grand lettré des Tang Liu Zongyuan 柳宗元 (773-819), dans un texte célèbre, dépeignait une véritable utopie gibbonesque opposée au désolant tableau de la vie des macaques, si proche de la société de son temps…
C’est aussi l’époque de Liu Zongyuan qui nous a légué un texte magnifique, le « Complément à la biographie du Gibbon blanc de Jiang Zong » : on y raconte comment un gibbon blanc, singe d’un très grand âge, passé maître dans les arts de l’épée et de la conversation comme dans ceux de l’amour, a, par des enlèvements audacieux, rassemblé dans sa lointaine retraite montagnarde de nombreuses captives humaines. La dernière enlevée, la femme d’un général chinois, est enceinte de ses œuvres lorsque la chance du gibbon tourne : le général découvrira son repaire et le tuera. Le gibbon, en mourant, annonce au général que sa femme donnera naissance à un être d’exception, le calligraphe Ouyang Xun… lequel, il faut le dire, fut célèbre en son temps pour sa laideur simiesque9. Plus subtilement, de telles histoires, basées sur le très ancien folklore des singes ravisseurs, inversent en quelque sorte la carrière de l’ « essence » vampire : échouant à préserver son immortalité, le gibbon blanc meurt tout en engendrant un rejeton humain. D’autres figures célèbres de l’histoire chinoise sont, de la même façon, dites être issues du viol de leur mère par un gibbon blanc qui périra presque aussitôt pour cette transgression : c’est ainsi le cas du célèbre stratège de la fin de l’antiquité Han Xin, dont la mère, dit-on, dut se livrer au gibbon qu’élevait sa famille pour avoir perdu contre lui une partie de go10.
Compagnon des saints bonzes et « singe de l’esprit »
L’histoire du singe joueur d’échec nous amène à une autre thématique liée au gibbon : son compagnonnage avec de saints moines. Une tradition liée au monastère Lingyin de Hangzhou veut que des gibbons aient longtemps habité la montagne en face du monastère. Au XIIe siècle, le moine Shouyi avait l’habitude de jouer au go avec un gibbon blanc sorti des rochers ; le gibbon répondait infailliblement aux appels de l’abbé, et se rendit célèbre en battant à plate couture le préfet de la ville, pourtant redoutable joueur11. Les gibbons du monastère Lingyin étaient réputés descendre de deux gibbons, un blanc et un noir – tout comme les pièces du jeu de go… Ils étaient venus d’Inde avec le bonze Huiyi, au IVe siècle, qui devait fonder le monastère : les animaux était issu d’une troupe de 84 000 singes habitant une montagne sacrée d’Inde, dont une partie, dit-on était venu se poser devant le monastère : la colline qui le jouxte s’appelle en effet « le Pic venu en volant », et la vallée qui le traverse est encore de nos jours appelée « Vallée indienne »12.
La tradition qui donne à de saints moines un disciple simiesque, est, on le voit, ancienne. Les singes divins qui se mettent au service des bonzes, s’ils sont toujours des bêtes sauvages, obéissent à leur mentor et le servent. Sans doute représentent-ils la translation narrative d’une vieille métaphore, celle du xinyuan, ou « singe (plus précisément : gibbon) de l’esprit ». L’agitation désordonnée et capricieuse du singe, ses mouvements aussi agiles qu’imprévisibles, ont été de longue date comparés aux vaines entreprises de l’esprit humain. L’adepte bouddhiste ou taoïste doit savoir capturer, enchaîner et dresser le « singe de l’esprit », pour pouvoir le concentrer dans la méditation et atteindre la sagesse. Plusieurs textes destinés aux adeptes sont ainsi conçus comme des guides de dressage d’un animal indocile13 : buffle, cheval ou singe. Cheval et singe se virent unis dans une célèbre expression en quatre sinogrammes, yima xinyuan « le cheval des pensées et le singe de l’esprit ».
Des terrifiants protecteurs tantriques aux dieux des eaux
L’école ésotérique – dite encore tantrique – du bouddhisme, si elle ne se constitua pas en tradition monastique, devait profondément influencer les traditions religieuses chinoises, bouddhiste mais aussi taoïste. Il n’est pas question de traiter en détail ici de cet important courant religieux14, et l’on se bornera à rappeler comment, en sanctifiant d’une certaine façon des passions humaines initialement condamnées tels que le désir ou la colère, elle donna naissance à une iconographie foisonnante et baroque, volontiers choquante : divinités enlacées à leurs parèdres du côté de l’amour, dieux protecteurs furieux, souvent monstrueux, pour le versant de la colère. Parmi ceux-ci, les divinités à tête animales ne font pas défaut. Le cochon Zhu Bajie, compagnon grotesque de Sun Wukong dans le roman du XVIIe siècle, est parfois identifié à l’un des sangliers qui tirent le char d’une des déesses ésotériques, Mārīcī. Certaines des divinités thériomorphes ont des traits simiesques : ainsi, sur une pagode bouddhique du XIIIe siècle de la ville de Quanzhou est représentée une divinité à tête de singe, revêtue d’une armure et tenant un sabre ; sensiblement vers la même époque, près de la passe de Juyongguan au nord de Pékin, c’est aussi un être à tête de singe qui fait partie des démons écrasés par la botte des quatre rois célestes montant la garde en ces lieux. Mais si l’origine de la figure de Wukong peut être recherchée du côté de l’Inde, pourquoi ne pas voir en lui un avatar lointain du compagnon de Rama, le singe Hanuman ? La possibilité fut évoquée par des chercheurs, et donna lieu à un débat acharné15, non sans arrières pensées nationalistes de la part de ceux qui se refusaient à voir dans ce héros si parfaitement chinois une dérivation d’un personnage des épopées sanscrites…
Les adversaires de l’origine indienne n’étaient pas sans arguments : en Chine du sud-est, notamment dans la province du Fujian, le culte de divinités singes est avéré avant même que le cycle du Voyage vers l’Ouest ne deviennent célèbre, et leur culte procède vraisemblablement de la nécessité d’apaiser de redoutables animaux démoniaques. Plus anciennement encore, la divinité des eaux Wuzhiqi n’a-t- elle pas, elle aussi, l’apparence d’un singe monstrueux ? On l’a également invoquée comme une des sources de la légende de Wukong16.
Où situer Sun Wukong dans cette nébuleuse simiesque ?
Notre personnage est sans doute né à la croisée de ces multiples chemins. Le début de son parcours, qui le montre apprendre auprès d’un maître taoïste les arts de l’immortalité, le rapproche des « essences » animales, ces « démoniaques quêteur de perfection », peu légitimes apprentis immortels : ils sont nombreux, dans le roman, à vouloir agresser le moine pour se repaître de sa chair ou s’arroger son sperme : Sun Wukong, qui les combat désormais, rappellera à plusieurs d’entre eux qu’il fut, à ses débuts, leur compagnon… Mais quel est son statut à l’intérieur de la gent simiesque, est-il noble ou ridicule, gibbon ou macaque ? Sun Wukong prend peu ou prou chez tous les singes de la tradition religieuse ou littéraire : par sa laideur, son agitation, son côté hâbleur et vantard, ses impulsions irrépressibles, il est macaque : son nom de famille n’est-il pas Sun, qui fait jeu de mot avec les appellations réservées à la part grotesque de la gent simiesque, wangsun ou wusun ? Un de ses noms n’est-il pas « Roi beau-macaque » ? Pourtant, lorsqu’il apparaît pour la première fois dans la légende, sa figure n’est en rien grotesque, et évoque discrètement celle de l’élégant gibbon blanc des légendes, maîtrisant les techniques d’immortalité : dans le premier récit fantastique, rédigé au XIIe siècle, du pèlerinage de Tripitaka17, c’est sous les traits d’un jeune lettré vêtu de blanc qu’il vient, de sa propre volonté, se mettre au service du moine tout en se présentant comme étant le « roi des quatre-vingt-quatre mille macaques à tête de bronze et front de fer de la grotte des Nuages Pourpres du mont des Fleurs et des Fruits », si vieux qu’il « a déjà vu le fleuve Jaune rouler neuf fois des eaux claires ». Rebaptisé par le moine « le singe novice » (hou xingzhe) il tiendra dans ce premier récit auprès du moine le rôle d’une sorte de guide divin.
En devenant le compagnon du moine, Sun Wukong suit le même chemin que les singes divins descendus de leur montagne pour servir leur maître humain. Comme ceux-ci, qui affrontent volontiers leur mentor humain au jeu de go, n’incarne-t-il pas dans une certaine mesure la figure du « singe de l’esprit », être intime et rebelle qui doit être affronté, dressé, dompté, mais est toujours capable, de façon fulgurante, d’échapper au contrôle de son maître ? Les rapports souvent orageux que Xuanzang et Wukong entretiennent dans le roman peuvent tout à fait être lus de cette façon, et l’identification de Sun Wukong au « singe de l’esprit » est explicitement inscrite au cœur même du roman de 1592. Dans les titres de chapitres, des poèmes de commentaires, Sun Wukong est constamment identifié au xin, le « cœur-esprit » (le cœur étant, pour la physiologie chinoise traditionnelle, aussi bien siège des passions que de l’intellect) que le moine a besoin de dresser pour progresser dans sa quête ; par le même raisonnement, les pèlerins, au nombre de cinq (car on compte le cheval-dragon comme un membre du groupe), ne sont pas des individus isolés, mais représentent à eux tous les cinq organes d’un corps (foie, cœur, rate, poumon, rein). Considérer les pèlerins dans leur globalité comme un quintette de personnage permettra aux commentateurs de l’œuvre de les faire entrer dans les réseaux de correspondances quinaires affectionnés par la pensée chinoise : ils sont dits ainsi correspondre aux cinq éléments ou « agents » (terre bois, eau feu métal), qui composent la matière, mais aussi aux cinq directions, couleurs, saveurs…
Pourtant, avant de s’engager dans le pèlerinage, Sun Wukong a montré, en défiant le ciel, un aspect de son caractère où docilité ou compromis n’ont certainement pas de place. Et ce n’est nullement par hasard qu’il revêt alors l’aspect typique d’une divinité tantrique, aux têtes et bras multiples. Ainsi, au chapitre sept de La Pérégrination vers l’Ouest, lorsqu’il tient victorieusement tête aux armées célestes :
Il s’ébroua, et se changea en être à trois têtes et six bras. Il fit tournoyer le gourdin Bonplaisir, qui se divisa en trois. Ses six bras brandissaient les trois gourdins (….) Aucun dieu du tonnerre n’osait plus l’approcher.
Sun Wukong, à ce moment, est à l’apogée de sa gloire et de sa révolte : il est invaincu, et semble invincible. Sa quête est celle, bien souvent associée au tantrisme, de la puissance royale suprême, celle de la monarchie céleste. Il est le Qitian dasheng 齊天大聖, « le grand saint égal du ciel » et est sur le point de mener à son terme le « grand grabuge au palais céleste » (da nao tiangong 大鬧天宮). Plus tard dans le roman, au chapitre 81, Sun Wukong reprendra d’ailleurs un moment la terrible pose qui sera aussitôt qualifiée de « figure fondamentale du grand grabuge au palais céleste » :
Il se changea en la figure fondamentale du Grand grabuge au palais céleste : trois têtes, six bras, ses six mains refermées sur trois gourdins, chargeant à grand tintamarre et fracas à travers la forêt.
Lorsqu’il a revêtu cette pose de souveraineté martiale, le roi des singes est dit, de fort tantrique façon :
Pouvant faire le mal, pouvant faire le bien, à présent bien et mal de lui dépendent ; bienveillant, il se fait bouddha ou immortel ; féroce, il se couvre de poil et porte des cornes. Des transformations infinies ébranlent le palais céleste, généraux du tonnerre et soldats divins contre lui ne peuvent rien.
Enfin, au-delà de toutes ces identités divines, démoniaques ou mystiques, Wukong est un maître de la répartie, de la moquerie, de l’insolence : j’invite le lecteur à se reporter au texte de la Pérégrination pour l’écouter se gausser de son maître le moine et de son condisciple le cochon lorsque ceux-ci, arrivés au Pays des femmes, ont inconsidérément bu l’eau de la « Rivière des enfantements » qui permettent aux habitantes de se reproduire et se retrouvent, l’un et l’autre, terrifiés d’être enceints…
Hubris et malice : la carrière de Wukong après le Xiyou ji
Après la publication de la Pérégrination, le personnage du Roi des singes ne devait plus quitter les scènes de théâtre, les autels des temples, et le cœur du public chinois. Les comédiens de l’opéra chinois l’incarnaient, s’aidant d’une gestuelle martiale et comique que répliquaient les mediums possédés par le Roi dans les temples qui lui consacraient un culte ; le roman était lu et décrypté par des taoïstes qui le consultaient comme un manuel d’alchimie intérieure18. Le XXe siècle devait marquer un changement dans l’usage de la Pérégrination et de son simiesque héros19 : on oublia sciemment, un peu de la substantifique moelle du récit pour revenir vers son comique et sa fantaisie : en 1941, le Roi des singes fut le héros d’un des premiers dessins animés chinois. Influencé par les studios Disney, les frères Wan dessinèrent un héros malicieux et malingre, qui n’était pas sans évoquer la silhouette de Mickey Mouse20 ! Les artistes chinois représentaient le Roi des singes depuis le XVIe siècle, mais au XXe, les adaptations se multiplièrent, en Chine comme à l’étranger : les grands illustrateurs Zhao Hongben (1915-2000) et Qian Xiaodai (1911-1965) illustrèrent en ligne claire traditionnelle l’album Le roi des singes et la sorcière au squelette, qui fut traduit en de nombreuses langues. Les mêmes années, commençaient à circuler les versions en petits fascicules de lianhuanhua (bande dessinée traditionnelle chinoise, littéralement : images enchaînées), dont les éditions Fei ont publié une traduction française intégrale il y a quelques années21. Parmi les versions étrangères, on peut citer l’adaptation italienne de 1976, Le Singe (traduction française Dargaud, 1980) adaptation à la sauce érotico-maoïste, au service de laquelle le grand dessinateur Milo Manara mit tout son talent.
Mais au fond, à travers le monde, c’est un avatar à la fois tonique et infidèle, le manga Dragon Ball d’Akira Toriyama qui a peut être multiplié la figure de Sun Wukong/Sangoku de la plus prodigieuse façon, tout en l’entraînant très loin de sa saveur initiale. Car, comme d’ailleurs bien des classiques de la littérature occidentale tels que les Voyages de Gulliver ou le Roman de Renart, la Pérégrination fut adaptée, un peu à contresens, pour devenir un classique de la littérature de jeunesse. Combien de générations d’enfants chinois n’ont-elles, du coup, brandi des répliques en bois ou plastique du gourdin Bonplaisir, l’arme légendaire du roi des singes ? Mais son ubiquité même, auprès des jeunes comme des vieux, des savants jusqu’aux illettrés a permis à la figure de Sun Wukong de se confondre avec une hubris bien chinoise, un rêve d’héroïsme rebelle qui traverse toute la société, des jeux d’enfants à la haute politique de l’État. Dans les années 1960, lorsque le président Mao, frustré d’une grande partie de son pouvoir par ses camarades de parti, préparait l’assaut contre « le quartier général » qui emporterait la Chine entière dans le chaos de la Révolution culturelle, il composa un poème faisant une allusion menaçante à la figure d’un Sun Wukong prêt à revenir châtier ses ennemis :
Le Singe d’Or brandit son bâton fabuleux, Et l’univers de jade est purgé de poussière. On acclame aujourd’hui le grand Sun merveilleux, Car de nouveau s’élève une brume sorcière.
Il devait peu après passer à l’acte, lâchant, comme Sun Wukong multipliant ses petits singes, les hordes meurtrières et juvéniles des gardes rouges à l’assaut du « Palais céleste » de la haute bureaucratie communiste22… Combien de coups de son terrible gourdin aurait infligé Wukong, s’il avait consenti à se manifester, à Mao Zedong, cet empereur de jade se prenant pour un rebelle ? Ayons la sagesse de ne pas réduire à un seul de ses visages la trogne hilare, grimaçante, et pleine de redoutable beauté de notre roi des singes.
L’édition moderne de référence est celle de Renmin wenxue (Pékin, multiples rééditions). Les deux traductions les plus complètes sont La Pérégrination vers l’Ouest, trad. d’André Lévy, Paris, Gallimard, 1991 (La Pléiade) ; The Journey to the West, translated and edited by Anthony C. Yu, Chicago, London : University of Chicago Press, 1980. L’abrégé confectionné par Arthur Waley sous le titre Monkeypeut servir d’introduction au cycle. Il a été retraduit en français.
L’étude fondamentale sur les origines des personnages du Xiyou ji reste celle de Glen Dudbridge, Glen Dudbridge, The Hsi-yu chi : a study of antecedents to the sixteenth-century Chinese novel, Cambridge : Cambridge University Press, 1970, qu’il compléta par l’article « The Xiyou ji monkey and the fruits of the last ten years », Chinese Studies, 6-1, 1988, p. 463-486 (article repris dans le livre de Dudbridbe, Book, tales and vernacular cultures, Brill, 2005).
On trouvera ce conte dans « Comment Fleur de Pêcher dama le pion au stratège matricide et au saint confucéen : six contes populaires chinois », in Une robe de papier pour Xue Tao : choix de textes inédits de littérature chinoise, sous la direction de Vincent Durand-Dastès et Valérie Lavoix, Paris, Espaces et signes, 2015, p. 45-86.
On trouvera ce conte, malheureusement pas encore traduit, dans ce recueil : Mo Langzi 墨浪子 deng bian zhuan 等編撰, Xihu jiahua deng san zhong 西湖佳話 : 等三種 ; Nanjing : Jiangsu guji chubanshe, 1993.
Meir Shahar, « The Lingyin si Monkey Disciples and the Origins of Sun Wukong », Harvard Journal of Asiatic Studies, Vol. 52, No. 1 (Jun., 1992), pp. 193-224.
Victor H. Mair, « Suen Wu-kung = Hanumat? The Progress of a Scholarly Debate », in Proceedings of the Second International Conference on Sinology, Taipei: Academia Sinica, 1989, p. 659-752.
On trouvera ce texte traduit en appendice de la traduction de la Pérégrinationpar André Lévy.
Voir les passages sur la Pérégrination dans David L. Rolston et al., How to read the chinese novel, Princeton (N.J.): Princeton university press, 1990.
On renverra le lecteur au très intéressant livre de Sun Hongmei, Transforming Monkey: Adaptation and Representation of a Chinese Epic, Seattle: University of Washington press, 2018 ; un amateur enthousiaste de la Pérégrination met régulièrement en ligne depuis Taiwan des documents sur le roman et son héros principal sur le blog Journey to the West Research.
La grande collection de littérature mongole Монгол уран зохиолын дээжис-108 / Mongol uran zokhjolyn deejis-108, regroupant le meilleur de la production littéraire mongole du XIIIe au XXe siècle, est maintenant disponible au rez-de-jardin de la bibliothèque.
Cette collection commence avec les textes classiques, comme l’Histoire secrète des Mongols, poème épique qui fonde la littérature mongole, et la version mongole de l’épopée du roi Guésar : Gesar Khan ou Gesar de Ling, un autre récit épique, transmis à la Mongolie par le Tibet.
La série se poursuit surtout avec des œuvres contemporaines, nées au XXe siècle, en prose comme en vers, avec des textes littéraires ou des poèmes, comme les œuvres célèbres de Borjgin Dashdorjijn Natsagdorź (1906 – 1937).
En outre, les derniers volumes de la collection renferment des textes littéraires des grands écrivains et intellectuels mongols classiques du XXe siècle, avec notamment Cendijn Damdinsüren (1908-1986) ou Bjambyn Rinčen (1905-1977), pour ne citer que les plus célèbres.
On notera la présence d’auteurs plus contemporains, dont certains s’engagèrent politiquement, comme le didacticien et poète Zagdyn Tümenžargal (Vol. 84), Luvsangijn Odončimed médecin, poète, humoriste, et homme politique mongol (vol. 92), ou encore Očirbatyn Dašbalbar, poète et homme politique mongol, député à l’Assemblée nationale, figure du mouvement anti-corruption (vol. 83).
Tous les volumes ont été cotés en littérature (800), et classés par les titres de chaque volume. Romans, nouvelles, mais aussi souvenirs, articles et essais des principaux acteurs de la littérature mongole du siècle passé sont ainsi regroupés au sein de cette collection. Chaque volume comprend en outre une brève présentation biographique de chacun des auteurs présentés. Ces livres bleus de petit format regroupent généralement, sauf œuvre majeure donnée intégralement, des textes de divers auteurs. Il est ainsi plaisant de se perdre dans la table des matières de chacun de ces ouvrages, dont le titre général ne reflète que très partiellement le contenu. Le dernier volume (no 108, Cote = 43MN 842.61 CAA 2) comporte une table récapitulative de l’ensemble des titres de la collection.
Avec cette collection de 108 volumes, l’essentiel de la littérature mongole – encore non traduite, il est vrai-, est maintenant à la disposition directe du lecteur, au cœur de Paris.
Laurent Quisefit est chargé de collections pour le domaine mongol. Retrouvez la description complète de ce domaine sur le site internet de la BULAC.
Citer ce billet : Laurent Quisefit, "Une anthologie de littérature mongole à la BULAC," dans Le Carreau de la BULAC, 22 janvier 2019, https://bulac.hypotheses.org/6901. Consulté le 23 janvier 2019
Le séminaire doctoral annuel du CERMOM, Centre de recherche Moyen Orient Méditerranée, interrogera jusqu’en juin la notion d’aire culturelle, entre interdisciplinarité et (re)construction des savoirs. Une occasion de se pencher sur le concept à la source des études aréales, dès le mardi 26 février, à l’Inalco.
Mardi 26 février 2019 Madalina Joubert (Inalco), La notion d’aire culturelle : ses questions, ses défis.
Iona Popa (CNRS), Un label souple : « aires culturelles », recompositions (inter) disciplinaires, (re)configurations des savoirs.
Vendredi 29 mars 2019 Alain Messaoudi (Université de Nantes), La constitution du champ d’étude mondes arabes et musulmans.
Mardi 9 avril 2019 Pascale Rabault-Feurhahn (CNRS), Le congrès international des orientalistes et (re)structurations de l’orientalisme.
Mardi 14 mai 2019 Michaël Lucken (Inalco), Autour du partage Orient/Occident : le Japon grec
Mardi 21 mai 2019 Jean-François Huchet (Inalco), Les aires culturelles et l’économie.
Mardi 4 juin 2019 Marie-Albane de Suremain (Université Paris-Est Créteil), La construction d’une aire culturelle « africaniste » en France : enjeux, processus et remises en question (des années 1950 à nos jours).
Le consortium Couperin.org lance une enquête auprès des chercheurs et enseignants-chercheurs (dont les doctorants et post-doctorants) des établissements de l’ESR, membres de Couperin, sur leurs pratiques de publication et de pratique de l’Open Access. Cette enquête est menée dans le cadre du Plan national pour la science ouverte, annoncé en juillet 2018, qui va rendre obligatoire l’accès ouvert aux publications et données issues des recherches financées sur fonds publics. Ce plan s’inscrit dans une dynamique européenne, portée notamment par Science Europe dont le Plan S a été lancé en septembre 2018, et qui vise à rendre accessibles en accès libre (Open Access) les publications des chercheurs dès 2020. Cette évolution a un impact direct sur le monde de l’édition scientifique et les critères d’évaluation.
Anonyme, cette enquête comprend quatre parties : A. la pratique dans les publications académiques, B. l’expérience des archives ouvertes, C. l’expérience des pre-prints, D. la perception des critères d’évaluation.
L’enquête sera clôturée le 8 mars 2019 et les résultats feront l’objet d’un rapport Couperin.org qui sera mis en ligne sur les pages de son site consacré à l’open access et sur celui d’« Ouvrir la science » du Comité de la Science Ouverte, chargé de la mise en œuvre du «Plan national pour la science ouverte». Les données par établissements seront également communiquées individuellement aux établissements, pour traitements complémentaires éventuels.
N’hésitez pas à participer, l’enquête ne vous prendra que quelques minutes !
Des interrogations sur le Plan S en particulier et l’Open Access en général…?
La BULAC vous propose régulièrement des formations à l’Open Access et à HAL, retrouvez le programme et contactez-nous pour toute demande de formation à la carte!
La recherche scientifique permet de produire des textes, bien entendu (articles, thèses, ouvrages, etc.) – mais pas seulement… Songez à toutes ces données visuelles ou sonores qu’un travail de recherche génère : photographies, cartes, archives scannées, entretiens enregistrés, vidéos, images de synthèse, graphiques, etc.
Toute cette documentation viendra enrichir la recherche et quelquefois illustrer une publication. Et ensuite ? … elle finit souvent oubliée sur un disque dur, périmée ou simplement effacée en raison de l’espace souvent conséquent qu’elle occupe.
Et pourtant, ces données gardent une valeur, tant pour leurs auteurs que pour l’ensemble de la communauté scientifique, puisque intégrées à d’autres travaux de recherche, elles pourront se révéler utiles bien au-delà du contexte dans lequel elles ont été produites. À condition, évidemment, d’être décrites et stockées de façon fiable et pérenne.
MédiHAL kezaco ?
C’est à ces besoins que vient répondre MédiHAL. Créé par le CCSD (Centre pour la communication scientifique directe), qui administre et développe HAL, cette plateforme est dédiée à tous types de médias, et à une large gamme de formats de fichiers. Selon le principe des archives ouvertes (petit rappel ici), les documents qui y sont déposés sont clairement documentés, ce qui permet à tous les utilisateurs de les retrouver, les consulter, et, si l’auteur d’origine en accorde le droit, les ré-utiliser. MédiHAL garantit également la conservation à long terme des documents, sur les serveurs sécurisés du CINES, et assure l’évolution des formats, afin que les documents déposés restent consultables quelles que soient les évolutions techniques.
Comment déposer ?
Comme sur HAL, ce sont les chercheurs eux-mêmes qui déposent leurs documents après s’être créés un compte (si vous disposez déjà d’identifiants HAL, vous utiliserez les mêmes sur MediHAL).
Il faudra ensuite compléter un bref formulaire pour indiquer le titre et l’auteur du document, la date de sa création et sa localisation. Cette description, qui précise le contexte de production des données, est d’une importance capitale, particulièrement dans le cas d’images : seules ces métadonnées permettront d’identifier les documents. En outre, ces éléments de description fournissent les précisions qui permettront à d’autres chercheurs de les intégrer à leur réflexion, en étant certains de leur origine et de leur valeur scientifique.
Pourquoi partager ?
Le partage assure aux auteurs une meilleure diffusion et une plus grande visibilité : les métadonnées dans HAL sont créées dans des formats standardisés et peuvent donc être échangées avec des plateformes dans le monde entier. On retrouvera les notices décrivant les documents par exemple dans Isidore, OpenAIR ou BASE : des milliers de chercheurs y auront accès et pourront consulter ces documents et les citer dans leurs bibliographies.
MédiHAL garantit aux auteurs le respect de leurs droits. Ils peuvent ainsi préciser les conditions de ré-utilisation des documents déposés en leur attribuant une “licence creative commons” : cette licence précise l’usage qu’il sera possible de faire du document, usages qui vont de la simple consultation à des autorisations plus étendues, comme le droit de modification.
Trouver, conserver
Sur MediHAL, les documents seront facilement repérés par les utilisateurs, qui peuvent lancer leur recherche en mode simple ou avancé parmi les 40700 documents actuellement sur la plateforme. Après s’être identifié, ils pourront pourront également :
constituer une “bibliothèque” qui conserve toutes les notices utiles
s’abonner à des alertes qui envoient directement un message aux utilisateurs dès qu’un nouveau document susceptible de les intéresser apparait sur la base.
exporter les références dans un format compatible avec les logiciels de gestion bibliographique (EndNote ou Zotero, par exemple).
Le Carreau vous en parlait aussi le mois dernier : MédiHAL garde également la trace de patrimoines en péril. Ainsi, 9000 photographies prises pour la plupart dans la cité antique de Palmyre ont été numérisées et mises en ligne par l’IFPO, dans le cadre du projet projetvalorisation et redocumentarisation collaborative des fonds photographiques de la Syrie (1920-1977).
Citer ce billet : Gilles d'Eggis, "MédiHAL : la recherche au-delà des textes," dans Le Carreau de la BULAC, 20 février 2019, https://bulac.hypotheses.org/16812. Consulté le 21 février 2019
La BULAC organise une journée de découverte des ressources électroniques, dans le domaine Europe balkanique, centrale et orientale. Cette journée s’adresse en priorité aux aux enseignants, chercheurs et doctorants ; elle sera l’occasion de choisir les ressources électroniques les plus pertinentes en vue d’une potentielle acquisition par la bibliothèque.
La journée aura lieu à la BULAC, le jeudi 14 mars, en salle RJ 22, au rez-de-jardin de la bibliothèque. Elle se déroulera en deux temps :
Matinée (9h30-12h) :
présentation des ressources électroniques de la BULAC dans le domaine russe et dans le domaine Europe balkanique, centrale et orientale, ainsi que de bases en accès libre dans ce domaine géo-linguistique. Cette présentation sera assurée par les équipes Développement des collections, Formation et Ressources numériques.
découverte et prise en main du nouvel outil de recherche dans les collections.
Après-midi (14h-17) : une séance d’ateliers de tests à de nouvelles ressources dans ce domaine aréal sera organisée.
La liste des ressources est la suivante :
slavus.ca : index bibliographique de revues, avec quelques titres en plein texte. Europe médiane, orientale et focus sur Ukraine.
Biblioclub.ru de Direct Media : offre d’ebooks académiques russes (manuels, collections de monographies, etc.).
Nous pourrons également discuter des corpus de sources primaires numérisées de Brill ou de revues chez Project Muse absentes de nos collections et dont l’achat serait à envisager.
Les collègues en charge des collections sur l’Europe balkanique, centrale et orientale seront présents pour vous guider tout au long des tests.
Inscriptions (il est possible de ne s’inscrire que pour une seule demi-journée) :
Cette journée s’inscrit dans le cycle Doctorants de la BULAC : toutes les informations sur notre site internet.
Citer ce billet : Elsa Ferracci, "Journée de découverte des ressources électroniques dans le domaine Europe balkanique, centrale et orientale (14 mars 2019)," dans Le Carreau de la BULAC, 21 février 2019, https://bulac.hypotheses.org/16853. Consulté le 21 février 2019
Le projet repose sur la numérisation de plusieurs milliers de documents emblématiques illustrant la richesse de ces relations, mis en perspective et commentés par un collège de chercheurs. L’ensemble du site est proposé en langue française, anglaise et arabe. Le cercle des partenaires, en France, en Égypte, en Turquie, au Liban, en Israël ou aux États-Unis ne cesse de s’élargir. À partir de 2019, la BULAC proposera des enrichissement issus de ses collections, notamment des manuscrits issus du fonds de l’École des Jeunes de langue proposés sur sa Bibliothèque numérique aréale.
Cette collaboration étroite avec la recherche est une originalité importante du projet, qui prolonge sa dimension internationale. La BNF a ainsi choisi de célébrer la réussite de ce travail et son expansion continue dans le cadre d’une rencontre internationale, associant séminaire scientifique et spectacle artistique, le 22 mars prochain.
15h15 – Faire connaître et donner accès à des collections méconnues. Les meilleurs spécialistes et des bibliothèques partenaires invitent à la découverte de collections exceptionnelles et méconnues, accessibles désormais sur le site Bibliothèques d’Orient.
16h45 – Rassembler des sources pour une histoire connectée. Des chercheurs internationaux de renom débattent des possibilités et des difficultés générées par les ressources numérisées dans les sciences sociales. Ils questionnent l’usage d’un site comme Bibliothèques d’Orient en se plaçant du point de vue des utilisateurs.
19hDe Paris à Jérusalem… (performance théâtrale). Dans un décor de bibliothèque, deux interprètes et un musicien refont le chemin de Paris à Jérusalem, au gré des documents qui peuplent les bibliothèques d’Orient.
L’événement s’adresse à toutes celles et à tous ceux qui s’intéressent à la Méditerranée orientale, son histoire, ses peuples, ses religions. L’accès est libre, mais une inscription en ligne préalable est obligatoire.
La rencontre se déroulera sur le site de la Bibliothèque nationale de France, Quai François-Mauriac, à quelques centaines de mètres de la BULAC. N’hésitez pas à vous y inscrire tant qu’il reste des places !
Le Sultanat d’Oman est l’invité spécial du Salon du livre 2019. Retrouvez le programme complet de cet événement, qui constitue une occasion de découvrir les nouveaux titres entrés dans les collections de la BULAC grâce à un don récent de l’association Ibadica.
Oman est le principal foyer d’un courant original de l’Islam, l’ibadisme. L’histoire du livre et l’activité éditoriale du sultanat lui sont étroitement liées.
L’ibadisme, un courant méconnu de l’islam
L’ibadisme est un courant minoritaire de l’Islam, méconnu au regard du chiisme et du sunnisme. Il marque toutefois profondément l’histoire et la culture de différentes communautés du Maghreb (régions du M’zab en Algérie, de Djerba en Tunisie, du Djebel Nefoussa en Libye), de l’Afrique de l’Est (Zanzibar) et surtout du sultanat d’Oman, où il constitue le courant religieux dominant. Le nom de l’école dérive du nom d’Abdullah ibn Ibad (mort en 708 apr. J.-C.), fondateur du courant islamique des Ibadites, qui faisait partie de la tribu des Banu Tamim. Les ibadites, durant toute leur histoire, ont développé les études islamiques et celles de la langue arabe.
Les études sur l’ibadisme se sont développées en Europe par le contact avec les riches bibliothèques ibadites du Maghreb à la période coloniale1. Elles se développent actuellement en Europe, aux États-Unis, au Maghreb et en Oman dans le cadre de projets universitaires (Maghribadite), d’initiatives privées (Ibadica) ou de colloques organisés avec le soutien du ministère des Waqfs et des Affaires religieuses d’Oman.
L’islam ibadite a fait l’objet aux XIXe-XXe s. d’un renouveau religieux (ou renaissance, nahḍa) important. Ce mouvement se traduit par le retour aux fondements de la doctrine ibadite, des tentatives de rapprochement avec le sunnisme et des aspirations à l’unification des différentes communautés ibadites. Même si les contacts n’ont jamais vraiment cessé entre les enclaves ibadites du Maghreb et la communauté omanaise, à la fin du XIXe siècle s’affirme « une sorte de panibadisme », selon l’expression de V. Prevost3, favorisée par l’activité intellectuelle des lettrés ibadites qui prennent soin d’assurer la diffusion de leurs textes dans ces différents foyers. Un double mouvement de croissance du nombre de ces écrits et de diffusion à partir de différents centres de l’impression arabe font de cette histoire du livre ibadite un pan intéressant de l’histoire de l’imprimerie et de la circulation du livre arabe entre le Maghreb, l’Afrique et le Moyen-Orient. Le rayonnement maritime et commercial d’Oman soutient ces échanges. Zanzibar, où règne alors une branche de la dynastie omanaise, et le Caire, avec ses imprimeries et son bouillonnement culturel, deviennent des plaques tournantes de la culture ibadite.
Les collections ibadites de la BULAC s’enrichissent d’un nouveau don
Le ministère des Affaires religieuses du Sultanat d’Oman a récemment fait don à trois bibliothèques françaises (la BULAC, la BIMA, bibliothèque de l’Institut du monde arabe, et le Collège de France) d’une quarantaine d’ouvrages par le biais de l’association Ibadica (centre d’études et de recherches ibadites), qui a joué le rôle d’intermédiaire entre le Bureau du Grand Mufti et les bibliothèques.
Ce don a été livré en avril 2018 à la BULAC et traité en janvier et février 2019 ; les ouvrages sont désormais tous accessibles par le biais du catalogue.
Certains d’entre eux sont exposés depuis le 11 mars 2019 à la BULAC : vous pouvez les retrouver sur les étagères Actualités du rez-de-chaussée de la bibliothèque.
Photos : Maxime Ruscio / BULAC.
Tous les ouvrages issus du don d’Oman sont écrits en anglais et en arabe et ont été publiés entre 1999 et 2018 ; ils sont consacrés au Sultanat d’Oman, à son histoire, à sa poésie, aux personnalités religieuses et ibadites, à la langue arabe, au Coran, au droit islamique, ainsi qu’à l’ibadisme en général.
Photos : Maxime Ruscio / BULAC.
Environ 40% d’entre eux sont édités par deux maisons d’édition institutionnelles : Wizaraẗ al-Awqāf wa-al-Šuʾūn al-Dīniyyaẗ (Ministère des Awqaf et des Affaires Religieuses), et celle de Wizāraẗ al-Turāṯ al-Qawmī wa-al-Ṯaqāfaẗ (Ministère du patrimoine national et de la culture). Les autres maisons d’éditions sont omanaises et privées. Trois des ouvrages sont édités au Maroc, en Algérie et au Liban.
Manuscrits et imprimés ibadites de la BULAC : un reflet de la culture livresque omanaise
La BULAC conserve par ailleurs trois volumes manuscrits qui furent reçus dans le cadre d’un don du Sultan de Zanzibar au consul de France au début du XXe siècle, accompagnés de plusieurs exemplaires imprimés dans l’île, mais également des imprimés anciens.
Ces manuscrits et ces premières impressions sont représentatifs de la culture livresque omanaise : commanditaires privés, notes manuscrites, poésies figurant au début et à la fin du livre, waqf omniprésent, circulation du livre…
Les collections de la BULAC reflètent plus particulièrement les progrès éditoriaux omanais et proposent des publications ibadites dans une continuité historique prolongée encore aujourd’hui. Les publications les plus récentes sont visibles dans les salles de lecture et sur le catalogue, tandis que les ouvrages parus avant 2001 sont encore majoritairement signalés dans les fichiers papiers, même si leur versement dans le catalogue informatisé est en cours.
Retrouvez dans le billet que le Carreau vous proposait en 2016 une analyse approfondie de ces impressions et manuscrits remarquables.
Pour aller plus loin
Pour aller plus loin dans la connaissance de l’ibadisme et d’Oman, retrouvez des revues spécialisées en libre accès :
Arabian Humanities (suite des Chroniques yéménites) : revue internationale d’archéologie et de sciences sociales sur la péninsule Arabique
Chroniques du manuscrit au Yémen : traite de l’actualité scientifique et culturelle autour des manuscrits de l’ensemble de la péninsule Arabique.
La bibliothèque omanaise : publications du ministère des Waqfs et des Affaires religieuses du Sultanat d’Oman en ligne.
al-Kawkab : textes ibadites en ligne en langue originale.
Centre d’études et de recherches sur l’ibadisme, IBADICA.
ainsi que les ouvrages en libre-accès de la BULAC d’auteurs présents au Salon du livre, et la bibliographie sélective élaborée par la BnF à l’occasion de ce Salon du livre 2019 :
Accédez également aux manuscrits arabes de la BULAC sur la BiNA, la Bibliothèque Numérique Aréale (collections numériques en cours d’enrichissement).
Citer ce billet : Fatna Ziani, "Oman, invité spécial du Salon du Livre 2019 : coup de projecteur sur les collections ibadites de la BULAC," dans Le Carreau de la BULAC, 14 mars 2019, https://bulac.hypotheses.org/17153. Consulté le 15 mars 2019
Voir sur l’ibadisme maghrébin en contexte colonial l’article d’Augustin Jomier, « Iṣlâḥ ibâḍite et intégration nationale : vers une communauté mozabite ? (1925-1964) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée
La conférence internationale sur l’édition électronique ELPUB réunit chaque année chercheurs en sciences humaines, éditeurs, bibliothécaires et développeurs, qui réfléchissent ensemble à l’avenir du livre électronique et présentent leurs projets et réalisations.
Cette année la conférence, qui se tiendra du 2 au 4 juin à Marseille, prend pour thème la « bibliodiversité » : ce concept, créé par des éditeurs chiliens dans les années 1990, interroge la place du livre, bien culturel essentiel à la circulation des idées comme à la diversité des langues. Il apparait donc nécessaire de préserver, au-delà des circuits commerciaux, l’indépendance des libraires, des éditeurs et la place des bibliothèques, pour assurer la meilleure diffusion des livres imprimés comme électroniques, entre les pays comme entre les époques.1.
Atelier sur la publication avec OpenEdition
Dans le cadre de cette conférence, OpenEdition organise en partenariat avec le projet HIRMEOS, un atelier sur la publication de livres académiques en accès ouvert, particulièrement destiné aux jeunes chercheurs. Que vous soyez doctorant, post-doctorant ou chercheur en début de carrière, vous pouvez proposer une communication sur votre expérience ou vos attentes et besoins en matière de publication. Si vous êtes sélectionné, vous pourrez bénéficier d’une prise en charge de vos frais de déplacement jusqu’à Marseille. Vous pouvez soumettre votre proposition avant le 15 avril en suivant ce lien : https://www.hirmeos.eu/2019/03/01/shaping-new-ways-to-open-the-book-a-workshop-of-the-hirmeos-project-2-june-2019-marseille/
Citer ce billet : Gilles d'Eggis, "Conférence ELPUB 2019 : bibliodiversité et publication de livres numériques," dans Le Carreau de la BULAC, 18 mars 2019, https://bulac.hypotheses.org/17174. Consulté le 18 mars 2019
Alliance internationale des éditeurs indépendants, International declaration of independent publishers, 2014. En ligne : https://www.alliance-editeurs.org/IMG/pdf/international_declaration_of_independent_publishers_2014-2.pdf
Originaire du nord de l’Inde, il s’est développé à partir d’une langue populaire parlée dans la vallée de l’Indus, dont la forme savante était le sanskrit. Ses langues sœurs sont le hindi, le pendjabi et le rajasthani. Le Vocabulaire comparatif des langues indienne et bohemienne atteste de la parenté de la langue rromani et des langues indiennes.
Le Baro Telǎripen
Au début du XIe siècle, les ancêtres du peuple rrom ont quitté le nord de l’Inde, « n’emportant pour tout livre, à en croire le proverbe, que leur langue : le rromani ». C’est le Baro Telǎripen, « le grand départ », qui a pour origine la conquête de l’Hindustan par le sultan afghan Mahmud de Ghazni.
Cette conquête est documentée par le Kitab Al-Yamini, une chronique rédigée en arabe en 1021 par le secrétaire personnel du sultan, présentée ci-dessous dans sa version originale en arabe et dans une traduction anglaise. Le Kitab Al-Yamini mentionne la destruction de la ville de Kannauj, capitale culturelle et spirituelle du nord de l’Inde au Xe siècle et berceau du peuple rrom.
Le peuple rrom est arrivé en Europe en traversant l’Eurasie. Il a séjourné en Anatolie, avant de gagner les Balkans. Une partie de la population s’est alors dispersée vers l’Europe centrale, orientale et occidentale. Tandis que des groupes se sont détachés en direction des aires carpatique, slave, balte et scandinave de l’est, d’autres ont progressé vers les pays germaniques et le nord de l’Italie (où ils se désignent comme Sinte) et vers la France ; d’autres encore se sont dirigés vers la péninsule ibérique (où on les nomme Kale).
D’où viennent les mots « Rrom », « Tsigane », « Gitan » ?
Le mot « Rrom » est issu du sanscrit tardif ड़ोम्ब [ḍomba] ou [ṛomba], « musicien » puis plus généralement « artiste ». Le passage du sens d’identité artistique au nom d’ethnie serait peut-être lié au nombre important d’artistes au sein de la population partie de Kannauj en 1018. À l’exception de quelques groupes (surtout en Espagne, France, Royaume-Uni et Allemagne), c’est par ce terme que les Rroms se réfèrent à leur propre ethnie.
Le mot « Tsigane » (du grec Αθίγγανος « non touché ») désignait initialement les membres d’une secte dualiste de l’Empire byzantin, composée surtout d’Arméniens, et aurait été utilisé par les Grecs comme insulte religieuse vis-à-vis de ces communautés. Lorsque les ancêtres des Rroms arrivèrent dans l’est de l’Anatolie, ils créèrent un lien fort avec les Arméniens, d’où l’extension aux Rroms du terme péjoratif « Atsingane » (évolution de Αθίγγανος), qui prit plus tard une valeur socio-ethnique. Ce mot a donné Zigeuner en allemand, Zingari en italien, Cikan en tchèque, Cigany en hongrois, Tsigani en moldave et valaque.
Le mot « Gitan » serait dérivé du mot « Égyptien ». Son origine la plus plausible est liée à un événement survenu lors de la première croisade. Quand les croisés s’emparèrent de Jérusalem en juillet 1099, ils nommèrent « Égyptiens », par extension, toutes les victimes massacrées. Le terme s’étendit ensuite à tous les autres Rroms présents dans le Moyen-Orient et l’Asie mineure. Ce nom a donné Gypsies en anglais et Gitanos en espagnol.
Tsiganes et tsiganologie
L’exposition en vitrines porte aussi un éclairage sur le regard porté sur les tsiganes, qui oscille entre fascination et rejet. Le XVIIIe siècle marque le début de la « tsiganologie » – l’ensemble des discours se rapportant aux Tsiganes -, qu’inaugure en 1783 la publication de l’essai historique sur les Tsiganes du philologue et statisticien allemand Heinrich Moritz Gottlieb Grellman. Cet ouvrage résume le savoir et les opinions en cours sur une population perçue comme une « horde de fainéants, de voleurs, d’assassins ou d’incendiaires ». L’ouvrage est rapidement traduit et diffusé à travers l’Europe.
Au XIXe siècle, le courant romantique contribue à mettre en lumière et en mouvement l’imaginaire de la société à l’égard des Tsiganes qui incarnent tantôt la liberté, tantôt la déchéance. Cette vision romantique est notamment véhiculée par l’écrivain anglais George Borrow, auteur de The Zincali, or An account of the Gypsies of Spain, et la Gypsy Lore Society, association internationale fondée en Grande Bretagne en 1888 dans le but de rassembler les personnes intéressées par la culture tsigane. La BULAC conserve une centaine de volumes duJournal of the Gypsy Lore Society, publié par la Gypsy Lore Society de 1888 à 1999, devenu en 2000 Romani studies (Études tsiganes).
Une langue nomade et plurielle : composition et structure de la langue rromani
Au cours de la migration de ses locuteurs depuis l’Inde jusqu’à l’Europe puis vers d’autres continents, le rromani s’est enrichi de nombreux apports, surtout lexicaux, d’origine persane, caucasienne et balkanique, puis, plus localement, des diverses langues européennes en contact.
Des mots-voyageurs
La partie asiatique du vocabulaire rromani ainsi que ses structures grammaticales de base viennent en majorité des langues indiennes (plus de 70 %). S’y ajoutent les éléments intégrés en Asie Mineure, issus du persan (6 %), de l’arménien (3 %) et du grec (17 %).
Une fois arrivé en Europe, le rromani a encore emprunté quelques mots aux langues des Balkans mais les emprunts plus tardifs ne sont plus communs à toutes les variétés de rromani. Le rromani des Balkans a intégré des dizaines de mots turcs, des mots d’autres langues slaves, ainsi que du roumain, du hongrois ou des langues baltes.
Langue d’origine
-> exemple
> rromani
> français
sanskrit
pānīya
pani
eau
persan
parvardan
parvarel
nourrir
kurde
rrez
rez
vigne
arménien
t’mbuk
thumbuk
tambour
géorgien
k’liavi
khilǎv
prune
mongol
möngön
mangin
trésor
turc
bakım
bagim
attention
grec
drómos
ciros
temps
russe
grex
grèxo
péché
ukrainien
batʹko
bàto
père
slave
svet
svètos
monde
serbo-croate
nebo
nèbos
ciel
polonais
izba
izba
chambre
slovène
cel
celo
entier
slovaque
pokojný
pokoňo
calme
bulgare
drag
dràgo
cher
tchèque
komora
kòmora
chambre
macédonien
pernica
pernica
écureuil
roumain
groapă
gruòpa
tombe
hongrois
ezer
zèro
mille
allemand
Berg
bèrga
montagne
Les deux superdialectes de la langue rromani
La langue rromani se divise en deux superdialectes, dits respectivement en « O » et en « E ». La recherche dialectologique en rromani a permis d’identifier, parmi les différents parlers vernaculaires, une ligne de partage séparant deux traits linguistiques distincts. Cette isoglosse distingue les parlers présentant la voyelle o (superdialecte « O ») et les parlers présentant la voyelle e (superdialecte « E »), et ceci dans un certain nombre de traits dialectaux, principalement :
le présent de la copule (par exemple, « je suis », som dans le superdialecte « O », sem dans le superdialecte « E ») ;
la terminaison de la première personne du singulier du passé des verbes (par exemple, « j’ai marché », phirdom dans un cas et phirde dans l’autre ; « j’ai vu », dikhlom et dikhlem) ;
le pluriel de l’article défini (par exemple, « les Rroms », o Rroma et [l]e Rrom[a]).
Dialectologie et diversité linguistique
On distingue, au sein des deux superdialectes, différentes strates :
la strate balkano-carpato-baltique (exemples : yerli d’İstanbul, « slovaque de l’est », zargàri d’Iran), d’où s’est détachée une strate hongroise ainsi que les parlers para-rromani (exemples : caló espagnol, kaalo de Finlande) et les parlers sintés (exemple : sinto piémontais) ;
la strate Gurbet-Ćergar (exemple : gurbet de Serbie centrale) ;
la strate Kelderaś-Lovari-Drizar (exemples : kelderaś de Pologne, lovàri de Pologne).
Derrière cette grande variété apparente de formes, des observateurs reconnaissent toutefois dès le XIXe siècle le principe profond d’unité de la langue. En 1882, le polonais Antoine Kalina décrit ainsi la langue rromani, dans la préface de son étude sur La langue des Tziganes slovaques, « comme une, homogène et ayant les mêmes droits que toutes les autres ».
Un patrimoine vivant : la langue rromani aux XXe et XXIe siècles
Il faut attendre les années 1920-1930 pour qu’un mouvement littéraire rromani émerge, en Union soviétique. Lénine insiste à ce moment sur l’importance de doter d’un alphabet les langues qui n’en ont pas. Quatre cents livres sont traduits en rromani, dont Carmen, de Mérimée, ou Tsiganes, de Pouchkine. Le premier livre écrit en rromani, Le Rrom cherche une place sous le soleil, de Rajko Đurić, paraît en 1969 en Yougoslavie. Le désir d’une écriture commune s’intensifie alors.
La standardisation et l’enseignement de la langue rromani
En 1926-1927, Nina Doudarova et Nicolae Pankov, célèbres militants rroms, sont chargés d’élaborer un alphabet pour la langue rromani, basé sur l’alphabet cyrillique. Ces derniers donnent des cours de rromani et assurent la formation des premiers enseignants.
En 1971, le premier congrès mondial rrom donne le jour à la commission linguistique de l’Union rromani internationale. Celle-ci travaille à la production d’un alphabet commun, officialisé sous le patronage de l’UNESCO en avril 1990, à la veille du 4e congrès mondial rrom. La décision de Varsovie présente un système d’écriture facile à lire et à écrire pour les locuteurs natifs de rromani, indépendamment de leur origine dialectale.
Le domaine rrom de la BULAC compte environ 480 ouvrages dont une centaine en langue rromani ainsi que 4 revues. Les disciplines les mieux représentées sont les sciences humaines et sociales et la linguistique. Côté littérature, les œuvres de l’écrivain serbe d’origine rrom Rajko Đurić (Sans maison, sans tombe), côtoient celles de la poétesse polonaise Papùśa (Routes d’antan) et du français Alexandre Romanès (Un peuple de promeneurs).
La programmation « Gelem, gelem, voyage en langue rromani » a été conçue sur une idée originale de Marcel Courthiade, enseignant de langue et civilisation rromani à l’Inalco, qui a fourni la matière initiale ayant permis son élaboration.
La BULAC organise une journée de découverte des ressources électroniques, dans le domaine Asie. La journée aura lieu à la BULAC, le mardi 9 avril, en salle RJ22.
Elle se déroulera en deux temps : – 10h-12h30 : présentation des ressources électroniques de la BULAC dans le domaine Asie et découverte du nouvel outil de recherche dans les collections en ligne. – 14h-17h : une séance d’ateliers de tests à de nouvelles ressources dans ce domaine aréal sera organisée.
Vous serez accompagnés tout au long de cet atelier par des chargés de collection du domaine Asie : Mmes Seng Aloune KEOVANTHIN (thaï et lao), Hélène KESSOUS (hindi et népali), Soline LAU-SUCHET (domaine taïwanais, et cheffe de l’équipe Asie), Atsuko VENTURE (japonais) et MM. Laurent QUISEFIT (coréen) et Min YU (chinois). Par ailleurs, M. Hirotatsu KANO, General Manager/Director of Business Development de Kinokuniya (Londres) a accepté, pour une seconde année consécutive, de participer à cet atelier pour présenter les ressources japonaises et recueillir vos avis, suggestions et feedbacks sur ces ressources.
La journée s’adresse en priorité aux enseignants, chercheurs et doctorants. Il est possible de ne s’inscrire que pour une seule demi-journée.
La liste des bases proposées en test est la suivante :
Domaine japonais ● La librairie numérique japonaise KinoDen (Kinokuniya) : plus de 10 000 ebooks universitaires ● Yomidas Rekishikan (Yomiuri Shimbun archive) (Kinokuniya) : archives numériques du Yomiuri Shimbun national daily newspaper depuis 1874; archives de la version anglaise (the Japan news) depuis 1989 et base de données “Contemporary Who’s who” : nom et données biographiques de plus de 26000 personnages clé du Japon ● Maisaku (Kinokuniya) : archives numériques de la revue Mainichi Shimbun National daily newspapers, de 1872 à aujourd’hui
Domaine sinophone
● Wanfang new local Gazetteers (Wanfandata) : collection de plus de 11.000 monographies locales depuis 1949 (districts, comtés, provinces), sur des sujets spécialisés (nourriture, industrie, transports…). Téléchargement et recherche plein texte
● Chinese periodical full-text database (CNBKSY) : archives de plus de 20.000 périodiques depuis la fin des Qing jusque 1949. Téléchargement possible. ● Dacheng old periodicals database (Dacheng) : archives de 7.000 périodiques chinois, entre 1911 et 1949 (humanités, sciences sociales, sciences dures, journaux populaires) ● TEPS (Airitibooks) : Taiwan electronic periodical services; plus riche collection existante de périodiques taïwanais en texte intégral
Domaine coréen
● KSI ebooks (KSI) : 9000 monographies en ligne, en sciences humaines et sociales. ● KPM (DKPR media) : base de revues de presse et presse ; accès à des titres nord- coréens
Domaine Asie du sud
● Times of India (Proquest) : archives du quotidien anglophone, de 1838 à 2009 Domaine Asie du sud est ● ISEAS ebooks (De Gruyter) : ebooks du centre de recherche de pointe sur les sciences politiques, sécurité, économie… sur l’Asie du Sud est ● SEApapers (Cornell University) : archives de revues sur l’Asie du Sud est
Citer ce billet : Elsa Ferracci, "Journée de découverte des ressources électroniques dans le domaine Asie," dans Le Carreau de la BULAC, 26 mars 2019, https://bulac.hypotheses.org/17339. Consulté le 26 mars 2019
Ce billet prolonge l’exposition présentée au rez-de-jardin de la BULAC du 1er avril au 9 mai 2019.1 Il met en lumière des récits de voyageurs en provenance du Moyen-Orient, de Russie et d’Asie, qui ont découvert l’Europe entre le XVIIe et le XXe siècles, dans le cadre d’ambassades, de tours du monde ou de leurs études. À l’échelle d’un pays ou d’un individu, il s’agit de récits de découverte du monde européen qui s’apparentent à une exploration. Rassemblés, ces textes offrent un contre-champ aux discours orientalistes en soulignant l’exotisme du monde occidental et en interrogeant la notion de modernité.
L’ouverture sur l’Europe par les grandes ambassades de l’époque moderne
À l’instar d’un Pierre le Grand souhaitant « ouvrir une fenêtre sur l’Europe », les grandes ambassades sont des gestes politiques forts d’enquête sur la modernité occidentale et de revendication des liens diplomatiques avec l’Europe. Il s’agit également de mises en scène à destination de l’opinion intérieure pour marquer une volonté de réforme et une affirmation de puissance. Après l’époque moderne, ces ambassades itinérantes laissent plus systématiquement la place aux voyages personnels des monarques.
L’exposition s’ouvre sur la Harangue faite à Sa Majesté par les ambassadeurs du Roy de Siam, le mardi 14. janvier 1687. Dans un effort de rapprochements diplomatiques entre le royaume d’Ayutthaya du roi Narai (1632-1688) et Louis XIV (1643-1715), sur fonds de rivalités européennes en Asie du Sud-Est et d’entreprises missionnaires, l’ambassade de 1687, composée de trois mandarins, est déjà la seconde à venir à Versailles. C’est la première à être accueillie avec faste et une intense publicité, même si l’agressivité des ambitions militaires et religieuses de la France au Siam font rapidement tourner court ces échanges.2
Collections de la BULAC, cote MS.TURC.242 (fonds Beuscher).
C’est ensuite le regard d’un voyageur ottoman qui est offert au visiteur, à travers le témoignage de Muḥammed Sa‘īd Yirmi Sekiz Çelebī (1680-1732), dignitaire ottoman envoyé en France par le sultan Ahmed III en 1720.3 Le récit de son ambassade devient une étude classique des travaux d’élèves de l’École des Jeunes de Langues, à l’instar de l’exercice de traduction du jeune Jean-Marie Beuscher (1796-?) présenté dans l’exposition. Les futurs consuls, chanceliers et traducteurs d’ambassade apprennent dans ce récit la langue mais aussi le protocole diplomatique ottoman et les représentations de la France chez leurs futurs interlocuteurs. Le texte turc est imprimé chez Didot en 1841 et devient ainsi un des premiers manuels publié à destination des élèves de l’École des langues orientales vivantes.
Collections de la BULAC, cote MS.TURC.242 (fonds Beuscher).
Le voyage se poursuit en compagnie de Pierre-le-Grand (1672-1725), à travers la relation de son ambassade de Russie en Europe, telle qu’elle figure dans la chronique de son règne, compilée un siècle plus tard.Pour accélérer sa politique de réforme, le tsar de Russie décide en 1697 de mettre sur pieds une grande ambassade de 270 personnes, dans laquelle il se glisse, pratiquement incognito, pour étudier les mœurs, la technologie et les systèmes politiques des différents pays d’Europe.4
Une entreprise médiatique de grande ampleur : les voyages en Europe de Nassir al-din Shah
Nassir al-din Shah (1831-1896) est le premier souverain perse à passer les frontières de son Empire. Il entreprit trois voyages en Europe, en 1873, 1878 et 1889, conçus à chaque fois comme des manifestations de puissance destinées à placer la Perse de la dynastie Qajar sur un pied d’égalité avec les puissances occidentales. À chaque fois, un journal de voyage fut rédigé par le Shah, largement diffusé sous la forme d’éditions lithographiées ou imprimées. Il y raconte en détails ses réceptions par les chefs des États visités, les expositions universelles de 1878 et 1889, les lieux célèbres de l’histoire européenne récente et les loisirs de la haute société.5
L’appropriation du Grand Tour par les élites non-européennes
À partir du milieu du XVIIIe siècle, la pratique britannique du « Grand Tour », voyage de formation à travers l’Europe pour les jeunes aristocrates, est rapidement imité par les élites du continent. À la fin du siècle, ce modèle est repris à travers le monde et favorise le développement d’une littérature de voyage qui s’appuie sur des modèles romantiques et les transforme progressivement. Le récit de voyage prestigieux devient à la fin du XIXe siècle un passage obligé pour les nouvelles élites économiques ou politiques qui s’affirment sur la scène internationale.
Le récit de Nikolaï Karamzine (1766-1826) est autant un voyage qu’une entreprise littéraire : son parcours se concentre sur les hauts lieux du romantisme naissant et s’appuie sur des inventions stylistiques et lexicales qui visent à introduire dans la langue littéraire russe le sentimentalisme qu’il admire.6 L’exposition présente le 4e volume de l’édition originale de 1797, placé sous l’égide de Mercure et d’un exergue versifié :
Dignitaire et percepteur d’Inde du Nord tombé en disgrâce, Mirza Abu Taleb Khan (1752- v.1805), profite de ses relations au sein de la Compagnie britannique des Indes orientales pour entreprendre un grand voyage à partir de 1799, qu’il exploite aussitôt sous la forme d’un récit littéraire en persan. La traduction de l’orientaliste Charles Stewart (1764-1837), figure de la Compagnie des Indes orientales britannique, en assure le succès à travers l’Europe. On voit alors dans ce récit admiratif une justification de l’entreprise coloniale.7
En un chassé croisé de représentations, le journaliste Charles Malo (1790-1871) insiste en sur le pittoresque du récit de voyage d’un prince indien, lointain rejeton homonyme de l’empereur perse Nadir Shah (1688-1747). Il en aurait donné en 1845 la traduction française à partir d’un récit en persan imprimé à Calcutta. Dans sa préface, il salue le caractère exotique du regard naïf d’un « touriste pur sang » venu d’un monde lointain.8
Le visiteur peut également découvrir le récit en gujarâtî du voyage en Europe de Framjee Dinshaw Petit (18?-?). Celui-ci est issu d’une riche dynastie industrielle du textile, à l’origine de nombreuses fondations pieuses et charitables zoroastriennes à Bombay.9 Marque de l’ascension sociale de la famille qui sera anoblie par la Couronne britannique en 1890, un de ses fils entreprend un long voyage de formation à travers le monde dont il rend compte dans ce récit luxueusement édité en 1889. Des exemplaires furent offerts à plusieurs bibliothèques européennes.
Collections de la BULAC, cote RES MON 8 4776.
Collections de la BULAC, cote RES MON 8 4776.
La Relation du voyage de S. M. le Roi en Europe pendant l’année 116 (1897) raconte le périple de Rama V (1857-1910), premier roi de Siam à entreprendre régulièrement des voyages à l’étranger. Monté sur le trône en 1868, il se rend en Europe à deux reprises en 1897 et 1907, cherchant à réformer et moderniser le pays pour lui permettre de résister à la pression du colonialisme européen et se faire reconnaître comme une puissance à jeu égal.
Paris, terrain de formation : les voyages d’étudiants égyptiens
À partir de l’expédition d’Égypte lancée en 1798 par Napoléon Bonaparte (1769-1821), marquée notamment par l’émergence des imprimeries arabes du quartier de Bulaq au Caire, Paris joue un rôle particulier dans l’imaginaire des lettres égyptiennes. Le voyage en France devient une figure obligée du récit de formation et de la réflexion politique sur la modernisation arabe qui marque la transformation de la littérature de voyage traditionnelle, la riḥla [رحلة] entre le XIXe et le XXe siècle au profit de formes littéraires nouvelles.10
Photos : Maxime Ruscio / BULAC.
Professeur à la mosquée et université al-Azar Rifa’a, Rafi al-Tahtawi (1801-1873) accompagne un groupe d’étudiants envoyé en France en 1826 pour se former aux sciences modernes. Il y séjourne cinq ans et rend compte de son séjour dans un récit publié une première fois en 1834. L’Or de Paris devient un classique des lettres arabes modernes, cherchant à concilier la modernité occidentale et la civilisation arabo-musulmane.11 Le texte est également attentivement étudié à l’École des Jeunes de Langues et à l’École des Langues orientales.
Collections de la BULAC, cote BULAC RES MON 8 156.
Collections de la BULAC, cote BULAC RES MON 8 156.
Trois récits des années 1930 soulignent la continuation de cette pratique du voyage d’étude à Paris et les nouveaux récits que cette périgrination suscite. Universitaire formé au Caire et à Paris, spécialiste de la littérature arabe classique, Muḥammad Zakī ʿAbd al-Salām Mubārak (1892-1952) donne dans ses Souvenirs de Paris, publiés en 1931, une vision critique du séjour parisien, dominée par une vision réformiste de l’Égypte appuyée sur les sources de l’Islam.
Taha Hussein (1889-1973) séjourne à Paris pour étudier à la Sorbonne.12 Son récit de séjour étudiant, Adib ou L’aventure occidentale, publiée en arabe en 1935, rompt avec la tradition de la réflexion politique et philosophique pour insister sur l’expérience de sa solitude et sa transformation personnelle.
Cette expérience intime de l’étrangeté et de la solitude se retrouve chez Tawfîq al-Hakîm (1898-1987), dans son récit L’Oiseau d’Orient, paru initialement en 1938. Il y met en scène le séjour qu’il avait réalisé comme étudiant en 1924.13
L’ouverture tardive de l’Asie orientale à l’aventure européenne
Après une longue période de fermeture délibérée aux influences européennes, l’ouverture de la Corée et du Japon sur l’Occident au milieu du XIXe siècle prend une forme volontariste et spectaculaire, relayées par des figures intellectuelles qui élaborent une interprétation originale de la modernité venue d’Europe et d’Amérique.
Marqué par un intérêt précoce pour l’Occident, Fukuzawa Yukichi (1835-1901) apprend l’anglais et participe aux premières missions diplomatiques japonaises aux États-Unis (1860) et en Europe (1862)14 Il est soucieux de transmettre le plus largement son expérience à la population japonaises à travers de nombreuses publications, y compris à travers des ouvrages plutôt destinés à la jeunesse, comme celui sur les Us et coutumes d’Occident : habillement, repas, ameublement, qui connaissent un grand succès.
Collections de l’université Paris-Diderot déposées à la BULAC, cote LCAOC 8-844.
Yu Kiljun (1856-1914) est fortement marqué par l’œuvre de Fukuzawa Yukichi et fait ses études au collège Keiō, fondé par ce dernier sur le modèle des universités américaines. En 1883-1884, il participe à une mission officielle d’enquête du gouvernement coréen aux États-Unis et en Europe. Il travaille pendant cinq ans à rédiger ce premier récit coréen de voyage en Occident qui prend la forme d’un véritable traité politique. Il parvient à le publier seulement en 1895 au Japon, mais son retentissement est important. Soucieux de rendre le texte accessible au plus grand nombre, Yu Kiljun prend l’initiative de mêler les caractères sino-coréens traditionnels, connus des seuls lettrés, avec le syllabaire han’gŭl.15
Collections de la BULAC, cote BIULO JAP.3464 (2-12).
Dans ses Récits de France, Nagai Kafū (1879-1959) rend compte d’un séjour effectué en 1907-1908, après quatre années passées aux États-Unis. Avec Shimazaki Toson (1872-1943), il inaugure une tradition littéraire et artistique japonaise du voyage en France, dont il donne ici une version romantique et enthousiaste, admirative des arts et des lettres, qui sera relayée ou discutée par les générations suivantes.16
Nicolaï Karamzine, Lettres d’un voyageur russe,édition présentée et révisée par Wladimir Berelovitch d’après la version de V. Porochine. [Paris]: Quai Voltaire, 1991.
La sélection des ouvrages, les recherches bibliographiques et la mise en ligne de ce billet ont été réalisés avec le concours précieux de Juliette Pinçon et les éclairages de différentes responsables de fonds de la BULAC qui en sont chaleureusement remerciées
Gwenola Firmin, Francine-Dominique Liechtenham et Thierry Sarmant. Pierre le Grand: un tsar en France, 1717. [Exposition, Versailles, Château de Versailles, Grand Trianon, 2017]. Paris: Liénard, Versailles : Château de Versailles, 2017 ; Д. Гузевич, И. Гузевич, Великое посольство.Санкт-Петербург : Феникс, 2003
Inès Horchani, « L’ailleurs et l’altérité dans la civilisation et la littérature arabes », Claudine Le Blanc, Jacques Weber (dir.), L’ailleurs de l’autre : Récits de voyageurs extra-européens, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 59-71